Communauté grecque des Alpes-Maritimes

La Grèce célèbre le centenaire de la Callas

« Elle a fait rayonner la culture grecque dans le monde entier, c’est la raison pour laquelle l’Opéra d’Athènes a à cœur de rendre hommage à Maria Callas, la plus grande cantatrice de tous les temps. » C’est en ces termes que Giorgos Koumendakis, directeur de l’Opéra d’Athènes, justifie l’ambitieuse programmation de l’année Callas que son institution consacre à la diva. « Grâce à elle, l’art lyrique a trouvé sa place en Grèce et c’est parce que nous lui en sommes reconnaissants que nous lui rendons aujourd’hui cet hommage », poursuit Panaghis Pagoulatos, directeur artistique de l’institution.

Maria Callas a chanté deux fois au théâtre d’Épidaure. La première en 1960 (photo) pour Norma, de Bellini; l

Centenaire oblige, des dizaines d’événements sont consacrés à l’artiste, cet été, sur la scène lyrique athénienne. Les festivités ont débuté au printemps dernier avec une nouvelle mise en scène du Médée de Cherubini, par David McVicar. Une coproduction du Metropolitan Opera de New York et des opéras de Toronto, Chicago et Athènes. Anna Pirozzi, la soprano italienne qui a repris le rôle-titre donnait ici la réplique à la somptueuse Nefeli Kotseli dans le rôle de Neris. Une jeune artiste que beaucoup considèrent comme la nouvelle Callas.

Rôles mythiques

Créé en français en 1797, avant d’être adapté en allemand, puis en italien, Médée occupe une place singulière dans le parcours de Maria Callas, qui a joué ce rôle en Italie à partir de 1953, de la Scala de Milan au Teatro dell’Opera de Rome, avant de l’interpréter en Grèce en 1961.

« La prestation qu’elle a livrée au théâtre antique d’Épidaure est restée dans les annales. Les 15 000 spectateurs étaient venus des quatre coins du pays pour venir l’entendre dans ce lieu magique. Cette soirée est devenue mythique », explique Sofia Kobotiati. Cette musicologue prépare une exposition sur la Callas qui sera présentée dans la Bibliothèque nationale de Grèce abritée, comme l’Opéra national, dans le centre culturel Stavros-Niarchos. Un bâtiment de verre et de métal inauguré en 2017 à Kallithéa, dans la banlieue de la capitale grecque.

Cette rétrospective débutera le 26 novembre et se tiendra jusqu’en janvier 2024 dans cet impressionnant ensemble architectural signé Renzo Piano. Y seront présentés divers documents d’archives, croquis, cahiers de mise en scène mais aussi costumes et éléments de décor tirés des spectacles donnés par la diva sur le sol hellène.

Soirée anniversaire

En attendant l’inauguration de cette exposition, qui comportera aussi un atelier éducatif proposant de découvrir les spécificités du timbre de voix de la Callas grâce à un dispositif numérique en cours de réalisation à l’institut polytechnique d’Athènes, une soirée de gala sera donnée sur place le 16 septembre, jour anniversaire de sa mort, en 1977. Elle aura pour cadre l’Odéon Hérode Atticus, au pied de l’Acropole.

Quatre chanteuses se relaieront, ce soir-là, pour reprendre les principaux rôles (Leonora, Lucia, Isolde et Ophélie) qui ont marqué la carrière de celle qu’on surnomme ici « La Divina ». Sera aussi repris le programme du récital que la cantatrice avait donné sur place en 1957. Un spectacle que l’opéra d’Athènes diffusera sur sa plateforme Internet. De Tosca et Cavalleria Rusticana en grec à La Paloma, l’intégralité des œuvres qu’elle a chantées en Grèce seront interprétées pour l’occasion.

Un documentaire reviendra aussi prochainement sur les années grecques de la Callas. Ce film de Vasilis Louras sera dévoilé le jour du centième anniversaire de sa naissance, le 2 décembre. « On ne parle pas souvent de cette décennie qui court de 1936 à 1945 », justifie le réalisateur. « Née à New York, Maria Callas est pourtant revenue à Athènes dès l’âge de 13 ans. C’est là qu’elle a été formée et a signé son premier contrat avec l’Opéra national de Grèce en 1940 », poursuit-il.

Ce film sera diffusé, lui aussi, sur la chaîne multimédia de l’opéra (GNO TV). Il évoquera, par-delà les années de formation de la cantatrice et ses examens de conservatoire, ses premières auditions alors qu’elle n’avait que 17 ans !

