L’Orestie (en grec Ὀρέστεια / Orésteia) est une trilogie dramatique d’Eschyle représentée en 458 av. J. -C. aux Grandes Dionysies d’Athènes, où elle remporte le premier prix. L’Orestie d’Eschyle mise en scène par Theodoros Terzopoulos à Epidaure par le Théâtre National
Theodoros Terzopoulos, Θεόδωρος Τερζόπουλος, le metteur en scène international créera une élégie ontologique performative en ravivant le besoin de l’être humain de plonger dans les profondeurs mêmes du mythe. Un besoin dont le nouveau monde post-numérique l’a discrètement mais efficacement privé. Il tissera son projet performatif en termes de rituel mystique avec le mythe et le corps comme pierres angulaires.
Il plongera dans un voyage dialectique inversé avec Beckett, Brecht et Miller comme compagnons, en partant des Euménides d’Eschyle et en abordant la notion de constitution démocratique, les communautés humaines, la loi, le crime et la punition qu’il implique. Le point de départ est l’annonce du nouveau monde par la déesse Athéna et la création de la Cour suprême. À partir de là, il démêlera le fil et cherchera à reconstruire le mythe, avec le temps et la mémoire comme alliés.
Pour réinventer le mythe, il utilisera des termes d’historicité qui hanteront le Corps souffrant, sacré, vibrant dans un processus de démembrement scénique. En termes d’expérience spectrale/fantasmatique, tous les événements historiques qui ont anéanti l’entité humai
À Athènes, à partir du Ve siècle av J.C., lors des représentations théâtrales organisées en concours à l’occasion des fêtes religieuses des Grandes Dionysies, pendant trois jours, trois auteurs tragiques en lice présentaient trois tragédies dont certaines formaient un ensemble cohérent, une histoire en trois « épisodes ». On mesure alors l’importance de L’Orestie qui est la seule et unique trilogie qui nous soit parvenue dans son intégralité.
Une histoire de vengeance et de malédiction, mais aussi l’histoire d’un jugement : résumé
L’Orestie, c’est l’histoire des Atrides : Agamemnon tue sa fille Iphigénie pour partir à la guerre. À son retour, sa femme Clytemnestre aidée de son amant Égisthe le tuent puis seront à leur tour tués par Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre. Avant le temps de la tragédie, il y eut aussi Atrée, père d’Agamemnon, qui fit manger à son frère Thyeste ses propres enfants, et encore auparavant, Tantale, père de Pélops (qui deviendra le père d’Agamemnon et Thyeste) qui voulut faire manger son propre fils aux dieux.
Les Atrides : arbre généalogique
La première pièce : Agamemnon
La première pièce de la trilogie raconte le retour à Argos d’Agamemnon, victorieux de la guerre de Troie. Mais ce triomphe n’a pas permis d’oublier le sacrifice d’Iphigénie, sa jeune fille que la déesse Artémis a exigé en échange de vents favorables au départ vers Troie. Iphigénie a ainsi été sacrifiée par son père à la « raison d’État ». Dix ans après le sacrifice de sa fille Iphigénie, dix ans après le départ de son mari Agamemnon, Clytemnestre va assassiner celui-ci pour rendre justice à l’amour maternel qu’elle portait à sa fille. Agamemnon ne revient pas seul de la guerre de Troie, il en ramène une captive, nouvelle concubine, Cassandre, fille du roi Priam, monarque de Troie. Partie du précieux butin de guerre, elle a été offerte au général victorieux, ce qui ne manque pas de susciter la jalousie de son épouse Clytemnestre. Mais la rumeur dont le chœur (personnage central de cette tragédie) se fait l’écho présume que Clytemnestre a un amant : Égisthe, fils de Thyeste. Lui aussi a de bonnes raisons de vouloir se « venger » d’Agamemnon. Clytemnestre accueille cependant Agamemnon comme un roi. Cassandre qui a le don de prédiction mais est condamnée à ne pas être crue, revient, dans un long dialogue lyrique avec le chœur, sur la généalogie maudite des Atrides et prédit la mort d’Agamemnon et la sienne propre. Puis Agamemnon et Cassandre sont tués. La pièce se conclut sur le triomphe d’Égisthe et de Clytemnestre, nouveaux souverains de la cité argienne.
La deuxième pièce : Les Choéphores
« Choéphores » signifie à peu près « les suppliantes ». Le deuxième volet de la trilogie s’ouvre sur une longue prière impossible. En effet, la reine Clytemnestre, terrorisée par un « mauvais rêve », a ordonné à sa fille Électre, ainsi qu’au chœur des esclaves ‐ qui ne sont autres que les captives troyennes venues avec Cassandre – que l’on porte en hommage au mari qu’elle a assassiné des libations et offrandes, rituels de deuil pour apaiser le mort. Au fil de ce chant de deuil sur le tombeau d’Agamemnon, on voit la haine viscérale qu’Électre voue à sa mère qui, dit‐elle, la réduit en esclavage.
