Une large fraude antique révélée: les producteurs crétois auraient dupé les amateurs de vin romains
Pendant des siècles, le passum a symbolisé le raffinement du vin romain. Pourtant, des fouilles à Cnossos, en Crète, dévoilent aujourd’hui une autre réalité : pour satisfaire la soif insatiable de Rome, certains vignerons crétois en auraient (habilement) contourné les règles de fabrication.
Sur les tables romaines, les vins de raisins secs – obtenus en faisant sécher les grappes avant la fermentation – occupaient une place de choix. Connus sous le nom de passum, ils jouissaient en effet d’une grande popularité, comparable aux prestigieux vins italiens appassimento d’aujourd’hui, comme l’Amarone.
De récentes recherches, menées par l’archéologue Conor Trainor de l’University College Dublin (Irlande), pourraient bien écorner l' »image d’Épinal » de la viticulture antique. À Cnossos, le spécialiste a mis au jour des indices qui laissent à croire que les vignerons crétois vendaient… un ersatz (sous-équivalent) de passum, explique-t-il dans The Conversation le 11 juin 2025.
La Crète romaine, île du vin doux
Conquise par Rome en 67 av. J.-C., la Crète était idéalement placée sur les routes maritimes reliant Alexandrie à l’Italie. Les bateaux chargés de blé depuis le grenier de Rome y faisaient escale et embarquaient de nouvelles cargaisons. Dès lors et sous l’impulsion des colons romains, l’économie de « l’île des dieux » bascule vers la viticulture – en témoigne le nombre d’amphores, ces jarres en argile servant au transport du vin, exhumées. Le vin doux crétois est devenu un produit de luxe, recherché pour ses arômes… et ses vertus thérapeutiques. Dans De materia medica, le médecin Dioscoride en vantait les propriétés contre les maux de tête, les parasites intestinaux et même l’infertilité.
La fabrication traditionnelle de ces vins de raisins secs exigeait savoir-faire… et surtout patience. Les sources antiques décrivent un processus méticuleux : l’agronome romain Columelle évoque au moins un mois de séchage et de fermentation ; le naturaliste Pline l’Ancien, un séchage partiel sur vigne, suivi d’un séchage sur claies (treillis d’osier) avant pressurage huit jours plus tard. Face à une demande croissante et des délais commerciaux serrés, de telles contraintes auraient pu inciter les viticulteurs à l’origine de ces produits haut de gamme à contourner les règles traditionnelles de fabrication.
Entre tradition… et tricherie
C’est du moins l’hypothèse que privilégie l’archéologue Conor Trainor après avoir fouillé Cnossos. Car si la cité est plus célèbre pour ses vestiges minoens plus anciens, elle était connue sous le nom de Colonia Iulia Nobilis comme une cité romaine productrice de vin. L’expert a identifié un schéma récurrent autour de ses fours à poterie : une confection massive d’amphores et de supports pour les remplir ; de larges bols de mélange qui ne présentent aucune trace de chauffe, écartant la théorie d’un moût (jus obtenu après le pressurage, mais avant fermentation) bouilli, évoquée par Pline l’Ancien.
En revanche, une autre présence dans les fours à poterie laisse fortement penser à une alternative plus rapide : celle de ruches, reconnaissables à leurs parois rugueuses favorisant l’accrochage de rayons de miel. Ainsi, pour éviter le fastidieux séchage des raisins durant des semaines, les producteurs crétois auraient sucré leurs vins directement avec du miel avant leur conditionnement. De quoi produire bien plus vite et à moindre coût. « Des découvertes similaires sur d’autres sites grecs laissent supposer que du miel et du vin étaient mélangés avant expédition », ajoute Conor Trainor dans The Conversation.
Les consommateurs romains étaient-ils au courant de cette supercherie ? Rien n’est moins sûr. Les millions d’amphores crétoises découvertes à Rome et la baie de Naples suggèrent que l’authenticité du processus comptait peut-être moins que le goût du passum. Les Romains ont peut-être simplement privilégié le plaisir de la dégustation. L’affaire n’en reste pas moins fascinante ; elle éclaire les pratiques commerciales et les stratégies d’adaptation des producteurs antiques à la pression du marché.
Passum
Nom latin pour un vin de sultana qui était très populaire dans l’Antiquité. C’était un remède populaire. Aesculapius, le dieu grec de la guérison, aurait pratiqué plusieurs cures miraculeuses en infusant ses patients avec du passum mélangé avec du poivre noir. Le Passum est mentionné par de nombreux auteurs grecs et latins comme un stimulant et un remède. À Rome, passum est servi aux banquets des classes supérieures.
Il a été fabriqué à partir de raisins secs (lat. passus et séché). Les tiges ont été torsadées peu de temps avant la récolte du raisin, de sorte que l’approvisionnement en eau a été interrompu. Les raisins sont restés sur la vigne jusqu’à ce qu’ils soient racinés ou raisins secs. Le texte » Vinum Tokajense Passum » peut être consulté sur l’étiquette de certains vins de Tokaj Aszô. Les vins doux produits sous une forme similaire sont Flétri, Passerillé, Passito, Recioto et Trockenbeerauslese.
