Jean-Baptiste Vietty, membre scientifique de l’Expédition de Morée, s’éteint près de Lyon le 30 janvier 1842, seul et ruiné. Celui que ses collègues décrivaient comme le « savant et modeste Vietty » n’avait pu mener à bien l’entreprise scientifique que lui avait confiée l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres : rédiger le rapport de la section archéologique de l’Expédition. Car personne ne connaissait mieux que lui la Morée et ses monuments, qu’il avait parcourus pendant trois longues années, de 1829 à 1831. Il ne laissait derrière lui qu’une centaine de carnets manuscrits, des dessins et quelques notes éparses, qui disparurent mystérieusement.
Deux de ces carnets rédigés dans le Péloponnèse viennent d’être retrouvés et identifiés. Ils nous permettent d’approcher non seulement la vie d’un savant hors norme, mais aussi la Grèce et son histoire telles qu’elles étaient perçues au moment de la libération du joug ottoman.
JEAN-BAPTISTE VIETTY ET L’EXPÉDITION DE MORÉE (1829) :
À PROPOS DE DEUX MANUSCRITS RETROUVÉS de Stéphane Gioanni
L’Expédition scientifique de Morée, de mars à décembre 1829, marque une étape majeure dans l’étude de la Grèce et, plus largement, dans l’histoire de l’archéologie moderne1. Placée sous la tutelle de trois académies de l’Institut et conçue dans le même esprit que l’Expédition d’Égypte, elle mit un terme à l’hellénisme2élé-giaque des voyageurs 3 et au pillage systématique des monuments antiques, ouvrant la voie à « la véritable découverte scientifique du pays qui s’effectua dans la deuxième moitié du XIXe siècle 4». Cette mission, associée à des découvertes exceptionnelles comme le temple de Zeus à Olympie, fut à l’origine de la présence permanente des archéologues français dans le pays et de la fondation en 1846 de l’Ecole française d’Athènes.
Deux manuscrits anonymes, renfermant les notes de travail de l’un des membres de la section d’archéologie de juillet à novembre 1829, viennent d’être retrouvés 5. Ils ont été rédigés par le sculpteur et helléniste Jean-Baptiste Vietty (1787-1842) qui poursuivit ses recherches en Grèce jusqu’en août 1831 et qui fut chargé, après l’examen de ses manuscrits par l’Institut, de publier un ouvrage rassemblant la totalité de ses découvertes, le plus souvent inédites. L’ampleur du projet, la mort précoce de Vietty « dans une grande misère 6» et la disparition de tous ses manuscrits avaient malheureusement empêché toute publication de ses travaux et précipité dans l’oubli cette vaste entreprise d’érudition. Le souvenir de Vietty se limite aujourd’hui au bronze d’Apollon qui surplombe la fontaine du jardin du palais des Beaux-Arts, à Lyon, et à quelques œuvres éparses. Au début du XXe siècle, Léon Charvet avait consacré une longue étude au savant lyonnais 7 dans l’espoir qu’on puisse un jour retrouver ses manuscrits et« renouer la chaîne brisée, en commençant par consulter (…) le dossier de Vietty, aux papiers de la Commission de Morée, lesquels furent transportés, avec les archives du ministère de l’Intérieur, en 1870, aux Archives nationales 8». D’autres commentateurs, depuis, se sont montrés moins indulgents après avoir consulté les papiers autographes 9 : « Jean-Baptiste Vietty (1787-1842), se dit “statuaire”, élève du médailliste Cartelier ; il a été en 1820 distingué par l’Institut pour diriger des travaux de sculpture à la Bourse de Saint-Pétersbourg et s’est vu attribuer une médaille d’or au Salon de 1824. Originaire de la région lyonnaise, il s’est consacré à un long travail sur les antiquités de Vienne qui sera publié en 1830 10[…]. En dépit de ces aptitudes prometteuses, sa participation aux travaux de l’Expédition [de Morée] sera réduite à néant : on attendra en vain l’envoi de ses œuvres, retardé par un état mental préoccupant. Les manuscrits de Vietty, que l’on peut consulter aujourd’hui, sont sans intérêt, pauvres en dessins et remplis de considérations fumeuses 11. » Ces documents de Vietty, rédigés quelques semaines avant sa mort, sont assez décevants, il est vrai, mais ils n’ont aucun rapport avec ses manuscrits de travail qui avaient disparu depuis le milieu du XIXe siècle. Les deux carnets retrouvés sont une infime partie des « cent onze liasses, carnets ou cahiers » recensées en 1848 par le dépositaire judiciaire de ses affaires qui signale aussi « cent sept médailles grecques renfermées dans un sac de toile 12».Nous avons pensé qu’une présentation de ces deux manuscrits et la transcription de quelques extraits donneraient aux spécialistes une idée de l’apport documentaire des travaux de Vietty et fourniraient peut-être des indices pour retrouver le reste de l’œuvre engloutie.
