DES RAYAS, OU SUJETS TRIBUTAIRES DE L’EMPIRE OTTOMAN, ET SPÉCIALEMENT DES GRECS.
Les sujets tributaires dans les pays soumis à la Porte Ottomane se partagent en trois nations : les Grecs (Roum), les Arméniens (Ermèni), et les Israélites (Yahoudi). Elles diffèrent en tout, culte, langue, usages et caractère. Chacune a son chef spirituel ; ceux des deux premières prennent le titre de patriarche (patrik) ; celui des Juifs est appelé grand rabbin (khakham-bachi). Ces chefs, à la fois religieux et civils, sont élus par les notables de leur nation, laïcs et clercs ; mais ils doivent être confirmés par le Sultan. En vertu de leur juridiction spirituelle et temporelle, ils ont le pouvoir de soumettre à des peines ecclésiastiques les individus de leur rit ; ils possèdent le droit de les faire emprisonner et exiler, sans autre formalité que celle d’en instruire le gouvernement par un simple rapport, où ils ne sont pas même tenus de motiver leur arrêt[1].
Les sujets tributaires jouissent de la liberté des cultes ; c’est une concession de la loi en faveur des livres sacrés des chrétiens et des juifs. Cependant ils ne peuvent avoir d’autres temples que ceux qui leur furent laissés à l’époque de la conquête. Les fetvas, ou déclarations juridiques du mufti Bèhdjé-Abdullah-Effendi, disent positivement que « les sujets chrétiens peuvent, avec la permission du souverain, réparer ou reconstruire leurs églises ; mais que, dans ce dernier cas, il faut que le nouvel édifice soit bâti sur le même sol, sur le même plan et les mêmes dimensions que l’ancien. » Les musulmans permettent aussi de réparer les monastères, et même de les réédifier lorsqu’ils ont été incendiés, pourvu qu’on n’excède point les anciennes dimensions. Ils défendent à tout officier public de contrarier l’effet de ces dispositions par des chicanes, soit pour faire preuve de zèle, soit pour extorquer de l’argent[2].
Il est donc interdit aux chrétiens de fonder de nouvelles églises ; la loi le défend, et le fanatisme religieux de la nation dominante ne permet pas au gouvernement d’user d’indulgence à cet égard. On cite toutefois un exemple remarquable d’une faveur de ce genre accordée aux chrétiens. En 1642, les Grecs de Brousse l’obtinrent de la protection du grand-visir Kara-Moustapha-Pacha. Il est vrai que, sans la fermeté de ce ministre, cette cession leur eût été funeste ; car la populace de Brousse, excitée par le kadi, démolit de fond en comble, non-seulement la nouvelle, mais encore trois anciennes églises. Le grand-visir fit punir sévèrement les chefs de cette émeute, et autorisa les chrétiens de Brousse à réédifier leurs quatre églises[3].
Le patriarche grec de Constantinople occupe un rang supérieur à celui des patriarches de Jérusalem, d’Alexandrie et d’Antioche, qui lui sont soumis à certains égards[4]. Il est assisté par dix métropolitains, qui forment un synode permanent. Ses droits et ceux de l’église grecque sont déterminés et confirmés à chaque élection par le diplome d’investiture. La Porte respecte ordinairement le caractère des patriarches. Jusqu’à ce jour, trois de ces pontifes cependant ont été mis à mort, les deux premiers sous le règne de Mohammed iv, en 1651 et en 1657, et le troisième, en avril 1821, sous sultan Mahmoud ii, aujourd’hui régnant. Ils étaient tous accusés d’avoir manqué à leurs devoirs de fidélité envers le gouvernement[5].
Le document qui va suivre fera connaître l’organisation singulière de cette puissance religieuse, qui forme un gouvernement à part dans le gouvernement turc, et crée, en quelque sorte, une immense république grecque au milieu de l’empire des sultans.
« Commandement décoré du chiffre noble et auguste du plus glorieux des sultans ; ordonnance revêtue du monogramme haut et sacré du plus majestueux des khakans, etc.
