Emmanouíl Glézos ( Εμμανουήλ Γλέζος) dit Manólis , né le 9 septembre 1922 dans le village d’Apiranthos sur l’île de Naxos et mort le 30 mars 2020 à Athènes, est un homme politique et écrivain grec, communiste au KKE à partir de 1941, puis à partir de 1950 à la gauche socialiste démocratique EDA, député du PASOK puis de la SYRIZA.
Il est connu pour sa participation à la résistance contre l’occupation allemande de la Grèce pendant la Seconde Guerre mondiale.
En 1939, alors qu’il était encore lycéen, Manólis Glézos participa à la création d’un groupe anti-fasciste luttant contre l’occupation du Dodécanèse par l’Italie et contre la dictature de Ioánnis Metaxás. Lors de l’invasion de la Grèce par l’Italie, il décida de s’engager dans l’armée pour être envoyé sur le front albanais, mais sa demande fut rejetée en raison de son âge. Pendant l’occupation de la Grèce par l’Allemagne nazie, il travailla pour la Croix Rouge et la municipalité d’Athènes, et s’engagea dans la résistance.
Le 30 mai 1941, il monta au sommet de l’Acropole d’Athènes en compagnie d’Apóstolos Sántas et déroba le drapeau nazi qui flottait sur la ville depuis le 27 avril 1941, date de l’entrée des troupes allemandes dans Athènes.
« Et vienne un jour quand vous aurez sur vous le soleil insensé de la victoire
Rappelez-vous que nous avons aussi connu cela que d’autres sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l’Acropole et qu’on les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans la fosse commune de l’histoire »
Ainsi Louis Aragon, dans « Epilogue » (Les Poètes, 1960) évoque-t-il deux Grecs.
Ce geste fut le premier acte de résistance en Grèce. Manólis Glézos et Apostolos Santas furent condamnés à mort par contumace par les nazis. Le 24 mars 1942, il fut arrêté par les Allemands et torturé. Il fut de nouveau arrêté par les Italiens le 21 avril 1943 et emprisonné pendant trois mois. Le 7 février 1944, il fut de nouveau arrêté par des Grecs collaborateurs et passa sept mois et demi en prison avant de s’évader le 21 septembre de la même année.
La fin de la Seconde Guerre mondiale ne mit pas fin aux ennuis de Manólis Glézos. Le 3 mars 1948, en pleine guerre civile grecque, il fut jugé pour ses convictions politiques communistes et condamné à mort à plusieurs reprises par le gouvernement de droite.
Le général de Gaulle s’est indigné et est intervenu en 1949 pour demander au gouvernement « qu’il n’exécute pas le premier résistant d’Europe ».
Mais ces peines capitales ne furent pas appliquées en raison des réactions à l’étranger et finalement réduites à une condamnation à perpétuité en 1950. Encore en prison, Manólis Glézos fut élu membre au Parlement grec en 1951 comme candidat de la Gauche démocratique unie (EDA). Après son élection, il fit une grève de la faim pour obtenir la libération des autres députés d’EDA qui étaient en prison ou exilés dans les îles. Il mit fin à sa grève de la faim lorsque les sept députés furent libérés. Il fut lui-même relâché le 16 juillet 1954.
Le 5 décembre 1958, Glézos fut de nouveau arrêté et condamné cette fois pour espionnage, un prétexte courant pour persécuter les militants de gauche pendant la Guerre froide. Les protestations et réactions en Grèce et à l’étranger — dont le Prix Lénine pour la paix — aboutirent à sa libération le 15 décembre 1962. Au cours de son deuxième emprisonnement pour raisons politiques après la guerre, il fut réélu député d’EDA en 1961. Lors du coup d’État du 21 avril 1967, Glézos fut arrêté à 2 heures du matin, avec les autres dirigeants politiques grecs. De 1967 à 1974, sous la dictature des colonels dirigée par Geórgios Papadópoulos, il subit quatre années d’emprisonnement et d’exil jusqu’à sa libération en 1971.
Au total, pendant la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile grecque et le régime des colonels, Manólis Glézos passa 11 ans et quatre mois en prison et 4 ans et 6 mois en exil.
Entre la guerre civile et la fin de la dictature des colonels, Manolis Glezos aura passé seize ans dans les prisons ou les camps de son propre pays, qu’il avait contribué à libérer. Il en a profité pour terminer ses études, ce qui lui a permis d’obtenir des diplômes, en géologie et en linguistique. Dans sa cellule, avec l’un de ses compagnons, ils avaient pris l’habitude de se saluer tous les matins en français, pour lutter contre la dégradation morale.
