Communauté grecque des Alpes-Maritimes

Projection – Mataora d’Adreas Siadimas, 21 janvier 2022

« Mataroa, le voyage continue » qui fait son avant premiĂšre dans le cadre du 21Ăšme festival du documentaire de Thessalonique, jeudi 7 mars 2019,  est un film dĂ©diĂ© au navire mythique Mataroa et ses passagers, les jeunes intellectuels grecs qui ont voyagĂ© vers la France en dĂ©cembre 1945, quelques mois avant l’éclat de la guerre civile grecque (1946-1949), Ă  ’initiative d’ Octave Merlier, Directeur de l’Institut français d’AthĂšnes (IFA), et de son collaborateur, Roger Milliex.

Mataroa, ce navire néo-zélandais, dont le nom signifiait «la femme aux grands yeux» en polynésien, a commencé son voyage le 22 décembre 1945, et au bout de trois mois prÚs de 150 jeunes Grecs, sont arrivés à Paris.

« Mataroa – Le voyage continue » (2019) est un film qui met en lumiĂšre cette histoire par les biais de tĂ©moignages des derniers survivants (Nelly Andrikopoulou, Emmanuel Kriaras, Manos Zacharias) ainsi qu’à travers les paroles de «  la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration » (les enfants des passagers tels que Castoriadis, Xenakis, Counentianos, Makris), mais aussi Ă  travers le regard de jeunes artistes et philosophes inspirĂ©s par l’idĂ©e du Mataroa (la philosophe Servanne Jollivet a assurÚ les interviews à Paris et mĂšne la recherche avec l’historien Kostis Kornetis), le film vise ainsi Ă  reconstituer l’histoire du Mataroa et la transfĂ©rer jusqu’ à de nos jours.histoire-bateau-mataroa-contact-famille

Le voyage du Mataroa, constitue sans conteste l’un des Ă©vĂ©nements les plus marquants de l’histoire franco-grecque de l’aprĂšs-guerre. Navire militaire affrĂ©tĂ© par l’Institut français d’AthĂšnes en dĂ©cembre 1945, le Mataroa a en effet permis, Ă  l’initiative du directeur de l’Institut français d’AthĂšnes, Octave Merlier, assistĂ© par Roger Milliex, Ă  prĂšs de cent cinquante jeunes grecs de quitter la GrĂšce pour rejoindre Paris. Quittant un pays en ruine, profondĂ©ment affaibli par la guerre et au seuil de la guerre civile, ceux-ci ont ainsi pu ĂȘtre accueillis en France et, grĂące Ă  des bourses accordĂ©es par la France, y mener leurs Ă©tudes et carriĂšre dans des domaines aussi variĂ©s que la philosophie, la sculpture, l’architecture, la musique, eL’intĂ©rĂȘt de ce documentaire est d’offrir, en s’appuyant sur des tĂ©moignages, sources et archives inĂ©dites, un premier travail historique et scientifique sur la portĂ©e et l’impact de cet Ă©vĂ©nement sur le plan des transferts et sa signification pour les relations franco-grecques de l’aprĂšs-guerre.


D’ autres informations sur l’histoire de Mataroa

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Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir

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Mataroa, la mémoire trouée

Adaptation  HélÚne Cinque
Mise en scÚne   HélÚne Cinque
Avec  CybÚle Castoriadis, Dimitris Daskas, Pantelis Dentakis, Malamatenia Gotsi, Ioanna Kanellopouou,Elita Kounadi,Tatiana-Anna Pitta, Harold Savary, Georges Stamos, Polydoros Vogiatzis

http://https://youtu.be/-KodUhjA0tA

Aussi

http://https://youtu.be/JJTUFEG-9AU


Une exposition dĂ©diĂ©e aux femmes artistes, qui ont voyagĂ© vers la France en 1945 avec le fameux navire Mataroa, se dĂ©roule  chez Poems ‘n Crimes Ă  AthĂšnes jusqu’au 1er mars 2018.

