Sous l’impact de la flambée des prix immobiliers, de la « airbnbisation », des réhabilitations urbaines et des nouveaux modes de vie, les grandes métropoles se transforment et connaissent partout en Europe un phénomène croissant de gentrification. Les outils juridiques de régulation permettant d’assurer une certaine mixité sociale existent pourtant, le quota de production de logements sociaux en est un mais est-ce suffisant ? En seulement quelques années, le centre de la capitale grecque est devenu le terrain de jeu d’investisseurs étrangers achetant des immeubles entiers pour en faire des locations saisonnières. Les habitants de la ville, eux, ont du mal à résister.
Au centre d’Athènes, depuis la place Exarchia jusqu’à la rue Methonis, les murs et les prospectus éparpillés dans les allées parlent aux passants : « Stop à la gentrification ! », « Touristes, rentrez chez vous ! », « Vis ton mythe en Grèce avec un salaire de 650 euros. » Dans ce quartier alternatif, à la pointe des mouvements contestataires depuis le soulèvement, en 1973, des étudiants de l’Ecole polytechnique contre la junte militaire (1967-1974), les habitants s’opposent déjà depuis plusieurs années au développement des locations saisonnières et à l’uniformisation de cette zone sans banques ni grandes enseignes. Mais, malgré cette résistance, Exarchia est devenu l’un des points les plus prisés des investisseurs étrangers.
Alors que les chaleurs de l’été bercent les Athéniens en plein après-midi, la rue piétonne Methonis, ombragée et étroite, est animée par les sons des perceuses. Au 57, un immeuble de trois étages a été dépecé et seules quelques plantes au rez-de-chaussée témoignent d’une présence humaine. La retraitée qui vit dans ce logement depuis quarante ans n’a pas encore fini son déménagement. Les investisseurs, eux, veulent au plus vite mettre sur le marché les douze appartements pour en faire des locations saisonnières. Konstantinos Mouchtaridis, un artiste de 26 ans, a quitté avec regret sa colocation située au 2e étage de la bâtisse le 1er mai.
Nous avons été avertis que les propriétaires de notre immeuble, deux frères, avaient décidé de vendre l’été dernier. Au départ, ils voulaient que nous partions au bout de trois mois, mais nous ne nous sommes pas laissés faire », relate le jeune homme. Pendant l’hiver, il explique avoir subi différentes pressions pour partir : visites répétées d’ingénieurs, d’architectes et autres techniciens ; chauffage coupé ; plus d’entreprise de ménage pour les parties communes… Selon lui, les mêmes investisseurs ont déjà racheté plusieurs bâtiments dans cette rue et dans une autre un peu plus loin. « Ils sont dans une logique de profit et ne se soucient guère de chasser des personnes âgées, ou des étudiants ! », s’indigne-t-il. Après plusieurs mois de recherche, Konstantinos a réussi à trouver un studio dans un autre quartier plus éloigné du centre-ville.
Appartements transformés en studios
Au 3e étage du 57 rue Methonis vivait Despina Tsouma, avocate. « J’y suis restée près de trente ans. C’était ma maison, mon bureau, c’était surtout là où je me sentais bien. J’ai ressenti beaucoup de colère et de tristesse d’être jetée hors de chez moi », avoue-t-elle encore émue. Les deux propriétaires « en ont eu marre de gérer seuls l’immeuble » et voulaient vendre mais n’ont pas consulté les locataires. « La moitié d’entre nous étions prêts à racheter nos appartements, mais ils n’ont rien voulu savoir »
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