» Le djèma’at (synode) des dix métropolitains grecs, établi à Constantinople, notre capitale impériale, a fait présenter à notre glorieuse Porte un arzou-hal (requête) en forme de pétition, par laquelle il représente humblement que le patriarche grec (N.), ayant été déposé et envoyé en exil, à cause de sa conduite répréhensible, de sa négligence à remplir les devoirs de sa place, de l’accroissement des dettes du patriarcat au détriment des pauvres sujets, et de son incapacité dans l’exercice de ses fonctions, surtout en matières importantes, il avait été nécessaire de nommer à sa place un autre patriarche ; que cette nomination est soumise à des réglemens qui exigent que l’élection d’un patriarche grec soit faite avec impartialité, et toujours en faveur d’un homme sage, prudent, zélé, digne de la confiance de notre Sublime Porte, soigneux à mériter sa haute approbation, capable de gouverner, de surveiller, de contenir ses nationaux dans toute l’étendue de notre glorieux empire ; possédant enfin les qualités requises pour s’acquitter, avec succès et à l’entière satisfaction de notre cour impériale, de toutes les fonctions, de tous les devoirs de sa place : qu’en conformité de ces réglemens et de l’ordonnance impériale rendue à ce sujet, les chefs de la nation s’étaient assemblés pour prendre cette affaire en mûre considération, et qu’à la suite de délibérations bien méditées et bien pesées, ils avaient, d’une voix unanime, et selon les statuts de leur rit, fait tomber leur choix sur la personne du métropolitain de ****, possesseur du présent bérat impérial, le plus excellent parmi les seigneurs qui croient au Messie, le plus magnifique parmi les grands qui professent le christianisme, le rahib (religieux) NN… (dont la fin soit heureuse), comme sur un homme qui réunit en sa personne les qualités nécessaires au patriarcat, qui est digne de ce siége par son âge, par sa sagesse, son zèle, son intégrité, et sa capacité supérieure dans l’administration des affaires de sa nation ; qu’ainsi ledit synode adressait ses instances à notre Sublime Porte, pour que le patriarcat grec de Constantinople et de ses dépendances fût conféré audit NN., et qu’un diplome impérial fût expédié en sa faveur, contenant les mêmes clauses, droits et prérogatives que d’usage.
» Sur cet exposé, l’on a eu recours aux registres du Piscopos-Kalemi (bureau des évêques), et ces registres constatent que le patriarche grec de Constantinople et de ses dépendances est tenu, 1o à une redevance annuelle de vingt-quatre ïuks (vingt mille piastres[6]), payables à notre trésor impérial, en quatre termes à compter du 1er mars de chaque année, avec les droits usités de 10 p. 100 ; 2o à une taxe de cent cinq ocques[7] de viande de mouton, à remettre chaque jour à l’odjak du corps des bostandjis de notre palais impérial ; 3o à une imposition de quatre-vingt-dix mille aspres (sept cent cinquante piastres), payables dans le mois de muharrem (premier mois lunaire) de chaque année, savoir : soixante-cinq mille neuf cent quarante aspres pour la solde des nouveaux azab (gardiens armés) établis à Derbend-Khan, du capitanat de Yèni-Bazar, dans le sandjak de Bosnie, et les vingt-quatre mille soixante aspres restans, à notre trésor impérial, également avec les droits usités de 10 p. 100 ; 4o à une redevance annuelle de soixante-trois mille aspres (treize cent cinquante-huit piastres), payable également dans le mois de muharrem, à notre trésor impérial, avec les droits usités de 10 p. 100, pour le patriarcat d’Ipèk, qui, comme celui d’Okhri, se trouve annexé au patriarcat de Constantinople et de ses dépendances.
» Prenant donc en considération la demande dudit synode, ses représentations, ses instances, le témoignage qu’il rend au zèle, aux vertus et aux talens dudit NN. et les extraits tirés des susdits registres, nous avons ordonné l’expédition de ce diplome impérial, en vertu duquel nous conférons au susdit NN., en la place du destitué N., le patriarcat de Constantinople et de ses dépendances, en lui permettant d’en prendre possession, suivant l’ancien usage et sur le même pied que ses prédécesseurs.