Cette exposition (entrĂ©e libre) est une occasion pour dĂ©couvrir cinq artistes femmes oubliĂ©es, qui ont voyagĂ© parmi les hommes, avec le navire mythique Mataroa et – malgrĂ© leur talent brillant et une reconnaissance partielle – ont passĂ© leurs vies dans l’obscuritĂ©, contrairement aux hommes co-passagers, qui, pour la plupart d’entre eux, sont de renommĂ©e internationale.

Les femmes artistes

Parmi les femmes de Mataroa, il y avait des artistes importantes, telles que : Nelly Andrikopoulou (1921-2014) peintre et Ă©crivaine qui a Ă©crit aussi l’essai « Le voyage de Mataroa » (Ă©d. Estia 2007), Eleni Stathopoulou (1915 – 2016) peintre, Gianna Persaki (1921 – 2008) peintre, Anna Mavroudi – Kindynis (1914 – 2003), Bella Raftopoulou (1902-1992) sculpteure et graveuse.
FemmesCollage
De gauche à droite: Eleni Stathopoulou, Gianna Persaki, Nelly Andrikopoulou, autoportait de Bella Aaftopoulou, Anna Kindynis.
L’expo met en Ă©vidence ces cinq artistes: six Ɠuvres de chacune d’entre elles, avec 12 figures de la sculpteure Clio Makris – fille du sculpteur Memos Makris (passager aussi du Mataroa).  » Je voulais parler de ces femmes parmi les nombreux passagers du Mataroa parce qu’elles sont largement inconnues ou oubliĂ©es  » explique Clio Makris qui a eu l’idĂ©e de cette expo lors de ses visites Ă  la maison de retraite oĂč la peintre Eleni Stathopoulou a passĂ© ses derniĂšres annĂ©es.
Collage Peintures
 De gauche à droite: Peintures de Nelly Andrikopoulou, Gianna Persaki I, Anna Kindyni, Gianna Persaki II.

L’odyssĂ©e du Mataroa 

En dĂ©cembre 1945, quelques mois avant l’éclat de la guerre civile grecque (1946-1949),  les philhellĂšnes Octave Merlier, Directeur de l’Institut français d’AthĂšnes, et son collaborateur, le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Roger Milliex, conçoivent le projet de sauver des jeunes intellectuels grecs. GrĂące Ă  des bourses, ils peuvente partir Ă©tudier Ă  Paris. Ce voyage, devenu depuis mythique, est celui du Mataroa.
Mataroa, ce navire nĂ©o-zĂ©landais, dont le nom signifiait «la femme aux grands yeux» en polynĂ©sien, a commencĂ© son voyage le 22 dĂ©cembre 1945, et aprĂšs trois mois il est arrivĂ© Ă  Paris. Le Mataroa a Ă©tĂ© construit en 1922 Ă  Belfast, sur les chantiers britanniques Harland & Wolff. LancĂ© sous le nom prĂ©monitoire du philosophe grec DiogĂšne, il est exploitĂ© par la compagnie Aberdeen Line et effectue de nombreux voyages d’Europe vers l’Australie et la Nouvelle-ZĂ©lande.
Parmi les passagers grecs de ce bateau lĂ©gendaire, on peut distinguer les penseurs Cornelius Castoriadis, Kostas Axelos et Kostas Papaioannou, les sculpteurs MĂ©mos Makris, Kostas Coulentianos, Kostas Valsamis et Bella Raftopoulou, les peintres Dikos Vizantios, Eleni Stathopoulou et Anna Kinduni;  la peintre et Ă©crivaine Nelly Andrikopoulou, les poĂštes Matsi Chatzilazarou et Andreas Cambas, les auteurs Elli Alexiou, Mimika Cranaki et Andreas Kedros, les mĂ©decins Eleni Thomopoulou, Evangelos Brikas et Andreas Glinos, Dimitris et Ioannis Marinopoulos, qui deviendront par la suite de cĂ©lĂšbres entrepreneurs; les architectes Aristomenis Provelengios, Nikos Chatzimichalis, Takis Zenetos et Panos Tzelepis, l’architecte-urbanitste Georges Candilis, le cinĂ©aste Manos Zacharias, le chef d’orchestre Dimitris Chorafas, l’historien Nikos Svoronos et l’acadĂ©micien Emmanuel Kriaras.
En quittant un pays dĂ©vastĂ© aprĂšs l’occupation nazie, au bord de la guerre civile (qui aura effectivement lieu en 1946), tous ces intellectuels grecs, proches de la gauche, Ă©taient en danger et exposĂ©s quotidiennement  aux chasses Ă  l’homme, Ă  la mort, Ă  la peur, Ă  la faim et Ă  l’insĂ©curitĂ©. C’est avec Mataroa qu’un grand nombre d’artistes, d’intellectuels et de scientifiques grecs de la gĂ©nĂ©ration d’aprĂšs-guerre, trouve l’espoir d’un futur.
Entre ces figures, on en trouve plusieurs qui brilleront en Europe grĂące Ă  leur Ɠuvre, comme  l’urbaniste Georges Candilis. Il  rĂ©alisa notamment le quartier du Mirail Ă  Toulouse. L’écrivain AndrĂ© KĂ©dros, aussi connu sous le nom d’AndrĂ© Massepain. Ou encore les philosophes bien connu en France, Cornelius Castoriadis, Kostas Axelos et  Kostas PapaĂŻoannou et qui qualifieront ce voyage d’«évĂ©nement historique».

