Le département de l’Audiovisuel de la BnF vous propose une escale sonore en Grèce : découvrez la beauté de ses traditions musicales contrastées en écoutant une sélection d’enregistrements issus de nos collections patrimoniales.
Athènes, hiver 1930. Un solo envoûtant de clarinette s’élève au sein des locaux de l’Institut Français de la rue Sina. Un violon et un laouto l’accompagnent. Trois musiciens épirotes d’origine tsigane, formant un petit ensemble traditionnel grec appelé kompania, interprètent plusieurs morceaux de leur répertoire. Ils sont originaires de Ioannina, ville importante de la région de l’Épire, au nord-ouest de la Grèce, frontalière de l’Albanie actuelle.
Solo de clarinette, avec violon et laouto : danse épirote.
Interprètes : N. Tsaras, K. Benatsis, B. Lalos.
Le laouto est un luth que l’on peut rapprocher de la mandoline
Mission phonographique de 1930.
Photographie de terrain : on peut reconnaître Melpo Merlier et Hubert Pernot aux côtés d’une interprète
(Archives photographiques du département de l’Audiovisuel – BnF)
La couleur musicale de cet enregistrement épirote peut surprendre au premier abord mais ce serait oublier que la musique grecque est indissociable de son histoire : cette musique est une et plusieurs, intégrant les accents musicaux d’autres régions de l’Europe et de l’Asie, mémoire des empires byzantin et ottoman, de l’ancienne grande Macédoine aux rives de la mer Noire, de l’antique Anatolie aux îles égéennes, jusqu’aux rives de Chypre.
Et c’est entièrement l’objectif de cette campagne d’enregistrements : comprendre, restituer et sauvegarder la richesse de l’expression musicale grecque. Ce patrimoine musical traditionnel, comme beaucoup d’autres en Europe, tend alors déjà à s’effacer peu à peu, vacillant sous les poussées de la modernité. Il incarne aussi la mémoire des millions de réfugiés grecs d’Asie Mineure, déplacés suite au conflit armé gréco-turc : en 1922, plus d’un million de grecs ont retraversé l’Égée pour se disperser dans toutes les régions de Grèce territoriale et dans le monde, emportant avec eux les sonorités et les mots de leurs villes et villages natals.
Dilim dilim dili… : chant de Cappadoce (paroles turques)
Interprète : Kharikhleia Khanakhi, chant et tambourin (défi) ; Th. Khatzèsimeonidou, bouzouki (luth)
Moi je ferre mon cheval… : chant de Cappadoce (Turquie actuelle)
Interprète : Paraskevas Mezartzik, chant et acc. d’outi (oud grec)
Musique de danse d’origine serbe, jouée sur l’île de Siphnos (Cyclades)
Interprètes : Ioan. Antilabis, violon ; D. Blakhopoulos, santouri
Interprètes : Manolis Niotis, lyre ; Komninos Papanikolaou, laouto ; acc. vocal
Les mantinades sont des chants traditionnels caractéristiques de la culture crétoise, largement diffusées dans les autres îles égéennes
Ces enregistrements de traditions musicales grecques, donnant à entendre des interprètes « amateurs » pour la plupart, ont été initiés bien avant cette campagne d’Athènes : les collections de la BnF conservent les premiers enregistrements d’Hubert Pernot réalisés sur l’île de Chio entre 1898 et 1899, à l’aide d’un petit graphophone Columbia à cylindres ainsi que des disques 78 tours produits à Paris dans les studios de l’Institut, entre 1924 et 1928.
Tourna. Interprètes : Marika Papagika & Co.
Disque Columbia acquis auprès du disquaire parisien Artinian de la rue Lesage, dans les années 1960
Marika Papagika est arrivée à New-York en 1915, comme beaucoup de réfugiés grecs de l’Asie Mineure. Son mari, Kostas Papagika, est un joueur de cymbalum (instrument à cordes frappées, très proche du santouri grec) et l’accompagne avec d’autres musiciens. Son répertoire est composé de chants traditionnels mais inclut aussi le rebétiko, cette musique populaire apparue dans les années 1920 en Grèce, incarnant l’expression musicale des populations grecques déracinées, les Micrasiates. Tout comme son homologue et concurrente Kyria Koula, Marika connaîtra un grand succès. Elle sera la première chanteuse grecque enregistrée aux Etats-Unis, dès 1918, par les studios new-yorkais de Victor Rec. et de la Columbia Rec. Sa carrière est florissante et Marika Papagika sera également propriétaire avec son époux d’un cabaret réputé à New-York, véritable scène artistique et politique de la communauté grecque, jusqu’à ce que la crise économique de 1929 mette fin à cette aventure musicale.
De nombreux autres enregistrements des traditions musicales grecques sont conservés dans les collections de la BnF : pour les découvrir, vous pouvez cliquer ici. Et pour conclure cette escale sonore, nous vous invitons à écouter un dernier enregistrement, une ravissante sérénade pour jeune mariée, interprétée par deux musiciens, joueurs de violon et de santouri, originaires de Siphnos, une île des Cyclades.