Ce qui l’a fait tenir dans l’adversité ? « La lecture », affirmait-il, en plongeant ses yeux clairs dans ceux de son interlocuteur. Et aussi, des convictions chevillées au corps. Manolis Glezos les énumérait : « La liberté, l’indépendance nationale, la démocratie directe, la justice sociale ». Ces principes ont guidé sa vie.
Après la restauration de la démocratie en Grèce, en 1974, Manólis Glézos participa à la relance de l’EDA. Lors des élections législatives de 1981 et de 1985, il fut élu député sur les listes du PASOK. En 1984, il devint député au Parlement européen, à nouveau sur une liste PASOK. Il fut président de l’EDA de 1985 à 1989.
Au fil des ans, Manolis Glezos milite pour une démocratie directe, qu’il applique en tant que maire du village natal d’Apiranthos, sur l’île de Naxos. « Les Constitutions des principaux pays sont les mêmes : le pouvoir vient du peuple et il est exercé en son nom. Il faut que le pouvoir soit exercé par le peuple. » Il militait en faveur d’un régime où le gouvernement était réduit à l’essentiel, avec de fréquents recours au référendum pour que le peuple s’exprime directement.
Ainsi, en 1986, il se retira du Parlement, afin de tenter une expérience de démocratie à l’échelon local, dans la commune d’Apirathos. Il fut élu président du conseil municipal en 1986. Ensuite, il abolit les privilèges du conseil, introduisit une « constitution » et mit en place une assemblée locale qui avait le contrôle total sur l’administration de la commune. Ce modèle fonctionna pendant plusieurs années, mais l’intérêt de la population diminua et l’assemblée fut abandonnée. Glezos en resta le président jusqu’en 1989. Aux élections législatives de 2000, il conduisit la liste de Synaspismos (en français : Coalition), un parti de la gauche radicale. En 2002, il forma le groupe « Citoyens actifs », partie de la Coalition de la gauche radicale, une alliance avec le Synaspismos et d’autres petits partis de la gauche grecque, et présenta sa candidature pour être préfet de l’Attique.
Le 5 mars 2010, lors d’une manifestation contre le plan de rigueur destiné à réduire la dette de la Grèce, Manólis Glézos fut victime de tir de gaz lacrymogènes sous le regard de nombreux appareils photos. Il dut être soigné à l’hôpital sans que ses jours soient en danger. Cet évènement eut lieu lors d’affrontements avec la police qui se déroulèrent pendant la manifestation. Il a été relaté à de nombreuses reprises par les manifestants qui ont mis en avant la figure historique de Manólis Glézos comme symbole de la répression et de l’injustice policière.
Le 12 février 2012, lors d’une manifestation de plus de 80 000 personnes sur la place Syntagma, devant le Parlement, pour protester contre l’adoption du plan d’austérité imposé par l’Union européenne, il tenta avec le compositeur Míkis Theodorákis de pénétrer dans le Parlement, mais en fut empêché par la police. Theodorakis et lui réussissent finalement à entrer au titre de leur statut d’anciens députés et assistent au vote.
Candidat aux élections législatives grecques de juin 2012 avec la SYRIZA, il a déclaré que la Grèce devait annuler l’accord créancier avec l’Union Européenne et le Fonds Monétaire International.
Lors des élections européennes de 2014 il est élu avec plus de 440 000 voix de préférence, un record pour SYRIZA, au Parlement européen, où il siège.
Le 22 février 2015, le leader de SYRIZA et Premier ministre, Aléxis Tsípras, a annoncé les réformes incluses dans l’accord passé entre son gouvernement Tsípras I et l’Eurogroupe, en vue du dernier versement du plan d’aide à la Grèce. Glézos a alors publié un communiqué sous forme d’excuses pour avoir « soutenu l’illusion que cela serait réellement fait », dénonçant ainsi le fait les réformes annoncées ne correspondent pas au programme du parti lors des élections, et appelant par la même occasion les membres et sympathisants du parti à l’insurrection contre cet accord. À la fin de l’été, Manólis Glézos rallie Unité populaire (une scission de parti SYRIZA) en vue des législatives du 20 septembre 2015.
Mais Manolis Glezos avait aussi d’autres centres d’intérêt que le militantisme. Au plus fort de son combat politique contre les mesures imposées par la « troïka » contre son propre pays, il aimait aussi disserter sur la linguistique et l’origine des mots. Il a publié des ouvrages sur l’histoire de la seconde guerre mondiale, mais aussi sur la géologie et la minéralogie.