Un groupe de chercheurs Ă  Paris en 1946. De gauche Ă  droite : M. Makris, G. Karouzos, K. Kahramani, K. Papaioannou, N. Zizika, E. Metaxas, M. Alikoulis. (Archives Memo Makri, MusĂ©e Benaki, « Le voyage de Mataroa, 1945. Dans le miroir de la mĂ©moire », Nelli Andrikopoulou, Editions de la librairie Estia, « Mataroa, 1945. Du mythe Ă  l’histoire », Editions Asini)

Octave Merlier : l’homme derriùre le voyage

Les passagers du navire ont un point commun: ils frĂ©quentaient l’Institut français d’AthĂšnes. Ce lieu atypique est le seul Ă©tablissement Ă©tranger restĂ© ouvert pendant toute la guerre. Octave Pierre Merlier, Directeur de l’Institut de 1938 Ă  1961, mariĂ© Ă  une grecque, organisa la fuite de l’intelligentsia et des Ă©tudiants grecs sur le Mataora. Il multiplia soudainement les offres de bourse, dans une tentative de sauver ceux qui Ă©taient menacĂ©s Ă  cause de leurs idĂ©es de gauche. ArrivĂ© Ă  AthĂšnes dĂšs 1925, il avait payĂ© cher son engagement aux cĂŽtĂ©s de la France libre et du GĂ©nĂ©ral de Gaulle dĂšs juin 1940. En 1941, quasiment enlevĂ© par Vichy, il quitta la GrĂšce et passa toute la guerre en rĂ©sidence surveillĂ©e dans le Cantal. Pendant la guerre, c’est le Directeur adjoint, Roger Milliex, qui resta Ă  AthĂšnes. En 1945, Merlier, de retour et craignant pour les Ă©tudiants ayant participĂ© Ă  la RĂ©sistance, dĂ©cida avec Milliex d’affrĂ©ter un navire et d’organiser leur voyage vers la France. Ce sera l’épopĂ©e, historique, du Mataroa.
Le bateau file vers Tarente, dans le sud de l’Italie. Les jeunes gens embarquent alors dans un train, direction Rome, Bologne, Milan, puis la frontiùre suisse.
Les Suisses, eux, Ă©pargnĂ©s par la guerre imaginent difficilement l’occupation vĂ©cue par les Grecs. Cornelius Castoriadis a ainsi racontĂ© la traversĂ©e du pays en 1990 :« On a traversĂ© la Suisse oĂč on nous a racontĂ© les Ă©normes malheurs subit par les Suisses pendant la guerre – il y a eu mĂȘme un moment, en dĂ©cembre 1943, oĂč le bruit avait couru que le gouvernement allait peut-ĂȘtre rationner le chocolat. Les Suisses nous invitaient Ă  sympathiser avec eux, nous, on hochait la tĂȘte. Il faut dire qu’à AthĂšnes pendant l’hiver 1941-42, les cadavres des gens morts de faim Ă©taient dans les rues. »
AprĂšs trois mois de voyage, les passagers arrivent en France et pour beaucoup d’entre eux, il sera impossible de retourner en GrĂšce avant le rĂ©tablissement de la dĂ©mocratie, en 1974.
 
