Communauté grecque des Alpes-Maritimes

Le développement du design grec contemporain

Des silhouettes de femmes grecques antiques, des visages de grands philosophes grecs, des colonnes doriques colorées en bleu, en jaune ou en rouge : ces teintes néon donnent immédiatement un coup de jeune et une allure moderne à ces figures hélleniques. Fabriqués à la main en Grèce, les objets de décoration de la marque SOPHIA Enjoy Thinking flirtent entre art et design et se vendent à travers le monde, notamment au musée du Louvre à Paris ou au British Museum à Londres.

Une saga créative démarrée en 2015 en pleine crise financière : « Je crois que ce qui a fait le succès du concept, c’est ce mélange de modernité et de référence à notre passé », explique la designer de la marque, Sandra Alevra. Mais si la réussite de Sophia a été très rapide, le développement du design grec prend, lui, beaucoup plus de temps.

Eternity Today, la collection créée par la designer Alexandra Alevra pour Sophia. Le précieux héritage classique prend la forme d’objets modernes et uniques fabriqués à la main.

D’abord, parce que le poids de la Grèce antique et de son esthétique a longtemps pu être écrasant. « Mais la nouvelle scène du design, quoique discrète, mûrit peu à peu. L’histoire de la nation grecque reste une influence majeure, mais elle est peu à peu digérée. Les jeunes designers sont prêts, par exemple, à réinterpréter des épisodes de la mythologie grecque ».

Marbre, céramique et broderies

La culture artisanale locale a aussi pu être un frein au développement du design. « Dans un pays où la tradition et la place de l’artisanat restent très fortes, beaucoup ont du mal à se dire réellement designers. Nombre d’artistes se placent entre artisanat et design sans faire de choix. Or, ce ne sont pas les mêmes métiers », explique Sergios Fotiadis, designer, cofondateur de l’agence We Design et pionnier de la réflexion sur l’objet-souvenir « made in Greece ».

Car les touristes sont nombreux à fouiner dans les échoppes d’Athènes ou les ateliers d’artistes des îles pour ramener objets en marbre, en céramique, broderies, trois incontournables du savoir-faire artisanal grec. Un héritage que les designers n’hésitent plus à retravailler. Ainsi, Ioanna Koulouri du studio Meet the Cat a façonné de magnifiques pendentifs en laiton (54 euros), qui sont en réalité de petites pièces de broderies, inspirées de l’enfance. « Les familles grecques se réunissent autour de la table tous les dimanches midi, une table toujours recouverte d’une nappe brodée par la grand-mère », explique la designer depuis son petit studio installé à Athènes.

Collier en or brodé de Ioanna Koulouri pour le studio Meet the Cat.
Lampes Bowling dessinées par Filio Pnevmatikou, fondatrice du label Marblellous.

Issue d’une lignée d’artisans travaillant le marbre, Filio Pnevmatikou s’est aussi plongée dans l’héritage familial et se dit « obsédée par ce matériau unique ». Sa lampe Bowling au design contemporain et épuré a été exposée sur le marché international, ce qui lui a permis de lancer le label Marblellous : « J’ai très vite voulu créer un label de jeunes designers qui ont tous en commun cette passion du marbre, avec l’envie de réinventer sa place dans les intérieurs grecs », raconte la designer. Ses productions renouvellent l’art de la table, introduisant le marbre dans des très beaux ronds de serviette, bougeoirs ou dessous-de-plat (à partir de 25 euros).

Une visibilité encore réduite

« Ces nouveaux talents cherchent aussi à créer une beauté durable, écoresponsable, et travaille sur le recyclage des matériaux », ajoute Tina Daskalantonaki, du Musée d’art cycladique. Visible notamment à la boutique du musée, le travail de Thalia Maria Silver interpelle avec ses cuillères au manche fait de simples galets, entre design et art brut. Le designer d’intérieur Spyros Kizis étonne, lui, avec son Artichair, une assise innovante fabriquée à partir d’artichaut sauvage transformé en une matière plastique écologique (500 euros). Sa carafe en céramique Birdy (80 euros), aux lignes minimalistes, est désormais un standard de sa nouvelle marque éthique et responsable Locul Design.