» En conséquence, nous ordonnons aux métropolitains, archevêques et évêques de toutes les villes de notre vaste monarchie (ici suit l’énumération de ces prélats), ainsi qu’à tous les custodes, prêtres, religieux, religieuses et généralement à tous les sujets du rit grec, de tout état, de tout rang, de toute condition, de reconnaître le susdit NN. pour leur patriarche, de recourir à lui pour tous les objets qui ressortent de sa juridiction, de respecter son autorité pastorale, d’être dociles à ses admonitions, de l’écouter lorsqu’il tiendra le langage de la raison, de lui obéir, enfin, selon les droits de sa dignité et les devoirs du rit qu’il professe.
» Nous entendons que le patriarcat lui soit conféré à vie ; que ni la faveur, ni l’offre d’une addition quelconque aux droits annuels, ne puissent jamais lui faire substituer qui que ce soit ; qu’il ne puisse être déposé que dans le seul cas de prévarication, s’il vexe les sujets, s’il se permet des actes contraires au rit et aux usages de sa nation, ou s’il manque de fidélité envers notre glorieux empire.
» Nous voulons, en conformité de l’ancien usage et des réglemens précédens, que lors de la vacance du siége patriarcal, le synode, composé des métropolitains les plus voisins de notre capitale impériale, tels que ceux d’Héraclée, de Cyzique, de Nicomédie, de Chalcédoine, et de tous les métropolitains résidant à Constantinople, ait la liberté de procéder, suivant l’usage, à l’élection d’un nouveau patriarche, toujours en faveur d’un métropolitain, lequel patriarche, nouvel élu, recevra l’investiture requise par le diplome accoutumé, à suite du rapport officiel que ledit synode aura fait sur cet objet à notre Sublime Porte.
» Nous ordonnons qu’en cas de plaintes ou de réclamations contre le susdit patriarche, notre Sublime Porte n’y donne attention qu’autant qu’elles seront faites par tout le synode, d’une voix unanime ; que les lamentations particulières d’un métropolitain, ou les accusations d’un simple individu, soient soumises à l’examen et à la discussion du synode même, tenu de faire à notre Sublime Porte un rapport exact et fidèle, d’après lequel justice sera rendue suivant l’exigence des cas.
» Nous ordonnons que le susdit patriarche exerce les droits de sa place absolument comme ses prédécesseurs ; que son administration ait lieu avec le concours et la participation de tous les métropolitains du synode ; qu’il agisse en tout d’un concert parfait avec eux, et qu’il jouisse d’une entière liberté dans l’exercice de ses pouvoirs ; que nul individu (hors les membres ordinaires du synode) ne puisse jamais former la prétention de s’immiscer dans les affaires qui sont du ressort unique et absolu du patriarcat ; que tout ce qui concerne l’administration générale de la nation grecque dans toute l’étendue de l’empire, la direction des églises, des couvens et des monastères, leur économie civile, leurs rentes et leurs dépenses, soit, comme auparavant, de la compétence seule du patriarcat et du synode ; que pour prévenir des abus dans le maniement des deniers de chaque couvent, et par là des déprédations et des vexations au dam et préjudice des sujets, aucun emprunt ne puisse se faire sans la connaissance du synode, et sans l’apposition du cachet des métropolitains sur toute obligation quelconque ; que cette règle soit générale pour tous les couvens existans dans l’empire ; à quel effet un cachet commun, un sceau synodal (Kèchich-khânè-muhuri[8]), sera déposé dans le lieu où siége le synode, et remis entre les mains des métropolitains que le synode lui-même désignera, et cela en conformité des dispositions contenues dans une ordonnance impériale qui a été rendue à la demande expresse dudit synode, et enregistrée au bureau Piscopos-Kalemi, réglement qui avait d’ailleurs pour objet principal de faciliter à la nation les moyens de se libérer de ses dettes considérables, soit envers plusieurs wakoufs[9], soit envers des indigens, et surtout des veuves et des orphelins.