Collage nelly raftopoulou
Deux peintures de Nelly Andrikopoulou, une statue de Bella Raftopoulou.
INFOS PRATIQUES
Exposition « Les femmes de Mataroa », avec des Ɠuvres de Nelly ANDRIKOPOULOU, Eleni STATHOPOULOU, Gianna PERSAKI, Anna MAVROUDI-KINDYNIS, Bella RAFTOPOULOU (femmes de Mataroa) et de Clio MAKRIS.
CafĂ© «Poems ‘n Crimes», Editions Gavriilidis, 17 rue Aghias Irinis, Monastiraki, AthĂšnes (mĂ©tro Monastiraki)
Duree: 13 fĂ©vrier jusqu’au 1er mars 2018

L’Arche d’Octave Merlier

Le voyage lĂ©gendaire du Mataroa en dĂ©cembre 1945, avec comme passagers les boursiers de l’Institut français d’AthĂšnes, devenus cĂ©lĂšbres par la suite

« Oui, Castoriadis a raison lorsqu’il dit que le bateau sur lequel nous nous sommes retrouvĂ©s – nous Ă©tions environ deux cents – en dĂ©cembre 1945, est un fait historique de la GrĂšce moderne puisqu’à l’époque, tous ensemble, nous avons mis au diapason avec la France notre souffle, le feu de notre jeunesse, la mĂ©moire de notre patrie et aussi parce que nous Ă©tions prĂ©sents, en tant que ressortissants grecs, pour contribuer Ă  la fondation du monde d’aprĂšs la guerre, dans l’effervescence et la complexitĂ© qui l’ont marquĂ© »*.

C’est Dikos Vyzantios, ĂągĂ© de 21 ans Ă  l’époque, qui a dit cela Ă  l’occasion de ce voyage grĂące auquel il est devenu un artiste-peintre de renom. Le bateau en question est le lĂ©gendaire Mataroa, le navire nĂ©ozĂ©landais de transport de troupes qui a jouĂ© le rĂŽle d’une « arche ». Celle-ci a pu sauver quelques-uns des cerveaux les plus brillants de la GrĂšce du dĂ©chirement qui allait suivre dans ce pays.

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L’idĂ©e du voyage et son organisation reviennent Ă  Octave Merlier et Roger Milliex de l’Institut Français d’AthĂšnes. Ils sont intervenus pour que des bourses soient octroyĂ©es Ă  un certain nombre de jeunes Grecs. Ces derniers pourraient ainsi poursuivre Ă  Paris les Ă©tudes interrompues ou jamais commencĂ©es en raison de l’Occupation. C’était d’ailleurs une maniĂšre de protĂ©ger quelques-uns d’entre eux de risques Ă©ventuels puisque, bon nombre d’entre eux se situaient Ă  gauche par leur idĂ©ologie et leur action. En dĂ©cembre 1945, nous sommes la veille de la guerre civile. En tout cas, la sĂ©lection des boursiers n’a pas Ă©tĂ© faite selon des critĂšres politiques, malgrĂ© les rumeurs dĂ©veloppĂ©es dans le climat tendu des annĂ©es suivantes. En atteste d’ailleurs la carriĂšre brillante poursuivie par la majoritĂ© de ces boursiers. L’organisation du voyage Ă©tait tout sauf simple et il s’est passĂ© des mois avant de trouver un navire disponible pour transporter les Ă©tudiants grecs. Finalement, c’est le Mataroa qui a Ă©tĂ© sĂ©lectionné : il venait de faire le voyage jusqu’à HaĂŻfa transportant en Palestine les survivants des camps de concentration.