Il ne voulait surtout pas se cantonner au rôle du héros de la Résistance et refusait de raconter son exploit de 1941. « Je ne suis pas une star. Toute ma vie, on a essayé de faire de moi un monument pour me faire taire. Je ne suis pas une statue ou un tableau, et je parle tout le temps. » Sa parole était écoutée. Il n’était pas une statue, mais une vigie, toujours prête au combat pour la liberté.
Et de ce passé de combattant, il tire une force et une raison de continuer à militer, un peu à la façon d’un Stéphane Hessel grec. «J’ai perdu 118 camarades. Ils ont été exécutés pendant la guerre civile. A cette époque, avant chaque bataille, on se fixait des objectifs, on annonçait nos rêves et nos buts, parce qu’on savait que tout le monde ne reviendrait pas vivant. On voulait que les survivants parviennent à réaliser quelques-uns de ces rêves. Et c’est moi qui ai survécu le plus longtemps», .
« Pourquoi je continue ? Pourquoi je lutte encore aujourd’hui à 92 ans et 2 mois ? Vous pensez que c’est moi, Manolis Glezos, qui vous parle. Non, ce n’est pas moi. À chaque fois que quelqu’un de nous était envoyé devant le peloton d’exécution, il nous demandait de ne pas l’oublier. De s’en souvenir à chaque bonjour. De boire à sa santé à chaque fois qu’on lève son verre. C’est pour cela que je continue la lutte, que je ne suis ni épuisé mentalement, ni résigné ni cynique. Parce que l’homme qui vous parle ici, c’est tous ces hommes ».
Le 17 mars 2020, il est hospitalisé pour des problèmes gastriques. Il meurt le 30 mars 2020.
Manolis Glezos attaque le compromis de l’Eurogroupe
Dans un texte très virulent, Ma nolis Glezos souligne que « changer le nom de la troïka en « institutions », celui du mémorandum en « accord » et celui des créanciers en « partenaires », ne change en rien la situation antérieure. » Il estime donc que le compromis trouvé à Bruxelles ne fera que poursuivre l’austérité. « Au lendemain des élections, d’une seule loi, nous abolissons la troïka et ses effets. Un mois est passé et cette promesse n’est toujours pas transformée en acte », affirme le texte qui ajoute « dommage et encore dommage. »
Manolis Glezos estime qu’il ne fallait accepter aucun compromis. « Entre l’oppresseur et l’oppressé, il ne peut être question de compromis, tout comme cela est impossible entre l’occupé et l’occupant. La seule solution c’est la liberté », indique le député européen qui appelle les militants et sympathisants de Syriza « à décider s’ils acceptent cette décision. » Bref, c’est un appel à la réflexion interne autour du compromis.
Yannis Ritsos, Lettre à Joliot Curie
un extrait de la Lettre à Joliot-Curie, poème-fleuve bouleversant que Yánnis Rítsos adressa au physicien français en 1950, lors de son transfert sur l’île de Aï-Stratis.Où il est déporté par le fascisme qui s’est installé en Grèce avec l’aide des Etats-Unis et des puissances occidentales…
« Bien sûr, Joliot, tu auras su pour Manolis Glézos
-ah, comment te dire, Joliot,
quand il passait dans les ruelles de Plaka les mains dans les poches,
bel enfant souriant au rêve du monde, du haut de la cordillère du malheur
quand il escaladait les rochers de l’Acropole
serrant dans ses deux jeunes poings
la colère de tous les peuples et leur espoir
quand sous les naseaux écartés des mitraillettes affamées
il brisait de ses deux poings la croix gammée
il brisait de ses deux poings les dents de la mort –
Et voilà que, depuis plusieurs années maintenant,
Joliot, Manolis Glézos
regarde le soleil derrière les barreaux
et toujours, de ses deux mains, entaillées par les menottes
il essuie les yeux en larmes du monde
il essuie le front en sueur de la liberté et la paix.