» Nous voulons que le patriarche et le synode aient seuls le droit de nommer et de constituer des métropolitains, des archevêques et des évêques ; qu’ils aient le pouvoir de faire occuper ces places, lorsqu’elles sont vacantes, par des personnes recommandables, en procédant à leur élection en toute liberté, sans que la faveur, l’intercession, ni des sollicitations étrangères puissent y influer ; que sur le rapport qu’ils en feront par un office formel, muni du sceau synodal, et immédiatement après le paiement à notre trésor impérial, des droits usités, leurs diplomes soient dressés et expédiés, afin que chacun d’eux prenne légalement possession de sa charge ; que le patriarche et le synode aient ainsi faculté entière de disposer à leur gré de ces offices, et de statuer sur tout ce qui concerne les prêtres, les religieux, les religieuses ; de constituer et de destituer, de placer et de déplacer comme bon leur semble, sans que personne autre puisse s’y immiscer en aucune manière ; que toutes plaintes qui seraient faites contre ces prélats, et toutes demandes relatives à leur destitution ou à leur exil, au nom des gouverneurs ou des magistrats de provinces, soient regardées comme mal fondées et non avenues, à moins qu’elles ne soient appuyées d’une requête formelle de la part du patriarche et du synode ; que toutes dispositions faites sur ces objets, ou sur d’autres qui y seraient analogues, soient nulles et de nul effet, quand même les réclamans auraient en mains des fermans de notre Sublime Porte, fermans que l’on doit toujours regarder comme obtenus par surprise, quelle que soit la date de leur expédition, antérieure ou postérieure aux pièces d’usage délivrées sur la demande officielle du patriarche et du synode ; que les métropolitains, archevêques et évêques ne puissent se rendre à Constantinople, aller et venir, sans la permission du patriarche ou du synode ; qu’aucun des autres patriarches de la nation ne puisse non plus se rendre à Constantinople pour y suivre en personne ses affaires, sans avoir, au préalable, l’agrément formel du susdit patriarche et du synode ; que ceux-ci aient encore le pouvoir de punir, selon les règles de leur discipline, tout métropolitain, archevêque, évêque, prêtre, religieux et religieuse de leur juridiction, qui serait coupable d’une prévarication quelconque ; que le patriarche et les métropolitains aient aussi le pouvoir de sévir contre les prêtres qui, étant voués à l’état monastique, mènent une vie errante et vagabonde, s’écartent des devoirs de leur état, et se livrent à des menées propres à égarer les esprits ; que personne ne puisse jamais s’opposer aux corrections que méritent de tels religieux, ni aux mesures prises par leurs supérieurs pour les faire rentrer dans leurs monastères, leurs anciennes retraites.
» Nous ordonnons encore que le patriarche et ses vicaires légitimes aient seuls le droit de prononcer sur le mariage des sujets grecs, et sur les cas qui, suivant leur croyance, doivent former ou dissoudre les nœuds conjugaux ; qu’ils aient le pouvoir de décerner des punitions également conformes à leur rit, contre tout religieux qui ose prêter son ministère à des mariages, selon eux, illégitimes ; qu’ils aient celui de sévir contre les laïcs qui sont en litige pour cause de mariage ou de divorce, ou pour autres causes relatives aux pratiques de leur culte, de les soumettre au serment religieux, ou de les frapper d’anathèmes, sans que personne, parmi les magistrats, les gouverneurs, ou autres officiers publics, pacha, mirimiran, miri-liva, kadi, naïbs, waïvoda, sou-bachi, khassèki, ousta,[10] etc., puisse s’en formaliser ou s’y opposer, sous quelque prétexte que ce soit ; qu’ils aient encore le pouvoir d’empêcher la répudiation arbitraire, la bigamie, le mariage de toute personne veuve qui a déjà eu trois maris ou trois femmes, actes qui sont contraires à leur rit, et d’en punir les coupables selon l’exigence des cas et de leur discipline particulière, en leur interdisant l’entrée des églises, la sépulture même, sans qu’aucun des officiers publics puisse s’y opposer, ni donner des ordres contraires ; qu’enfin nul sujet n’ait la liberté de se marier contre les statuts de son rit, ni dans son district, ni dans aucun autre ; que nul homme puissant ne violente à ce sujet aucun prêtre, ni ne s’adresse au patriarche ou à un métropolitain quelconque, pour exiger la destitution d’un prêtre en faveur d’un autre.