Exposition et documentaire 

« C’est au cours de ces huit années, très mal connues, que Maria, qui s’appelait encore à l’époque Kalogeropoulos, s’est forgé le caractère que l’on connaît. Sans ces moments, traversés par la guerre, elle n’aurait peut-être pas eu cette puissance intérieure qui lui a permis de surmonter tant de vents contraires », énonce Vasilis Louras. De quoi réconcilier le public grec avec la diva ? La critique locale n’a pas toujours été tendre avec la Callas.

Les montants des cachets demandés par la soprano ont souvent fait scandale sur place. Tout comme le fait que la cantatrice insiste pour jouer à Épidaure des opéras écrits en italien, alors que n’y étaient traditionnellement données que des pièces de théâtre en grec. « Ces bisbilles sont oubliées depuis longtemps », affirme Stella Angeletou, directrice de production à l’Opéra d’Athènes, associée à la programmation de l’année Callas.Le pays donne le sentiment de s’être totalement réconcilié avec la chanteuse. Il semble même lui pardonner les mots durs qu’elle a pu tenir, parfois, sur sa patrie. Pour preuve ? Une rutilante statue de la diva a été installée au pied de l’Acropole, il y a deux ans. Réalisée par la sculptrice Aphrodite Liti, cette sculpture en métal de près de deux mètres de haut a été intégralement financée par des dons privés, via une association créée pour perpétuer la mémoire de la cantatrice.

Les Callas de demain

Un musée dédié à la Callas et porté par la mairie, cette fois, doit voir le jour à Athènes dans les prochains mois. Situé dans un ancien palace de la rue Mitropoleos, fermé depuis 1969, le projet a pris du retard avec la crise économique qui a frappé le pays. Mais les élus tiennent à l’achever dans les meilleurs délais, car, comme cela a été souvent répété lors du conseil municipal, « Maria Callas est une excellente ambassadrice pour Athènes, susceptible d’amener une nouvelle catégorie de touristes mélomanes ».

Nul ne sait, pour le moment, quand ouvrira l’académie Callas, également annoncée depuis plusieurs années. Soutenu par une association créée en 2000 à l’initiative de la soprano Vasso Papantoniou, l’établissement, qui vise à faire émerger les Callas de demain, devrait investir l’ancienne maison de la diva, au numéro 61 de la rue Patission. La rénovation du bâtiment a commencé, mais aucune date d’achèvement des travaux n’est communiquée à ce stade.Pour patienter, les fans d’opéra auront à cœur d’acquérir le coffret prestige que Warner Music publiera en septembre. Présentée comme le plus complet ensemble de disques jamais consacrés à la Callas, cette édition limitée présente les 74 plus grands rôles de La Divina : l’intégralité de ses enregistrements studio, une vaste collection de concerts, mais aussi les masterclasses qu’elle a données à la Juilliard School notamment, ainsi que trois DVD et un livre de 148 pages. La diva méritait bien ça.


Maria Kallas : l’immortelle Diva

Tout Maria Callas est dans ces quelques mots publiés en décembre 1958 dans le magazine Arts.:

« Je ne suis pas parfaite. Je ne prétends pas l’être. Mon seul désir est de lutter pour l’art… quoi qu’il doive m’en coûter. Même la plus simple mélodie peut, doit être chantée avec noblesse ». Celle qui s’exprimait avec ces intonations dignes d’une Floria Tosca, l’héroïne de Victorien Sardou et Giacomo Puccini qui fut l’alpha et l’oméga de sa carrière et dont elle aurait pu être l’inspiratrice, restera sans doute dans l’histoire comme la plus grande « diva » du XXe siècle. Il est vrai que jamais jusqu’alors cantatrice avait investi à ce point les personnages qu’elle campait à la scène, au point que l’expression « incarner un rôle » semble avoir été inventé par elle. « Quand je travaille un personnage, disait-elle en 1965, je me demande toujours : ’’Si j’étais à sa place, que ferais-je ?’’ Il faut se transformer – mais en restant soi-même. Je crois que c’est d’abord l’instinct qui nous porte dans la bonne direction -, la musique suffit à expliquer tout. Dans notre métier, il faut beaucoup de choses : le physique, le jeu scénique, la diction (il faut ’’parler’’ avec sa voix), le respect de la musique… On ne prend plus le temps nécessaire à tout cela. On veut gagner de l’argent, faire des notes aiguës, impressionner le public, ’’épater le bourgeois’’… Mais ce n’est plus de l’art ! »

Le mythe Callas est si prégnant que l’on retrouve tous les ingrédients du genre à chaque étape de la vie de la cantatrice, depuis sa date de naissance  jusqu’à sa mort solitaire le 16 septembre 1977, mort dont l’origine pose encore problème à certains-, puis son incinération et la dispersion desdites cendres en mer Egée et enfin la dissémination de ses biens et souvenirs, notamment à la suite de l’exposition du musée Carnavalet en 1979…