Une soirée sur le pont

Octave Merlier

Ce qu’on sait aujourd’hui sur ce voyage s’appuie sur des documents rassemblĂ©s par des chercheurs qui ont reconnu l’importance historique de cette mission mais aussi sur les rĂ©cits de ses protagonistes : Mimika Kranaki a Ă©crit ses souvenirs dans Mataroa en deux voix/pages de l’émigration (aux Ă©ditions du musĂ©e BĂ©naki), tandis que Nelly Andrikopoulou, artiste-peintre et par la suite Ă©pouse de Nikos Engonopoulos, a rassemblĂ© ses propres souvenirs et ceux de ses compagnons de voyage dans le livre intitulĂ© Le voyage du Mataroa, 1945. Dans le miroir de la mĂ©moire, aux Ă©ditions Hestia. En tout cas, pour les dĂ©tails de ce voyage, la source la plus crĂ©dible est la lettre envoyĂ©e Ă  Merlier par l’architecte Panos TzĂ©lĂ©pis, chef du groupe des boursiers, quelques jours aprĂšs leur arrivĂ©e Ă  Paris. Vraisemblablement, TzĂ©lĂ©pis prenait des notes. C’est ce qui lui a permis de rĂ©diger ce compte-rendu analytique, heureusement sauvegardĂ© et que l’on peut consulter dans le volume collectif Mataroa, 1945. Du mythe Ă  l’histoire, aux Ă©ditions Assini.

TzĂ©lĂ©pis raconte donc que les boursiers se sont rassemblĂ©s au PirĂ©e, le 21 dĂ©cembre, Ă©voque les navettes dont ils se sont servis pour accĂ©der au bateau avec maintes difficultĂ©s, comment ils ont pu surmonter les contrĂŽles, transporter leurs bagages et se trouver un coin pour dormir. Le temps de faire tout cela, il faisait dĂ©jà nuit : « La nuit, sous le ciel de l’Attique, Ă©tait extrĂȘmement belle. Nous sommes restĂ©s sur le pont jusqu’à une heure trĂšs tardive, Ă  rire et Ă  chanter. C’est le lendemain matin, samedi 22 dĂ©cembre 1945, qu’on a levĂ© les amarres Ă  07h30 au lieu de 06h00 comme c’était prĂ©vu ».

Cette soirĂ©e n’avait pas Ă©tĂ© insouciante pour tous : Manos Zacharias, 23 ans, fortement impliquĂ© dans la vie politique (devenu par la suite un bon metteur en scĂšne) a racontĂ© avoir passĂ© la soirĂ©e dans l’angoisse qu’au dernier moment quelque chose se passe, que quelqu’un monte Ă  bord et l’oblige Ă  dĂ©barquer.

La crainte s’est dissipĂ©e au moment du dĂ©part du Mataroa. Un incident trĂšs parlant s’est produit : les boursiers ont refusĂ© de porter leurs gilets de sauvetage (ils les ont mĂȘme intentionnellement jetĂ©s Ă  la mer), malgrĂ© les instructions des officiers britanniques qui craignaient les mines sous-marines. Un peu plus d’un an aprĂšs la libĂ©ration, ces gens se sentaient dĂ©sormais enfin libres. Une petite fĂȘte a Ă©tĂ© improvisĂ©e Ă  bord, la premiĂšre nuit : elle est mentionnĂ©e par tous les protagonistes. Dimitri Coraface a jouĂ© du violon, Voula Traka du piano, Catherine Kahramani a rĂ©citĂ© un poĂšme. Sans autres imprĂ©vus significatifs et malgrĂ© la houle de l’Adriatique, le bateau a rejoint le port de Tarente, Ă  moitiĂ© dĂ©truit par les bombardements, le 24 dĂ©cembre. C’est lĂ  qu’a commencĂ© la seconde partie du voyage, la plus difficile.