Cette lamentation prend des accents de violence et retourne le rituel d’apaisement en volonté de vengeance contre les meurtriers, avec l’appui des dieux. Surgit alors Oreste, frère d’Iphigénie et d’Électre, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, banni du trône de son père par sa mère meurtrière et son amant. Pour le frère et la sœur enfin réunis, le crime de la mère ne peut rester impuni. Ils pleurent ensemble, comme il se doit leur père défunt. Puis, dans une longue partie lyrique, le chœur des captives et la voix d’Électre achèvent de transformer le frère en vengeur et poussent Oreste à commettre un acte qui provoque notre sidération : le meurtre de sa propre mère. Le modus operandi, dirait-t-on dans un roman policier, est particulièrement édifiant. En effet, Oreste se fait passer pour un voyageur qui demande asile et vient annoncer la nouvelle de la mort du fils en exil. Il voit donc le spectacle de sa mère dévastée par la nouvelle de sa propre mort. Clytemnestre et Égisthe pour atteindre Agamemnon ont utilisé la ruse ; Oreste utilisera aussi la ruse comme outil de vengeance. Clytemnestre juge que de telles nouvelles (la mort d’Oreste) doivent être avant tout adressées au Roi, à l’homme, c’est-a-dire à Égisthe. Oreste assassine d’abord l’amant de sa mère, puis se découvre auprès de Clytemnestre qui comprend alors que son fils est là pour la tuer. S’ensuit un échange stupéfiant où la mère essaie de faire entendre « raison » à son fils et futur assassin. La détermination d’Oreste ne vacille (presque) pas : il assassine sa mère. Il est cependant sans joie de ce qu’il a fait. De son histoire ne lui reste que la « souillure ».
A la fin de cet épisode numéro deux, on voit les Érinyes, puissance du chaos fondamental qui réclament vengeance pour les crimes familiaux. Ces Érinyes, souvent évoquées dans le premier volet de la trilogie et jusqu’ici, se manifestent auprès d’Oreste pour le pourchasser.
La troisième pièce : Les Euménides
« Euménides » signifie les bienveillantes. Dans ce dernier épisode, on retrouve Oreste qui s’est réfugié dans le temple d’Apollon. Il est protégé par le dieu – qui lui intima l’ordre de venger le meurtre de son père – et autour de lui, endormi, se trouve ce chœur des Érinyes qui réclament réparation pour le meurtre d’une mère. Pour départager Apollon et les Érinyes sur la légitimité du crime d’Oreste, il est fait appel à Athéna. La déesse protectrice d’Athènes, relevant qu’un homme ou même un dieu ne peuvent, seuls, juger l’affaire, propose que les humains, réunis en collégialité, se jugent désormais eux-mêmes. Elle confirme dans une longue bénédiction à la ville d’Athènes ce que le citoyen contemporain de la tragédie vit au quotidien : le pouvoir de l’aréopage, assemblée des nobles de la ville, qui exerce en tant que tribunal et rend justice pour les crimes de sang suite aux délibérations et au vote des « jurés ». Ainsi, l’auteur Eschyle opère une sorte de glissement vers un présent de la représentation et conclut sa trilogie en présentant une scène « contemporaine » de la vie civique athénienne. Et tout aussi passionnant, il propose une réflexion sur l’exercice de la justice dans cette première société démocratique qui fut la sienne. Oreste est sauvé grâce au vote d’Athéna, quand la composante mortelle du jury l’avait condamné. La déesse évite d’entériner une décision de justice qui créerait un déséquilibre en favorisant le vainqueur et donne une place de choix aux Érinyes, « vaincues », qui deviennent les bienveillantes dans la cité : elle met ainsi fin à la loi du talion et à la malédiction des Atrides. Il ne s’agit pas de justice « consensuelle » ni idéale, mais d’une réflexion sur une justice qui consisterait avant tout à éviter l’injustice.
Lectures
La notion de cycle théâtral dans l’orestie d’Eschyle : ritualités et structures pré-dramatiques, Par Michel Briand Cahiers FoReLLIS
La critique du jugement dans l’Orestie d’Eschyle ; Pierre Judet de La Combe, Dans Les Cahiers de la Justice 2020/4 (N° 4), pages 749 à 764
Eschyle, notre contemporain, France culture , Mercredi 19 janvier 2022. À l’heure où nos démocraties s’inquiètent de leur avenir, et où les institutions sont remises en cause, la relecture d’Eschyle est plus que jamais indispensable. AvecPierre Judet de La Combe Helléniste, directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche émérite au CNRS