Callas fut avant tout l’ambassadrice de son art. Elle sut en effet donner à un genre considéré comme moribond l’aura d’un temple de la vocalité et du théâtre pur. Elle réussit à faire de l’opéra ce dont Richard Wagner avait rêvé, un spectacle total. Ses laudateurs affirment même que la moindre de ses interprétations a révolutionné l’art lyrique, que chacune des notes qu’elle a chantées a une dimension historique. Il se trouve même des critiques musicaux qui affirment être venus à la musique grâce à ses seules prestations discographiques. Pourtant, cette cantatrice célébrée pour ses qualités dramatiques n’a guère été captée sur la scène par les caméras. Elle reste aujourd’hui dans la mémoire collective par ses seuls disques qui sont, il est vrai, autant de leçons de théâtre. Quantité de mélomanes amoureux éperdus l’ont suivie pendant vingt ans partout où elle se produisait, acceptant de passer des nuits entières à attendre l’ouverture des locations. Aujourd’hui des « réseaux callasiens » fleurissent un peu partout dans le monde, y compris sur Internet, et l’on trouve de par le monde toutes sortes d’honorables sociétés vouées au seul culte de « la Divine » riches en documents précieux, films, photos, bandes son à peine audibles mais écoutées les larmes aux yeux. Ce statut de mythe a été acquis par Callas durant les seules années 1949-1959, époque où le monde de l’après-guerre était friand de légendes vivantes, comme en témoigne l’émergence au même moment des mythes Marilyn Monroe ou Brigitte Bardot au cinéma ou de celui du « King » Elvis Presley, mort deux mois avant Maria Callas, dans le show business. Ses refus de chanter, ses colères et invectives mises sur le compte de caprices de star sont en fait le reflet de ses scrupules d’artiste qui plaçait son art au-dessus de tout, au risque de sa propre réputation. Ainsi, le 2 janvier 1958, après une décennie prodigieuse, la carrière de Callas basculait. Ce soir-là, elle ouvrait la saison de l’Opéra de Rome dans l’un de ses rôles fétiches, Norma. Après un premier acte qui la laissa insatisfaite, elle renonçait devant le président de la République italienne. Ce fut le tollé, dans la salle d’abord, à la radio qui retransmettait l’événement ensuite, puis, le lendemain, dans la presse qui entreprit un véritable lynchage médiatique. Unanimement adulée aujourd’hui, on lui reprochait alors, comme on peut le lire dans la presse parisienne à ses débuts à Paris en 1958, un « dramatisme exacerbé », des raucités « abusives » et des stridences « excessives », mais aussi, déjà, la fatigue d’une voix « surmenée ».

Si d’aucuns considèrent désormais que Maria Callas est la plus belle voix du monde, il faut convenir qu’il y avait en son temps des timbres  séduisants, par exemple celui de Renata Tebaldi dont on fit sa grande rivale. La sienne avait des failles, des couleurs impures, un large vibrato. Ses fameux sons de joue peuvent encore indisposer, et l’on ne comprenait pas toujours ce qu’elle chantait. Mais, chez elle, au-delà du mot, c’est la phrase entière qui devient extraordinairement claire. Un métier sans défaut, un sens naturel des attitudes et une aptitude à concevoir le monde comme un immense théâtre lui ont fait acquérir le statut de « Divine ». Tant en puissance qu’en étendue, sa voix, aux accents rugueux et charnels, lui permettait de tout chanter. Ce qui a fait dire à ses thuriféraires qu’elle ressuscita un style de chant disparu, celui des Malibran, Nelly Melba et autre Pauline Viardot, capables de passer de Mozart et Bellini à Weber et Meyerbeer, de Verdi à Wagner. Or, si sa tessiture couvre quatre octaves, Callas n’est pas un écho de ces légendes du passé. Là où ses contemporaines criaient, se lamentaient, étalaient leurs sentiments, elle tirait les larmes, la violence de ses personnages du plus profond de son être, ce qui apparaissait dans la texture même de sa voix. Elle fut en effet surtout guidée par son prodigieux instinct musical, fondé sur un travail forcené qui lui aura permis d’aviver un chant reposant essentiellement sur l’expression vocale, le rubato, la tenue du souffle, une alchimie de couleurs, d’inflexions et de timbres. Callas connaissait tous les secrets des partitions qu’elle interprétait. Si elle ne craignait pas les coupures, jugées nécessaires en raison de l’évolution des goûts du public d’alors, elle se donnait sans réserve à la musique et aux œuvres qu’elle avait choisies. Durant les répétitions, elle était toujours la première à arriver au théâtre, chantait constamment à pleine voix, et, ne voyant pas le chef d’orchestre en raison d’une forte myopie qu’elle ne pourra pas compenser par des verre de contact, elle se concentrait sur la dimension psychologique de ses personnages qu’elle investissait sans contrainte autre que celle du metteur en scène, personnage dont le rôle lui a toujours paru capital, disant à qui voulait l’entendre : « Je ne veux pas d’un metteur en scène d’opéra, je veux un metteur en scène tout court ! »