En Europe par le train

Octave Marlier et sa femme Melpo Logotheti

A la gare ferroviaire de Tarente, un train aux wagons en bois les attendait. Normalement, il Ă©tait destinĂ© au transport de chevaux. Il n’avait pas de fenĂȘtres et ne disposait que d’un seul W.C. Tous les tĂ©moignages dĂ©crivent les conditions « inhumaines » de ce voyage : jusqu’à Rome oĂč ils ont changĂ© de train, ils sont restĂ©s assis les uns contre les autres pendant 24 heures (!). LĂ  aussi, il y a eu un incident intĂ©ressant. Certains boursiers n’avaient pas eu le temps de faire connaissance Ă  bord du bateau, ils ont eu donc cette opportunitĂ© dans le wagon. Fokionas LoĂŻzos, architecte et par la suite professeur Ă  l’Ecole Polytechnique, y a rencontrĂ© Voula Traka qu’il a Ă©pousĂ©e un peu plus tard. Evidemment, d’autres se connaissaient dĂ©jĂ  bien. Dans un coin, un petit groupe de quatre discutait sans cesse de philosophie, de littĂ©rature, d’art : Cornelius Castoriadis, Costas Axelos, Costas PapaĂŻoannou et Mimika Kranaki.

Rien n’était facile. Pour trouver de quoi se nourrir aux diffĂ©rents arrĂȘts du train, comme ils n’avaient pas de devises, ils Ă©changeaient des cigarettes. Ils ont fĂȘtĂ© NoĂ«l dans le train, ensuite se sont arrĂȘtĂ©s Ă  Bologne, puis Ă  Milan. Un incident imprĂ©vu a eu lieu lĂ -bas : Anastasia Sini-Voyatzi et HĂ©lĂšne Thomopoulou ont ratĂ© la correspondance car elles s’étaient Ă©clipsĂ©es un instant pour aller visiter le Duomo. A posteriori, on a l’impression que c’est peut-ĂȘtre une plaisanterie, une anecdote de l’histoire, cependant cet incident nous fait comprendre qu’aprĂšs plusieurs annĂ©es trĂšs dures, les jeunes Ă©tudiants Ă  l’époque avaient tout d’un coup la vie devant les yeux, une vie belle, pleine de dĂ©fis, de capacitĂ©s et de possibilitĂ©s. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, note le professeur Nicolas Manitakis dans un bilan trĂšs intĂ©ressant de cette aventure : « Pour la plupart des passagers grecs, le voyage Ă  bord du Mataroa signifiait la sortie d’une guerre sans fin, l’éloignement des risques et des privations qui lui Ă©taient associĂ©s, les retrouvailles avec la tactique d’avant la guerre du « pĂšlerinage » Ă  la Mecque spirituelle, scientifique et artistique qu’était Paris »**

L’équipe a traversĂ© les frontiĂšres suisses le 26 dĂ©cembre et lĂ , une nouvelle question s’est fait jour. Les Suisses, dĂ©crits par tous comme des gens arrogants, dĂ©connectĂ©s de la rĂ©alitĂ© (puisqu’ils n’avaient pas participĂ© Ă  la guerre), venaient d’apprendre l’existence des cas de peste Ă  Tarente. Comme les boursiers grecs y avaient transitĂ©, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de les isoler. Par procĂ©dure sommaire, ils ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s dans un bĂątiment oĂč ils furent aspergĂ©s au DDT, un moment restĂ© dans la mĂ©moire de tous comme un procĂ©dĂ© barbare et humiliant. Plus tard, le voyage s’est poursuivi et ils ont pu rejoindre la Gare de l’Est, le 28 dĂ©cembre Ă  minuit.

