Le Pavillon Philips, © Wouter Hagens – Wikipedia
Rejeté par tout le monde, sauf par Messiaen
Ingénieur diplômé et assistant du Corbusier, la carrière de Iannis Xenakis semble être naturellement tracée. Mais il porte en lui une autre passion qu’il travaille autant que possible depuis des années : la musique. Souhaitant se perfectionner afin de mieux développer ses idées musicales, il s’adresse aux plus grands pédagogues de son époque dans l’espoir de trouver un maître capable de le former.
Xenakis se tourne d’abord vers Nadia Boulanger, dont les étudiants sont nombreux et brillants. Cette dernière refuse d’enseigner à Xenakis, affirmant que le jeune compositeur ne sait pas comment développer ses thèmes musicaux. « Quels thèmes ?! » ripostera Xenakis.
Aucun succès avec Arthur Honegger, qui est incapable de voir au-delà des faux-pas musicaux de Xenakis, comme les quintes et octaves consécutives dans sa musique. C’est également un échec avec Darius Milhaud. C’est finalement auprès d’Olivier Messiaen que Xenakis trouvera le soutien et les conseils qu’il cherche : « Vous avez la chance d’être Grec, d’être un architecte et d’avoir étudié les mathématiques supérieures. Profitez de ces choses. Transcrivez-les dans votre musique » conseille le pédagogue français.
La musique stochastique, ou la mathématisation de la musique
Suivant les conseils de son maître Messiaen, Xenakis se lance en 1953 dans la composition d’une nouvelle œuvre dont les paramètres musicaux se décident selon les lois et procédures mathématiques du calcul de la probabilité. Plutôt que d’écrire une mélodie à l’avance, il choisit un premier son avant de décider les sons, rythmes et tons suivants selon une procédure mathématique, mettant ainsi en relation la musique, l’architecture et les mathématiques.
Si l’idée d’une application musicale du processus de calcul des probabilités est d’abord évoquée au début des années 1950 par les mathématiciens Claude Shannon et Warren Weaver, c’est Xenakis qui en fait une réalité avec Metastasis, inaugurant une nouvelle forme de conception musicale qu’il intitule « musique stochastique ».
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1h 2mn
émissionNuit spéciale France Musique
La « loi de Xenakis »
Rares sont les compositeurs dont le nom est associé à une loi de probabilité. Tellement rares qu’il n’en existe qu’un seul : Xenakis. Par ses avancées et ses expérimentations dans la probabilité et la musique stochastique, une « loi de Xenakis » est ainsi officiellement reconnue.
Aujourd’hui comptée parmi les nombreuses lois de ce domaine, la loi de Xenakis est l’une des lois dites « Bêta », permettant d’estimer les valeurs possibles d’une probabilité. Inutile d’entrer dans les détails, car rares sont ceux qui peuvent comprendre la définition et les propriétés de cette loi complexe…
Xenakis vs Gounod
Mis à l’honneur dans plusieurs festivals et journées à Paris et en France, Xenakis profite dans le courant des années 1960 d’une reconnaissance croissante et d’un respect non seulement de ses contemporains mais d’un public particulièrement élargi et jeune. La musique et les idées avant-gardistes de Xenakis deviennent symptomatiques de la liberté de pensée de la nouvelle génération française.
Mais c’est en 1968 que l’impact de sa musique et de ses idées éclate au grand jour. Alors que le célèbre mois de mai bat son plein dans les rues du Quartier Latin et que la jeunesse française affiche ses idéaux et ses envies sur les pancartes, les compositeurs en herbe du CNSMDP expriment l’entièreté de leurs sentiments et leur volonté d’évolution avec un seul slogan, écrit sur les murs de l’établissement : « Xenakis, pas Gounod ! »
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6 min
concert
La musique de Xenakis, un art visuel et sensoriel
Souhaitant réunir les dimensions des arts visuels et kinésiques avec celles des arts sonores, Xenakis crée en 1967 la première de ses Polytopes, qu’il développera pendant 11 ans. Spectacle de son et de lumière conçu pour un lieu précis, on trouve ainsi de nombreux Polytropes uniques, dont les Polytopes de Montréal (pour le Pavillon français de l’Exposition universelle de 1967), de Persépolis et de Cluny.
Pour l’inauguration du Centre Georges-Pompidou en 1978, Xenakis crée le plus ambitieux de ses Polytopes : Diatope. Il travaille à la fois sur l’architecture du pavillon dans lequel sera présentée son œuvre, mais dessine également les machines à lumières au cœur de son projet et compose la musique La Légende d’Eer : un projet quadridimensionnel inspiré des analogies sur la réalité de l’espace-temps qui fascinent tant le compositeur.
Avant les Rita Mitsouko, Catherine Ringer chantait pour Xenakis
En 1977, Xenakis termine son œuvre N’Shima pour deux voix de femmes, deux cors, deux trombones et un violoncelle. Au moment de préparer la création, on lui propose plusieurs chanteuses talentueuses, de formation classique. Mais le compositeur n’y trouve pas son idéal. Il recherche une voix sauvage, pleine d’émotion et de force, sans les fioritures d’une voix classique traditionnelle.
C’est grâce à sa fille, Mâkhi Xenakis, que Iannis trouvera la voix qu’il désire. Elle l’emmène voir au théâtre son amie et jeune comédienne de théâtre d’avant-garde. L’amie, dotée d’une voix bouleversante, s’appelle Catherine Ringer. La comédienne et musicienne séduit instantanément le compositeur. Ce dernier qualifie Ringer de « diva grecque » et lui demande sur le champ de participer à la création de N’Shima.
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émissionL’invité du jour