» Nous ordonnons encore que personne, à moins d’avoir en mains un ordre impérial, ne puisse inquiéter ni le patriarche, ni les métropolitains, ni les archevêques, ni les évêques, ni aucun prêtre, dans la possession de leurs anciennes églises et de leurs anciens couvens, ni pour les réparations nécessaires à ces édifices, lorsqu’elles soit faites d’après l’ancien plan, et les anciennes dimensions, et avec la permission formelle des magistrats ; que jamais aucun officier public ne se permette de donner des ordres arbitraires, ni de faire des visites domiciliaires dans les couvens, ni dans les églises ; qu’il soit permis au patriarche, aux métropolitains, et à tout religieux quelconque de lire chez lui le saint Évangile, mais à voix basse, et de faire usage du siége et du bâton pastoral, sans que personne puisse les molester ou les vexer sur ce point, ni celui de dire la messe (lithouria) dans une chambre ou dans une maison de leur propriété, de suspendre des lampes, d’allumer des cierges, d’exposer des images, de brûler de l’encens, d’observer enfin les pratiques de leur culte. Les inquiéter ou leur extorquer de l’argent pour ces objets, serait un acte contraire à la justice et aux principes de nos saintes lois.
» Nous ordonnons encore que ledit patriarche ait, avec la libre possession des églises appartenant au patriarcat, celle de tous les immeubles et biens-fonds qui en dépendent, tels que jardins, vignes, prés, prairies, métairies, couvens, moulins, maisons, boutiques, lieux destinés à des assemblées religieuses ou à des actes de dévotion, bestiaux et effets quelconques, y compris tout ce qui est consacré aux églises, à titre d’aumône ou de donation pieuse ; si les vicaires des églises et des couvens manquent à leurs devoirs, et divertissent les revenus confiés à leurs soins, que le patriarche et les métropolitains aient le pouvoir de leur en demander compte, et de procéder contre eux, selon l’exigence des cas et des circonstances, sans que personne puisse les empêcher.
» Nous voulons encore que ledit patriarche ait la liberté de préposer des commissaires, et de les expédier dans les provinces, pour la perception des droits ordinaires auxquels sont tenus envers le patriarcat les métropolitains, archevêques, évêques, prêtres et autres ; que ceux-ci n’élèvent jamais des difficultés pour le paiement de ces droits, suivant l’ancien usage ; que lorsqu’ils s’y refusent, le patriarche et le synode aient le pouvoir de les punir ; de leur faire couper les cheveux, de les destituer, et de disposer de leurs places en faveur d’autres sujets ; que les magistrats et les officiers publics prêtent assistance auxdits collecteurs, et les secondent dans les opérations relatives à leur mission ; que partout ces collecteurs soient protégés efficacement ; qu’il leur soit permis, pour plus de sûreté dans leurs courses, de changer de costume, de porter des armes, et d’avoir pour escorte des coulaghour (guides), d’un district à l’autre, sans qu’aucun officier public ou guide puisse les molester à cet égard, ni exiger d’eux la moindre rétribution, pas même à titre de présent ; que les métropolitains, archevêques et évêques soient également attentifs à payer les droits publics, conformément à l’état qu’ils ont en mains, signé du patriarche et du synode ; et lorsque n’ayant pas les moyens de donner des espèces effectives, ils paient leurs droits en effets et marchandises, que ni ces effets, ni même l’argent qui serait entre les mains de leurs préposés ne soient soumis, dans leur transport, ni aux droits de transit, ni à aucune taxe quelconque, soit sur le continent, soit dans les ports de mer ; que les mêmes exemptions soient accordées pour les blés, les huiles, et autres articles que les sujets eux-mêmes donnent à leurs métropolitains, archevêques et évêques, suivant un ancien usage, et en paiement des droits publics ; que le produit des vignes appartenant au patriarcat, et tout ce qui est donné au patriarche par ses nationaux, à titre de présent et d’aumône, en effets ou en comestibles, tels que raisins, miel, huile, etc., puisse être aussi transporté librement, sans aucun droit de douane ni de péage, pas même aux portes des villes ; qu’indépendamment des droits publics auxquels sont soumis tous les sujets grecs, ecclésiastiques et laïques, ils aient encore