- LES MANUSCRITS DEJEAN-BAPTISTEVIETTY
- L’auteur des carnets
Les travaux de la Commission d’architecture et de sculpture, annoncés officiellement au monde savant en 1831 –13, furent publiés sous l’égide de l’Institut de France entre 1831 et 1838 –14. Ces ouvrages scientifiques furent accompagnés de récits de voyage publiés par des membres de l’Expédition après leur retour en France 15. Ces récits personnels racontent la vie quotidienne des savants et les difficultés auxquelles ils étaient confrontés dans un pays dévasté par la guerre. Plusieurs d’entre eux tombèrent gravement malades et durent rentrer bien avant le terme de l’Expédition, à commencer par Amaury Duval et Edgar Quinet. Un petit carnet inédit du peintre Félix Trézel insiste sur les dangers de ces fièvres qui obligèrent également le chef de la section, M. Dubois, à quitter le pays 16. Trézel continua le voyage « seul » à partir du mois de juillet 1829 et, de retour en France, il s’associa à la publication de la Commission d’architecture sous la direction d’Abel Blouet. Les deux manuscrits jusqu’ici inconnus apportent un éclairage nouveau sur les travaux archéologiques de l’Expédition de Morée. Il s’agit de deux carnets de travail strictement identiques, formant un ensemble de 320 pages, sans rapport avec les souvenirs anecdotiques d’Amaury Duval et de Félix Trézel. Ils apparaissent, au premier regard, comme deux récits anonymes, sans titre, agrémentés de nombreux croquis de monuments et de paysages grecs, d’inscriptions lapidaires et de réflexions sur les objets et les lieux étudiés. La précision des relevés techniques, la maîtrise des langues anciennes et la connaissance des historiens antiques, notamment Pausanias et Thucydide, indiquent que l’auteur n’est pas un simple amateur de la Grèce antique. L’écriture cursive, difficile à déchiffrer, révèle qu’il s’agit des carnets de travail d’un archéologue étudiant le Péloponnèse de juillet à novembre 1829 (fig. 1). La date, l’itinéraire, les allusions à Blouet 17, Trézel 18, membres de l’Expédition scientifique de Morée, et à « l’Expédition 19» elle-même laissent supposer que l’auteur des carnets appartenait lui aussi à la mission française. Trois éléments permettent d’identifier cet auteur : le premier, d’ordre paléographique, consiste à comparer l’écriture tourmentée des manuscrits aux documents rédigés par les membres de l’expédition, en particulier leurs dossiers de candidature 20. Malgré la différence de nature entre des notes cursives et des lettres officielles (fig. 2), on est vite tenté d’attribuer les carnets au sculpteur et helléniste Jean-Baptiste Vietty (1787-1842 )21,ancien élève de Chinard à l’École spéciale des arts et du dessin de Lyon.