Sérénade à la nouvelle mariée. Interprètes : Ioan. Antilabis, violon ; D. Blakhopoulos, santouri
Enregistrement original de 1930 (AP-4336), édité par la Phonothèque nationale dans l’album Folklore et musique populaire d’Europe
Pour aller plus loin
Découvrez l’ des enregistrements de 1930 collectés lors de la mission phonographique en Grèce, conduite par Hubert Pernot et Melpo Logothétis-Merlier, assistés de Mady Lavergne, Samuel Baud-Bovy et Dimitrios Loukopolos : vous pourrez y écouter un panorama complet des traditions orales et musicales grecques (), de fêtes, de bergers, des saisons, chansons historiques et issues de la littérature grecque, , , chants religieux…), ainsi que des enregistrements du célèbre poète national , de , musicologue spécialiste de la musique byzantine et du chantre .
Recueillis à Athènes, ces enregistrements donnent une représentation très complète du patrimoine musical des cultures de la Grèce territoriale, mais aussi des cultures grecques de l’Asie Mineure et de la diaspora grecque. Sont représentées les régions suivantes : le , l’Attique, la Béotie et la Grèce centrale, l’Épire, la Macédoine, la Thessalie, la Thrace, la région de Trébizonde et les autres régions du Pont, l’Anatolie (régions de Kars), de l’Ionie et de la Cappadoce, les îles des Sporades, des Cyclades, du Dodécanèse et enfin, la Crète.
Mission phonographique en Grèce (1930)
En 1930, Hubert Pernot et une équipe scientifique franco-grecque réalisent la première grande campagne scientifique d’enregistrements des traditions musicales et vocales grecques.
En 1924, l’helléniste et spécialiste du grec moderne Hubert Pernot devient directeur de l’Institut de Phonétique et des Archives de la Parole, fondées par le linguiste Ferdinand Brunot, qui deviendront en 1927 le Musée de la Parole et du Geste.
En 1898 et 1899, Hubert Pernot effectue des premiers enregistrements de la langue et des traditions grecques sur l’île de Chio, à l’aide d’un petit graphophone Columbia à cylindres. A l’hiver 1930, il retourne en Grèce afin de réaliser, avec la collaboration du Centre des Archives ethnologiques musicales d’Athènes, une campagne phonographique d’envergure du patrimoine oral et musical grec.
Cette équipe franco-grecque est composée d’Hubert Pernot, de Melpo Logothétis-Merlier, musicologue, linguiste et fondatrice du Centre des Archives ethnologiques musicales d’Athènes, des musicologues et linguistes Mady Lavergne, Samuel Baud-Bovy et Dimitrios Loukopolos, ainsi que plusieurs ingénieurs de la maison Pathé qui finance le projet. Cette mission phonographique est la troisième réalisée par Hubert Pernot pour l’Institut de Phonétique, deux missions de collecte sonore ayant été réalisées en Roumanie en 1928 et en Tchécoslovaquie en 1929. Ces trois missions s’inscrivent dans un contexte national et international oeuvrant pour la reconnaissance et de l’institutionnalisation des arts et traditions populaires, dont les orientations ont été définies lors du Congrès international des arts populaires de Prague de 1928. Dans ces orientations figure la recommandation de l’enregistrement phonographique des chants et musiques populaires et de la création d’un répertoire de ces enregistrements.
En 1930, le gouvernement grec d’Elefthérios Vénizélos, un comité de personnalités grecques et Hubert Pernot, confient à Melpo Merlier la préparation de cette campagne d’enregistrements. Cette campagne aura comme objectif de recueillir la musique traditionnelle grecque, populaire et religieuse, avec une attention toute particulière portée à celle des populations grecques réfugiées d’Asie Mineure. En 1922, plus d’un million de réfugiés ont retraversé la mer Egée pour se disperser en Grèce territoriale et dans le monde.
La collection ainsi constituée se compose de 222 disques, répertoriant 573 chansons interprétées par des chanteurs originaires des provinces grecques les plus intéressantes et les moins explorées ; sur ces 573 chansons, 256 sont interprétées par des réfugiés de Thrace et de l’Asie Mineure et seront à l’origine de la création du Centre d’Études de l’Asie Mineure d’Athènes. Cette équipe enregistrera ainsi des chants de mariage, de fêtes, de bergers, des saisons, des chansons historiques et issues de la littérature grecque, des berceuses, des chants et musiques de danse, des chants religieux, ainsi que des enregistrements du célèbre poète national Kostís Palamás, de Simon Karas, musicologue spécialiste de la musique byzantine et du chantre Métropolitès Samou Eirènaios. Sont représentées les régions suivantes : le Péloponnèse, l’Attique, la Béotie et la Grèce centrale, l’Épire , la Macédoine, la Thessalie, la Thrace, la région de Trébizonde et les autres régions du Pont, l’Anatolie (régions de Kars, d’Ionie, de Cappadoce,…), les îles des Sporades, des Cyclades, du Dodécanèse et enfin, la Crète.
Autres ressources
- Les Collections sonores de la BnF et les missions phonographiques dirigées par Hubert Pernot
- Les costumes grecs (par P. Moraïtes, phot. à Athènes, don du marquis Davidsard en 1930)
- La Grèce en photographies (Fonds de la Société de géographie en dépôt à la BnF)