à payer, tous les ans, dix ou douze aspres, et les prêtres, un sequin (330 aspres), savoir : ceux des districts dépendans du patriarcat de Constantinople, en faveur du patriarche, et ceux des autres cantons, en faveur du métropolitain ou de l’archevêque de province ; que la perception de tout droit quelconque, fondé sur un ancien usage, ne puisse jamais devenir un motif de vexations de la part des officiers publics envers les métropolitains, archevêques et évêques, ce qui doit également être inséré dans le bérat de chacun de ces prélats ; que si, à l’époque de la perception des droits publics, plusieurs familles se trouvent réunies dans une maison, chacune d’elles n’en soit pas moins tenue aux droits qui la concernent, attendu que les réglemens parlent de feux, de familles ; que les droits usités soient également payés par ceux qui habitent les terres des seigneurs ou les fiefs militaires, tels que les ziamet et les timar ; que dans aucun cas, ni la circonstance de leur habitation dans ces terres, ni leur engagement au service de ces seigneurs territoriaux, ne puissent les exempter des droits publics.
» Nous voulons encore que généralement tout Grec, de l’un et de l’autre sexe, soit ecclésiastique, soit laïque, ait la liberté de faire des legs, jusqu’à concurrence du tiers de sa succession, au patriarche, aux métropolitains, aux prêtres, aux églises, aux couvens, aux séculiers, aux pauvres, et que ces legs soient respectés ; que le témoignage des Grecs sur ces objets soit recevable en justice, et que les réclamations juridiques des légataires aient leur plein effet contre les héritiers des testateurs ; que lorsque le patriarche et ses vicaires recueillent, pour compte du trésor public, la succession en argent comptant, en effets ou en bestiaux, des métropolitains, évêques, prêtres, religieux et religieuses, nul magistrat, collecteur ou officier public ne puisse y faire des oppositions ou des réclamations, par aucun motif ni sous aucun prétexte que ce soit ; que les droits ecclésiastiques connus sous le nom de parissïa et de prothessi soient également perçus des héritiers de tout sujet grec, et, au besoin, avec la connaissance et par l’autorité de la justice.
» Nous ordonnons encore que tout procès concernant le patriarche, les métropolitains, les archevêques, les évêques, leurs vicaires et leurs gens, ne puisse être porté que devant notre divan impérial, et jamais devant aucun autre tribunal ; que dans toutes les circonstances où il serait nécessaire de s’assurer par voie juridique de la personne d’un métropolitain ou de tout prêtre quelconque, son arrestation ne puisse avoir lieu qu’avec la participation du patriarche, et que dans aucun cas personne ne puisse user de violence envers un sujet grec pour l’engager à embrasser l’islamisme.
» Nous voulons encore qu’excepté les rétributions fixes qui doivent être payées ponctuellement chaque année, ledit patriarche soit libre de tout impôt quelconque, sans que personne puisse rien exiger de lui, sous quelque dénomination ou prétexte que ce soit ; que son agent auprès de notre Sublime Porte, et quinze autres sujets attachés à son service soient exempts, comme par le passé, du Kharadj (capitation), et de toute taxe quelconque ; que vu la réunion au patriarcat de Constantinople, de ceux d’Ipèk et d’Okhry, qui jouissaient d’une pareille concession, l’un pour sept, et l’autre pour quinze personnes, la même faveur soit accordée au susdit patriarche ; que personne ne puisse jamais le molester pour son bâton pastoral, ni pour aucun objet concernant le rit de la nation, et les pratiques de tout temps observées par elle ; que toutes ses requêtes, munies du sceau synodal, soient prises en considération par notre Sublime Porte, ainsi que les représentations qui auraient pour objet les dettes du patriarcat ; qu’il ait à son service, et lui et le synode, telle garde que bon leur semble, sans qu’aucun des kapou-koulleri (miliciens) de notre capitale impériale puisse les molester à ce sujet ; enfin, que nul individu n’ose inquiéter en rien le susdit patriarche dans la prise de possession de sa nouvelle dignité, ni dans l’administration de tout ce qui est du ressort du patriarcat grec de Constantinople et de ses dépendances. »
Écrit le… de la lune de… an… dans la résidence de Constantinople la bien gardée.