Fig. 1. – Extrait du carnet 24, p. 45 (juillet 1829)
La lecture du récit renforce cette hypothèse d’attribution. L’auteur décrit les pins de Salamine puis ceux d’Épidaure en soulignant, au passage, leur différence avec « les branchages bizarres des pins de Tarare 22», la petite ville du Rhône où Vietty vécut quelques années et où il mourut. Il constate aussi que le pin « caractéristique de l’Isthme [de Corinthe] a la forme des pins d’Amplepuis 23», localité voisine de Tarare où Vietty naquit en 1787. Enfin, à Épidaure, l’explorateur découvre à terre « une statue de grande proportion, sans tête », de style « ancien et provincial » : « C’est, écrit-il, une nymphe couchée dans une attitude analogue à celle de ma Nymphe de la Seine. J’ai reconnu ici mon intention de draperie tombante et coulante – le coussin, le socle à losanges sont remarquables 24. » Le nom et l’évocation de la statue correspondent à une Nymphe de la Seine qui est une des rares statues conservées de Vietty 25(fig. 3). La somme de ces indices nous paraît suffisante pour affirmer que les manuscrits retrouvés font partie des « trente-trois carnets de voyage » contenant les notes prises par Jean-Baptiste Vietty au cours de ses explorations scientifiques en Grèce.2. Le projet de publication de Vietty sur la Grèce (1829-1842) L’inventaire des manuscrits de Vietty réalisé après sa mort précise que tous les documents ont été « paraphés par le notaire sur la couverture 26». Cette numérotation dut être inscrite sans considération du contenu des manuscrits puisque les deux carnets portent les numéros 12 et 24 sur la couverture intérieure alors que le récit du carnet 24 (juillet-septembre 1829 : de Argos à Salamine) précède immédiatement celui du 12 (septembre-novembre 1829 : de Salamine à Athènes). La contribution exacte de Vietty à l’Expédition est difficile à établir : s’il quitta les autres membres de la section d’archéologie 27 dès le début de l’Expédition pour poursuivre ses recherches en solitaire, il semble avoir retrouvé ses compagnons au cours de l’été1829, comme le suggèrent des remarques amères sur ses « chefs » et certaines de leurs décisions 28. À la fin de la même année, lorsque les membres de l’Expédition reçurent l’ordre de rentrer en France, Vietty décida de continuer ses recherches en Grèce où il vécut jusqu’à l’été 1831 dans des conditions matérielles extrêmement difficiles. De retour en France en août 1831, il soumit ses notes de travail au jugement de l’institut pour une évaluation de ses recherches. Après avis favorable, le ministère de l’Intérieur chargea Vietty de rédiger un ouvrage qui résumât l’ensemble de ses découvertes, en lui allouant une bourse pendant trois ans. Au cours de cette période, les volumes dirigés par Abel Blouet et l’ouvrage sur la Grèce publié par Edgar Quinet 29, ancien membre de la section d’archéologie, obligèrent Vietty à concevoir un projet plus large, « un ouvrage nouveau sur la vieille Grèce, mère de l’Europe 30» : s’il avait été « utile à la Commission en retrouvant des villes, des monuments jadis célèbres et restés inconnus des voyageurs depuis Pausanias 31, de l’être plus encore en expliquant la savante théorie, émanée des origines des choses, qui a inspiré et dirigé leur construction 32».
Malheureusement, la bourse se termina avant que le savant n’ait publié son œuvre. Les quatre lettres de Vietty essayant d’expliquer son retard et demandant au ministre de l’Intérieur de proroger « son modeste honoraire 33» n’eurent aucun effet sur les autorités de tutelle qui exigeaient la publication immédiate de ses travaux. Retardé par l’ampleur de son nouveau projet et sans doute affaibli par ses conditions d’existence, le sculpteur lyonnais vécut alors de quelques commandes et de la générosité de ses amis, essentiellement le sculpteur Lortet, le juge Peyré, magistrat à Villefranche, et le sous-préfet du Rhône Sylvain Blot. Il dut se résoudre aussi à déposer une partie de ses manuscrits « chez divers hôteliers et limonadiers en nantissement du prix des fournitures qui lui avaient été faites 34». Finalement, Jean-Baptiste Vietty mourut le31 janvier 1842 dans une grande misère sans avoir publié la moindre page de ses recherches en Morée.
- « L’affaire Vietty » (1843-1858)
Le géologue Virlet d’Aoust, qui l’avait côtoyé durant l’Expédition, fut le premier à alerter le ministère sur le sort de ses manuscrits et sur leur intérêt scientifique 35 :
« Paris, 10 avril 1843.