Paris de l’aprùs-guerre

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Nelli Andrikopoulou, Kostas Axelos, Kornilios Kastoriadis, HélÚne Stathopoulou et Fifis Varvoglis

Les boursiers ont trouvĂ© certaines chambres disponibles dans le pavillon grec de la citĂ© universitaire, certaines jeunes filles se sont installĂ©es dans le pavillon amĂ©ricain (pour des raisons incomprĂ©hensibles, le pavillon grec acceptait uniquement des hommes), d’autres sont provisoirement descendus Ă  l’hĂŽtel Lutetia. MalgrĂ© les bonnes conditions d’accueil et l’intĂ©rĂȘt manifeste des Français, le sĂ©jour n’était pas facile. Nelly Andrikopoulou Ă©crit Ă  ce titre, dans son livre :

« Paris avait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© en aoĂ»t ’44, mais il Ă©tait loin d’avoir retrouvĂ© son rythme. En ’46, nous avons vĂ©cu avec des coupons, le fameux « ticket », notre souci quotidien : beaucoup de lĂ©gumes et de la viande une fois par semaine. (
) Un citron qu’on m’a envoyĂ© de GrĂšce Ă  PĂąques m’a paru si beau et tellement prĂ©cieux que je l’ai posĂ© sur mon lavabo pour le regarder tous les jours, jusqu’au moment oĂč il a pourri sur place ».

Mis Ă  part ceux qui ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mentionnĂ©s, ont participĂ© Ă  ce voyage la femme de lettres Elli Alexiou, les poĂštes AndrĂ©as Kambas et Matsi Hatzilazarou, les sculpteurs MĂ©mos Makris et Costas Koulentianos, l’artiste-peintre HĂ©lĂšne Stathopoulou, les architectes Georges Kandylis, AristomĂšne ProvĂ©lenghios et Nicolas Hadjimichalis, le philologue Emmanuel Kriaras et le critique d’art Angelos Prokopiou, l’historien Nikos Svoronos ainsi que des dizaines d’autres gens qui se sont distinguĂ©s dans les arts et les sciences. Certains autres, un plus petit nombre, sont arrivĂ©s Ă  Paris quelques mois plus tard avec un deuxiĂšme navire, le Gripsholm suĂ©dois. Le metteur en scĂšne Adonis Kyrou n’était pas Ă  bord du Mataroa comme il a souvent Ă©tĂ© indiquĂ©, mais il Ă©tait arrivĂ© Ă  Paris plus tĂŽt et il a mĂȘme accueilli les voyageurs du Mataroa Ă  la gare, tandis que le compositeur Iannis XĂ©nakis, lui aussi liĂ© aux boursiers, n’a rejoint la capitale française qu’en 1947.

Quelques-uns sont rentrĂ©s en GrĂšce aprĂšs avoir terminĂ© leurs Ă©tudes, ce qui Ă©tait en thĂ©orie le but initial, d’autres auraient peut-ĂȘtre souhaitĂ© rentrer mais ce fut impossible pour des raisons politiques, d’autres encore ont poursuivi leur parcours dans d’autres pays. Un nombre considĂ©rable d’entre eux choisirent de vivre Ă  Paris.

Matsi Hatzilazarou, par exemple, qui avait entretemps divorcĂ© d’avec son mari, AndrĂ©as Empirikos. Elle a dĂ©posĂ© une demande de titre de sĂ©jour permanent Ă  Paris Ă  l’expiration de sa bourse, en 1947. L’extrait suivant dĂ©crit l’influence de la culture française, la mise en place d’un lien franco-hellĂ©nique fort et d’une relation de confiance et de responsabilitĂ©, créée peut-ĂȘtre sur le plan symbolique par le Mataroa, pour toute une gĂ©nĂ©ration : « Je vous prie de m’octroyer un titre de sĂ©jour permanent Ă  Paris, car pour nous les intellectuels, la France est le pays oĂč l’esprit peut s’épanouir et oĂč l’on nourrit l’espoir de travailler chacun Ă  sa façon et de donner, chacun selon ses possibilitĂ©s, le meilleur de soi-mĂȘme »***.