- C’est par l’organe de ces hauts primats que la Porte fait publier toutes les ordonnances qui concernent leurs coréligionnaires. En conséquence, elle les rend responsables toutes les fois que ceux-ci deviennent coupables d’un délit dont la répression immédiate leur appartient, conformément au diplome de leur investiture.
Il y a une grande similitude entre la situation des papes vis-à-vis des empereurs romains, et celle des patriarches vis-à-vis de la Porte. Lorsque sultan Mohammed ii, devenu maître de Constantinople en 1453, installa lui-même Gennadius sur le trône patriarcal, il s’attacha à suivre les usages du peuple vaincu, pour l’élection du pontife suprême, et constitua entre ses mains cette vaste puissance spirituelle et temporelle dont le cercle embrasse les diverses populations attachées à l’église grecque. En refusant d’adopter la religion des vainqueurs, celles-ci renoncèrent par cela même à la plénitude des priviléges qui appartiennent aux seuls musulmans. - Toutes les églises sont dotées en biens-fonds, rentes, etc., et leurs revenus vont toujours croissant, grâce aux legs et aux dons offerts par la piété. Lorsque les dépenses excèdent les revenus, les évêques y suppléent par une taxe qu’ils imposent à leurs diocésains, avec le concours des notables de la communauté ; mais il leur faut préalablement l’autorisation du synode qui siége à Constantinople.
- Cette interdiction ne frappe pas rigoureusement tous les points de l’empire. Les îles de l’Archipel, et, en général, les lieux qui ne sont habités que par des chrétiens, jouissent à cet égard de priviléges stipulés par écrit, ou confirmés par des usages sacrés. Nous disons usages sacrés, pour faire comprendre jusqu’à quel degré s’étend le pouvoir de l’usage dans un pays où l’on répète chaque jour le proverbe suivant : Kan eïlè, adét étmè ; laconisme énergique, difficile à rendre en français, et qui signifie qu’il vaut mieux verser du sang que de laisser établir un usage (sanguinem fac, noli usum instituere)
- Il est bon de rappeler ici que la suprématie du patriarche de Constantinople était reconnue jadis dans l’empire russe. Mais, à la demande du czar Fédor i Ivanovitsch, sultan Murad iii permit au patriarche Jérémie de se rendre à Moscou, où il sacra, en 1589, l’archevêque de cette capitale, et l’installa patriarche de toutes les Russi
- Yafta (écriteau de condamnation) du dernier patriarche grec.« Comme il est du devoir prescrit à tous les chefs et directeurs de telle nation que ce soit, de surveiller jour et nuit les individus qui sont sous leur inspection, d’être informés de toutes leurs actions, et de communiquer au gouvernement tout ce qu’ils pourraient découvrir de mauvais, les patriarches, ayant été installés comme chefs et directeurs des sujets qui vivent tranquilles à l’ombre de la puissance impériale, doivent, les premiers, être sans reproche, droits, fidèles et sincères ; et après avoir reconnu les bonnes et les mauvaises inclinations du peuple, prévenir à temps le mal, en y adaptant à propos les avertissemens, les conseils, ainsi que les châtimens en cas de besoin, d’après leur religion, et en s’acquittant de cette manière d’une partie de la reconnaissance qu’ils doivent à la Sublime Porte pour tant de faveurs et de priviléges dont ils jouissent sous son ombre bienfaisante.» Mais le perfide patriarche grec, quoique dans le passé il eût donné des marques apparentes de loyauté, ne pouvait ignorer le complot de sa nation, complot imaginé par des pervers qui sont en oubli d’eux-mêmes, et qui ne suivent que des chimères et des suggestions diaboliques ; sachant