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
L’un des plus modestes et des plus savants membres de la Commission scientifique de Morée, mon collègue et ami Vietty, sculpteur distingué, est mort depuis plusieurs mois à Tarare, où il poursuivait ses recherches sur l’archéologie de la Grèce, à la vérité sur des bases tellement larges, qu’avec une vie plus laborieuse que la sienne et avec plus de moyens de recherches qu’il n’en avait dans le département du Rhône, il aurait eu de la peine à y suffire. Néanmoins connaissant la manière toute consciencieuse d’opérer de Vietty, que j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’aider et d’accompagner dans ses recherches, et sachant avec quels soins minutieux il avait étudié plusieurs parties peu connues de la Morée et particulièrement la Laconie et Sparte, dont il a, on peut dire, interrogé chaque pierre et où il a su retrouver la plupart des monuments indiqués et décrits par Pausanias, j’ai eu peur en apprenant sa mort prématurée que tous ses matériaux ne se perdissent pour la science ; je me suis en conséquence rendu tout exprès à Tarare pour savoir ce qu’ils étaient devenus. Là, j’ai appris que fort heureusement le juge de paix, Mr. Denave, homme fort reconnu, aimable et fort instruit et qui portait le plus vif intérêt à Vietty, avait dans l’intérêt de la science et du gouvernement fait apposer les scellés sur ceux de ses papiers et médailles déposés chez une parente qui, dans les derniers temps de sa vie, le nourrissait à l’aide d’un modique salaire ; qu’il était mort dans une grande misère et en refusant avec fierté et à la manière du Chatterton de Mr de Vigny, les offres obligeantes que ne cessaient de lui faire les personnes les plus éminentes du pays, qui avaient su apprécier et l’étendue et la variété de ses connaissances et les bizarreries de son esprit devenu inquiet et soucieux… J’ai appris enfin qu’il laissait tant à Lyon qu’à Villefranche et à Tarare pour 6 à 7 000 francs de dettes et qu’une partie de ses notes et manuscrits se trouvaient encore entre les mains de quelques créanciers, où ils sont restés en nantissement mais où ils sont en sûreté. J’ai conféré à ce sujet avec M. le sous-Préfet et M. Peyré juge, à Villefranche, tous deux amis de Vietty et Mr. Denave m’a affirmé qu’avec 1 800 francs ou 2 000 francs au plus, on parviendrait facilement à désintéresser en partie les créanciers et à réunir tous les matériaux épars à Villefranche, à Tarare et à Lyon. Plein de confiance en votre sollicitude éclairée, je viens prier votre Excellence de vouloir bien accorder en conséquence aux autorités de Villefranche ou de Tarare qui ont fait elles-mêmes les frais des obsèques de notre malheureux collègue la somme jugée indispensable pour traiter avec les créanciers détenteurs de ses manuscrits et m’autoriser personnellement et déconcerté avec les autorités locales, à recueillir pour les conserver à la science des documents archéologiques que la Commission de l’Institut avait, tels qu’ils étaient alors, jugés assez importants pour demander le renvoi en Grèce de Vietty qu’elle considérait juste titre comme l’homme le plus capable pour ce genre de recherche. […].Théodore Virlet d’Aoust, géologue, ancien membre de la section d’histoire naturelle de l’Expédition de Morée. »
La requête de Virlet d’Aoust fut relayée, entre 1843 et 1847, par les correspondances de diverses autorités (le maire de Lyon, le sous-préfet du Rhône, le directeur des Beaux-Arts) conservées aux Archives nationales dans une chemise intitulée« l’Affaire Vietty » 36. Le juge Peyré, nommé dépositaire judiciaire des manuscrits au nom de l’État 37, dressa un inventaire précis des documents de Vietty, des documents sous scellés et des manuscrits épars qu’il finit par racheter lui-même 38.
En juillet 1848, le magistrat informa les frères de Vietty que le ministère s’était enfin porté acquéreur de l’ensemble des manuscrits. Malgré les lenteurs de l’administration, il espérait que ceux-ci fussent « remis par le Ministre en des mains assez habiles et assez consciencieuses pour en faire sortir toute la gloire qui en revient à [leur]frère 39».