C’est le cinéaste Luchino Visconti qui, en cinq spectacles montés à la Scala de Milan (La Vestale de Spontini en 1954, La Traviata de Verdi et La Sonnambula de Bellini en 1955, Iphigénie en Tauride de Gluck et Anna Bolena de Donizetti en 1957), devait faire de Callas la plus glamour des cantatrices. D’autres grands metteurs en scène l’ont dirigée, Carl Ebert, Margarita Wallmann, Franco Zeffirelli, lui-même élève de Visconti, et Alexis Minotis, qui fit d’elle la « Médée du siècle » en la produisant pour la première fois à l’Opéra de Dallas en 1958 dans cet ouvrage de Cherubini longtemps ignoré.

Après une carrière de vingt-trois ans dont dix au sommet inaugurée avec Tosca le 27 août 1942 au Théâtre d’été d’Athènes et achevée au Covent Garden de Londres le 5 juillet 1965 dans ce même ouvrage qu’elle n’aimait pourtant pas – ses rôles favoris étaient Norma, Medea, Traviata, Lucia di Lammermoor -, Maria Callas aura fait quantité d’émules, mais aucune ne saura aller au-delà du simple mimétisme.

Elle était la scène incarnée, chantait, jouait, vivait ses personnages avec naturel parce que la scène, le chant étaient chez elle innés. Or, seul l’acquis est transmissible. La soprano américaine Barbara Hendricks, étudiante à la Juilliard School of Music de New York au moment où Maria Callas accepta de donner des séries de cours en 1971-1972, l’a bien compris, confiant dix ans plus tard : « A son contact, j’ai appris l’importance du souffle, du support de la voix. Et puis, l’émotion. J’ai découvert surtout à quel point elle était une artiste d’instinct. Mais l’instinct, cela ne peut pas s’expliquer, s’enseigner. Elle était bien incapable de dire pourquoi elle était l’artiste qu’elle était. On la sentait très triste, très seule : comme quelqu’un qui voulait donner une part d’elle-même et ne savait pas comment. On sentait aussi sa présence impressionnante, même sans la scène, et on comprenait combien elle avait sacrifié d’elle-même pour la gloire. »

Maria Callas s’éteignait le 16 septembre 1977 à 13h30 des suites d’une crise cardiaque dans son appartement parisien du 36 avenue Georges Mandel. Sa démesure était en son génie. A elle seule, elle est encore pour tous les publics l’archétype de la cantatrice, aux côtés de la seule figure caricaturale de La Castafiore qu’elle aura pourtant rendue surannée.

source : Bruno Serrou

MARIA CALLAS EN QUELQUES DISQUES

L’essentiel de la discographie de Callas est disponible chez Warner Classics, qui ne cesse d’améliorer les reports de bandes, de revoir ses présentations et d’intégrer à son catalogue de nouvelles références longtemps proposées en éditions dites « pirates ».

– Bellini : Norma (Scala de Milan, 1954), La Sonnambula (Scala de Milan, 1957)

– Bizet : Carmen (rôle qu’elle n’a jamais chanté sur scène) (Opéra de Paris, 1964)

– Cherubini : Medea (Scala de Milan, 1953)

– Donizetti : Lucia di Lammermoor (Scala de Milan, 1955)

– Puccini : Tosca (Scala de Milan, 1953)

– Rossini : Il Barbieri di Seviglia (Covent Garden de Londres, 1957)

– Verdi : Macbeth (Scala de Milan, 1952), La Traviata (Scala de Milan, 1955), Il Trovatore (Scala de Milan, 1956)

Parmi les nombreux récitals, le double album « Maria Callas, la voix du siècle » qui réunit un ensemble de pages des répertoires italien et français.

MARIA CALLAS EN QUELQUES LIVRES

– David Lelait, J’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour, Editions Payot, 1997

– C. Alby/A. Caron, Passion Callas, Editions Mille et un nuits/Arte, 1997

– Pierre-Jean Rémy, Callas, une vie, Edition Ramsay, 1978

– Sergio Segalini, Callas, les images d’une voix, Editions Van de Velde, 1979

MARIA CALLAS EN VIDEO

Débuts à Paris, 19 décembre 1958, Maria Callas en concert (Hambourg 1959 et 1962), Maria Callas à Covent Garden, 1962 et 1964 (3 CD Warner Classics)