lui-même, et obligé de le faire savoir à ceux qui ne le savaient pas, qu’il s’agissait d’une entreprise vaine, dont on ne viendrait jamais à bout, et que les mauvaises intentions contre la religion et la puissance mahométanes (stables devant Dieu depuis plus de mille ans, et qui dureront jusqu’au jour du jugement comme les prédictions et prodiges célestes l’assurent), ne se réaliseront jamais. Cependant, d’après la perversité de son cœur, non-seulement il n’a pas averti ni réprimandé les simples qui s’étaient laissé séduire ; mais, selon l’apparence, lui-même, derrière le rideau, agissait secrètement comme chef de la révolte, de manière que peu s’en est fallu que la nation entière des Grecs, et par conséquent beaucoup d’innocens, de pauvres et malheureux sujets, qui n’avaient eu connaissance de rien, n’eussent été entièrement détruits, et ne fussent devenus l’objet de la colère divine.» Lorsque la police fut avertie de cette trame, et qu’elle fut aussi connue du public, la Sublime Porte, par un mouvement de commisération envers les pauvres sujets, avait essayé de les ramener par la douceur dans la voie de leur propre salut, et avait adressé au patriarcat un bouyourouldi contenant les dispositions et conseils nécessaires à ce sujet, avec ordre de lancer des anathèmes, dans toutes les contrées où ils seraient nécessaires, contre les sujets qui se déclareraient en état de rebellion : mais le perfide, loin de se raviser, et de rentrer le premier dans le devoir, a été, plus que tous les autres, la cause de tous les désastres qui ont compromis jusqu’à présent le repos et la tranquillité publique. On s’est assuré que lui-même, se trouvant Moraïte d’origine, a eu toute l’ingérence dans les troubles de la Morée, et les indignités commises dans le district de Calavritha, par des sujets séduits ou égarés ; il sera la cause de la ruine et de la destruction dont, Dieu aidant, les coupables seront frappés. » Convaincu donc de trahison, non-seulement envers la Sublime Porte, mais encore envers sa propre nation, il était nécessaire que son impure existence fût ôtée de la face de la terre, et il a été pendu pour servir d’exemple aux autres, le 19 de redjeb 1236 (22-10 avril 1821), jour de dimanche (Pâque). »
- La piastre turque, grovch, composée de 120 aspres ou de 40 paras de 3 aspres chacun, valait en 1768, 3 francs de notre monnaie. La guerre entre la Porte et la Russie, qui finit en 1774, fut cause d’une première altération qui aida à payer aux Russes les frais ou indemnités de cette guerre, déjà si désastreuse pour l’empire ottoman. — En 1803, après la paix avec la France, la piastre valait encore, dans les transactions commerciales, de 30 à 33 sous. — Depuis cette époque, elle a essuyé des altérations successives si multipliées et si grandes, qu’elle vaut à peine aujourd’hui 40 centimes.
- L’ocque, de 400 drachmes, équivaut à 1280 grammes, ou environ 2 livres 9 onces, poids de marc.
- Ce sceau est rond et coupé en quatre ; on y lit en caractères turcs : les serviteurs, le patriarche grec de Constantinople, et les métropolitains du synode siégeant dans la capitale.
- Wakoufs, biens de main-morte ou inaliénables, appartenant à des fondations pieuses ou civiles. Il y en a de trois espèces, soumis à de faibles redevances pour ceux qui en sont devenus acquéreurs usufruitiers.
Pacha : lieutenant-général.
Miri-Miran : maréchal-de-camp.
Miri-Liva : officier militaire commandant un canton ou département.
Kadi : juge.
Naïb : juge substitué, lieutenant du kadi.
Waïvoda : gouverneur de ville.
Sou-Bachi : chef de police.
Khasseki et Ousta : noms d’officier subalterne.