Mis Ă  part ce que les boursiers de 1945 ont rĂ©ussi, chacun pour soi, ils ont créé un mythe Ă  travers leur voyage. Ce mythe a consacrĂ© dans l’inconscient de la sociĂ©tĂ© grecque de l’aprĂšs-guerre le charme de la ville de Paris, son identification avec l’espoir et la libertĂ©, des Ă©lĂ©ments qui ont certes Ă©tĂ© confirmĂ©s plus tard, pendant les annĂ©es de la dictature et Ă  l’occasion de mai ’68.

Liste des passagers : l’agence HermĂšs a entrepris le transport terrestre des Grecs vers l’Europe d’aprĂšs-guerre ruinĂ©e.

* Extrait du texte « Mon odyssée à bord du Mataroa », par Dikos Vyzantios. Il figure dans le livre de Nelly Andrikopoulou Le voyage du Mataroa, 1945. Dans le miroir de la mémoire, aux éditions Hestia.
** Le texte de Nicolas Manitakis « Mataroa, 1945. Le cadre historique » figure dans l’ouvrage Mataroa, 1945. Du mythe Ă  l’histoire, aux Ă©ditions Assini.
*** L’extrait se trouve dans les archives du musĂ©e BĂ©naki. Il est reproduit par Lucile Arnoux-Farnoux, professeur de littĂ©rature Ă  l’universitĂ© de Tours, dans son texte intitulĂ© ‘’Elli Alexiou, Matsi Hatzilazarou et l’aventure du Mataroa’’, publiĂ© dans l’ouvrage Mataroa, 1945. Du mythe Ă  l’histoire, aux Ă©ditions Assini.

par Athos Dimoulas dans Kathimerini 21-04-2021


A lire aussi

JOLLIVET, Servanne (dir.) ; MANITAKIS, Nicolas (dir.). Mataroa 1945 : du mythe Ă  l’histoire. Nouvelle Ă©dition [en ligne]. AthĂšnes : École française d’AthĂšnes, 2020 (gĂ©nĂ©rĂ© le 28 janvier 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/efa/6929>. ISBN : 9782869585348. DOI : https://doi.org/10.4000/books.efa.6929.

LALAGIANNI, Vassiliki. Écriture, mĂ©moire et histoire. Le cas de Mimica Cranaki In : Mataroa 1945 : du mythe Ă  l’histoire [en ligne]. AthĂšnes : École française d’AthĂšnes, 2020 (gĂ©nĂ©rĂ© le 28 janvier 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/efa/6974>. ISBN : 9782869585348. DOI : https://doi.org/10.4000/books.efa.6974.

Lalagianni, V. (2010). EXIL, AUTOBIOGRAPHIE ET MÉMOIRE CHEZ L’ÉCRIVAINE GRECQUE MIMIKA KRANAKI. Francofonia, 58, 107–119. http://www.jstor.org/stable/43016532

Dosse François, « 2. La « Nef des Grecs » et les dĂ©buts de la vie parisienne », dans : , Castoriadis. Une vie, sous la direction de Dosse François. Paris, La DĂ©couverte, « Poche / Sciences humaines et sociales », 2018, p. 37-56. URL : https://www.cairn.info/—page-37.htm

Bordes François, « Le rire de Kostas Papaïoannou », Commentaire, 2004/2 (Numéro 106), p. 469-478. DOI : 10.3917/comm.106.0469. URL : https://www.cairn.info/revue-commentaire-2004-2-page-469.htm

Lalagianni, Vasiliki. “EXIL, AUTOBIOGRAPHIE ET MÉMOIRE CHEZ L’ÉCRIVAINE GRECQUE MIMIKA KRANAKI.” Francofonia, no. 58, [Casa Editrice Leo S. Olschki s.r.l., Francofonia. Studi e ricerche sulle letterature di lingua francese], 2010, pp. 107–19, http://www.jstor.org/stable/43016532.