(….) »
Manolis Glezos : “Le peuple grec doit de nouveau dire non”
Entretien avec Fabien Perrier, publié le 19/09/15
Ce 20 septembre 2015, les électeurs grecs sont appelés aux urnes suite à la démission d’Alexis Tsipras. Le leader de la gauche anti-austérité grecque avait mené son parti, Syriza, à la tête du pays le 25 janvier 2015, en obtenant alors 36,34% des voix. Mais Syriza n’a pas résisté à l’épreuve du pouvoir. C’est parce qu’il a « cessé d’écouter le peuple », explique Manolis Glezos. Lui, c’est l’homme qui a décroché le drapeau nazi de l’Acropole en 1941, qui s’est battu sans cesse pour l’indépendance de son pays et le maintien de sa souveraineté nationale : pendant la guerre civile, contre les colonels, puis contre la « troïka », à partir de 2010, au moment où le pays au bord du défaut de paiement acceptait un prêt des Européens et du FMI contre l’imposition de mesures d’austérité. Lui, c’est aussi la figure du sage dans le pays. Il a créé Syriza, une coalition qui rassemblé différentes formations de la gauche radicale en 2003 ; il a fait du « peuple au pouvoir » et de la « démocratie participative » ses chevaux de bataille. Mais après sept mois d’exercice du pouvoir, ce jeune homme de 93 ans reconnaissable entre mille, avec sa silhouette voûtée, son épaisse crinière blanche et son air de poète, a franchi le pas : il a quitté Syriza et rejoint les listes d’Unité populaire, un parti regroupant les dissidents de l’aile gauche de Syriza.
Dans les meetings, il le répète sans cesse : il faut donner une nouvelle vie au « non » grec. Ce « non » renvoie à l’actualité : le 5 juillet dernier, 61,31% des citoyens se sont exprimés contre les mesures proposées par les créanciers de la Grèce en échange d’un nouveau prêt accordé au pays au bord du précipice. Mais une semaine plus tard, Alexis Tsipras signait un nouvel accord. « Il a transformé le non en oui », explique le héros national. Qui appelle à renouer avec l’esprit de résistance dont les Grecs ont fait preuve dans l’Histoire.
Pourquoi avoir appelé à voter pour Unité populaire ?
Si je coopère avec Unité populaire, en tant que candidat travailleur, c’est pour impulser, sur cette liste, le mouvement. « Le peuple au pouvoir », telle est l’essence de cette coopération. Pour que le peuple arrive au pouvoir, il faut une unité populaire.
Vous répétez que ces élections sont déterminantes. Pourquoi ?
Le peuple tient entre ses mains la possibilité de balayer tout ce régime pourri et oppresseur, sa violence et sa corruption. Il peut jouer lui-même son rôle. Ces élections sont déterminantes pour le destin de notre peuple, et pour plusieurs décennies. Nous devons écouter l’histoire qui frappe à la porte et tous ensemble, nous devons l’ouvrir. Il ne peut pas y avoir de spectateurs à ce combat. Nous devons le mener tous ensemble, et ouvrir la porte à l’histoire pour qu’entrent l’espoir, la vision, et l’avenir qui nous appartient, à nous, et non à quelqu’un d’autre. Alexis Tsipras a transformé le « non » obtenu au référendum en « oui ». Le peuple grec est appelé à dire non, comme il a dit non à l’occupation allemande, non à la junte, non aux 400 ans d’occupation ottomane. Il est invité à dire non aux mémorandums et à la soumission de notre pays. C’est un combat pour la Grèce, pour la justice, pour la liberté.
Telles étaient aussi les intentions de Syriza, dont vous avez été l’un des fondateurs. Quelle analyse faites-vous de l’évolution de ce parti ?
Tout d’abord, le mouvement auquel j’appartiens, les Citoyens actifs, était en désaccord avec la volonté de créer un parti unifié. Quand j’ai créé Syriza en 2003, j’avais dit que nous passerions de 4% à 14% en mettant le peuple au pouvoir. Ce cap a été franchi. Nous étions dans les rues, sur les places [au moment des Indignés, en 2011, NDLR]. Puis, nous sommes arrivés à 36% et sommes devenus le gouvernement. Alors, le nom donné n’était plus Syriza, mais Maximou [la résidence du Premier ministre, NDLR]. Dès l’entrée dans les antres du palais, Syriza a changé. Quand j’étais eurodéputé, j’avertissais de cette orientation et signalais mes désaccords. J’étais opposé à la politique suivie comme, par exemple, la signature du premier accord, le 20 février ; immédiatement, j’ai envoyé au gouvernement une lettre très dure. Il ne fallait pas que nous nous soumettions. Face à la menace de sortie de l’euro brandie par les Européens, je disais : s’ils veulent nous sortir, qu’ils nous sortent ! Il était évident qu’ils ne le feraient pas : non seulement, ils prenaient le temps de discuter mais en plus, une sortie ne les arrangeait pas !