La chaise Artichair, dont l’assise est fabriquée à partir d’artichaut sauvage transformé en une matière plastique écologique, designée par Spyros Kizis, créateur de Locul Design.

Toutes dotées d’une boutique de vente en ligne, ces nouvelles signatures grecques ne sont pour le moment pas très exposées localement. A Athènes, qui reste pourtant l’endroit où il faut être vu, on ne trouve ces créations que dans quelques rares nouveaux concept stores comme Forget Me Not, installé au cœur du touristique quartier de Plaka, ou It’s all, oh so souvenir to me, une exposition misant sur la jeune création finalement devenue boutique.

Thessalonique a, elle, exercé depuis le milieu des années 1990 une forte influence en design, notamment graphique, avec plusieurs créateurs influents installés dans la deuxième ville du pays. Là aussi, des concept stores comme Onarion ou Hellofrom Thessaloniki, centrés sur les étoiles montantes du secteur, ont peu à peu vu le jour. Par ailleurs, nombreux sont les jeunes designers à fuir Athènes et son immobilier qui flambe pour des îles comme Sérifos ou Tinos. « Un nouveau mode de vie qui, accéléré par la pandémie actuelle, remet au centre la notion de bien-être, de bien vivre, pour de nombreux designers », explique Vasso Asfi, cocréatrice de Studiolav avec Loukas Angelou.

Ouverture aux autres cultures

Basés entre Londres et Athènes, les deux jeunes designers du Studiolav ne renient pas leurs influences grecques, mais essayent d’aller au-delà. Leur beau cabas en cuir et en étain réinventé Atlas Shopper (130 euros) rappelle les sacs à huile d’olive et à feta traditionnels. Toujours dans l’univers culinaire, le duo a imaginé des tampons aux formes géométiques pour la cuisine : des motifs chevrons ou pied-de-poule peuvent ainsi venir transformer vos pains, tartes ou biscuits faits maison en petites pièces de haute couture. Des créations réalisées en bois d’olivier, arbre sacré et hautement symbolique depuis la Grèce antique, à l’invitation de la galerie d’art Skoufa à Athènes.

Atlas Shopper, cabas en cuir et en étain inspiré des « tenekes », ces récipients alimentaires en fer-blanc bleu et blanc utilisés pour stocker et transporter huile d’olive et feta, par le studio Studiolav.
Ces carreaux de céramique « Keros », créés par Myrsini Alexandridi, appartiennent à la série « Eidolia », inspirée de l’île de Keros, l’un des centres les plus importants de la civilisation cycladique.

Cette nouvelle génération de designers qui voyage beaucoup plus que leurs aînés joue avec l’ouverture aux autres cultures pour mieux renforcer la leur. C’est le cas de Myrsini Alexandridi, qui, architecte de formation, développe un design de plus en plus marqué par ses influences grecques. « Je vis entre Stockholm et Athènes, mais plus je reste en Suède, plus la Grèce me manque », s’amuse Myrsini Alexandridi.

Nommés Keros, Skyros ou Demetra, ces élégants carreaux de céramique sur lesquels elle peint comme sur des toiles racontent cet héritage culturel qu’elle dit « à la fois conscient et inconscient » : « Dans mon travail, j’essaie de renouer avec mes racines, les souvenirs des lieux où je suis allée, les images de mon enfance. Je trouve l’inspiration dans les îles grecques, qui continuent de me nourrir. Ma famille est originaire de Skopelos, une île de la mer Egée avec un paysage d’un vert magnifique, où les pins poussent à côté de la mer. » Cette culture, transmise d’une génération à l’autre, souvent oralement, continue d’être une source d’inspiration riche à exploiter pour ces nouveaux talents du design grec.

Article de Anne-Lise Carlo paru dans le Monde du 26 janvier 2022.