“L’Européen est celui qui voit les choses dans plusieurs dimensions.”
Arrivés à Maximou, Alexis Tsipras et Syriza se sont-ils donc privés de leur principe fondateur : « le peuple au pouvoir » ?
Tout à fait. Dès le premier jour, il aurait fallu mettre notre programme en application. Ce qui n’a pas été fait. Un exemple : au Parlement européen, avant que Syriza arrive au gouvernement, nous avons reçu des salariés de ERT [Ellinikí Radiofonía Tileórasi, le groupe audiovisuel public, NDLR]. Nous leur avons promis d’ouvrir ERT dès que nous serions au gouvernement et que les salariés éliraient le conseil d’administration de cette nouvelle structure. Que s’est-il passé ? ERT n’a pas ouvert immédiatement et le gouvernement a choisi le conseil d’administration. Où est le pouvoir au peuple ? C’est lui qui doit décider.
L’idée est-elle de reconstituer un front anti-mémorandaire avec comme objectif une sortie de l’euro ?
Avec l’euro ! Je reste au sein de l’eurozone quoi qu’il arrive. Je ne vous fais pas cadeau de l’Europe. L’Europe est une création grecque comme en témoigne l’étymologie. « Europè » (ευρωπη), en grec ancien, vient de eurýs et ops. Le mot eurýs signifie « ce qui est large, ce qui englobe », et ops, « voir ». Europè est la personne qui a les yeux ouverts, qui ne voit pas les choses de manière plate, qui n’est pas un cyclope. Le cyclope, lui, n’avait qu’un œil : il voyait les choses en une seule dimension, et non dans plusieurs. Comme dans un cercle dont on fait le tour en revenant toujours au même point. La culture grecque, la civilisation grecque ont cassé ce cercle et créé l’Europe. L’Européen est celui qui voit les choses dans plusieurs dimensions, sur plusieurs plans.
C’est parce qu’il a voulu rester dans l’euro à tout prix qu’Alexis Tsipras a signé ce nouveau mémorandum que vous contestez et que le peuple n’a plus le pouvoir !
Ne fallait-il pas qu’il se retire ? Tsipras lui-même a dit : « J’ai commis un acte dont je ne voulais pas. » Alors pourquoi l’a-t-il fait ? Cet accord est mauvais ! Si nous devons prendre un bateau et qu’il a des trous, que nous savons qu’il va couler, pourquoi monter à bord ? C’est schizophrène !
“Nous nous sommes libérés le 12 octobre 1944. À ce moment, nous avions le pouvoir entre nos mains.”
Mais dans la zone euro, est-il possible d’imposer les changements qu’implique votre raisonnement ?
Ce n’est pas possible tel que l’euro est conçu aujourd’hui. Il y a 2 300 ans, Ménandre disait que le prêt est une forme d’esclavage de l’être humain. Plutarque, trois cents ans plus tard, disait qu’emprunter était insensé. Le peuple grec le sait bien. Bien que ce ne soit pas lui qui a créé la crise, il en a payé le prix. En témoignent le million et demi de chômeurs, les fermetures de magasins, ou encore la pauvreté qui frappe 50% de la population. Mais si nous gagnons les élections, qui nous demandera de ne pas obéir à la volonté populaire ? Qu’est-ce qui est le plus important ? La volonté du peuple ou celle des dirigeants ? Qui nomme le FMI ? Les Etats et pas le peuple. La BCE, est-ce le peuple qui l’a choisie ? Ses membres sont nommés ! De même en Grèce, c’est toujours le gouvernement qui nomme les dirigeants de la banque de Grèce et celui de la Banque centrale. Il faut socialiser les banques pour que le peuple joue un rôle.
Au regard de votre histoire, comment voyez-vous la situation de la Grèce aujourd’hui ?
Nous nous sommes libérés le 12 octobre 1944. À ce moment, nous avions le pouvoir entre nos mains. Le parti communiste grec avait une énorme assise. Il avait décidé que le peuple élirait les tribunaux populaires et les organes d’administration dans les villes, départements et régions. Mais, au sommet de l’Etat, le pouvoir était gardé par le parti de façon excessive et celui-ci a accepté, par l’accord du Liban, un gouvernement d’union nationale. J’étais un militant, un combattant à l’époque. Quand nous discutions entre nous, aucun ne voulait du Liban. Faudrait-il aujourd’hui que j’accepte le Liban ? Ce n’est pas possible. En aucun cas.