Mais « l’Affaire Vietty » ne faisait que commencer. Neuf ans plus tard, MM. Blot et Peyré se rendirent en personne au ministère de l’intérieur, à Paris, pour consulter les documents de Vietty dont la bonne réception est attestée par un certificat. Mais à leur grande surprise, ils furent incapables de retrouver les manuscrits dont le transfert à Paris avait peut-être été perturbé par le contexte politique de l’année 1848 et les désordres administratifs qui s’en suivirent.
Le 29 juillet 1857, ils firent savoir à M. Chabouillet, membre du cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale, que leur recherche était restée vaine et lui remirent des documents destinés à faciliter ses investigations 40. Plusieurs savants alertèrent la communauté scientifique en évoquant « l’affaire » devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Au cours de la séance du 12 mars 1858, le président Philippe Le Bas exprima son souhait « qu’on ne laisse pas ravir la priorité des documents et des observations de Vietty par des savants étrangers 41». Charles Lenormant, membre de l’Expédition d’Egypte qui avait rejoint les archéologues français en Grèce en 1829, raconta qu’il avait « eu lui-même l’occasion d’éprouver sa sagacité et son savoir » et que « ce fut un malheur, pour l’ouvrage de Morée, de manquer des documents qu’aurait pu fournir cet ingénieux et savant voyageur 42».
Les Comptes rendus de séances de l’année 1858 célèbrent à plusieurs reprises les mérites de Vietty, « une des plus remarquables individualités scientifiques et artistiques de notre époque 43», qui avait « reconnu le premier le temple d’Héra à Argos, dont les Allemands revendiquent à tort la découverte 44». Ainsi, le 4 juin et le 24 septembre 1858, l’Académie demanda officiellement au ministère de l’Intérieur la communication des manuscrits de feu Vietty 45. Ces requêtes de l’Institut, comme les recherches de Léon Charvet un demi-siècle plus tard, n’aboutirent à aucun résultat et, pour une raison encore inconnue, la totalité des documents de Vietty concernant la Morée demeure introuvable depuis cent cinquante ans, à l’exception des deux carnets retrouvés.
- QUELQUES PISTES DE LECTURE
- Un témoignage sur l’Expédition scientifique de Morée
- Correspondant à cinq mois de travail en Grèce, de juillet à novembre 1829, les carnets retrouvés représentent une source directe sur l’Expédition scientifique de Morée qui dura neuf mois, de mars à décembre 1829. Ils révèlent d’abord l’organisation défaillante, ou pour le moins obscure, de la section d’archéologie qui suscitait les sarcasmes des autres membres de l’Expédition 46. Dès leur arrivée en Grèce, Edgar Quinet et Jean-Baptiste Vietty, qui appartenaient à la section d’archéologie, avaient émis des réserves sur certains condisciples qu’ils considéraient comme des« dilettantes ». Vietty l’écrit ouvertement à Quinet quelques années plus tard :« Vous vous rappelez que lorsque nous voulûmes quitter nos infirmes camarades pour voyager ensemble, je vous quittai lorsque j’entrevis que vous vouliez parcourir la Grèce comme vous venez de m’écrire. Tel est exactement ce que j’ai dit de vous, beau sire, et de plus que vous avez une mémoire prodigieuse et une grande érudition philologique. Si ce que vous pensez de votre féal est aussi véritable que ce que je pense de vous, qu’on s’émerveille de voir Bory de Saint-Vincent, Blouet et compagnie, gens ont aucun ne sait l’orthographe, imprimer au nom du gouvernement un ouvrage sur la Grèce, tandis que vous et moi, qui avons les mêmes droits, nous sommes rejetés. Circulatores 47! Ce fait, s’il était divulgué, passerait pour un chef-d’œuvre de jonglerie, même à Paris 48.»
Les deux hommes avaient rapidement quitté leurs compagnons mais ils avaient poursuivi leurs investigations séparément, sans parvenir à s’entendre sur une méthode et un itinéraire communs. Cette attitude avait inquiété les autres membres de l’Expédition qui, après la grave maladie de Quinet et son retour précipité en France au mois de mai, étaient restés sans nouvelle de Vietty 49 pendant plusieurs mois. Durant cette période, les difficiles conditions de séjour décimèrent peu à peu la section d’archéologie qui vit aussi partir son chef, Dubois, et finit par se réduire à une seule personne, le peintre Trézel. Celui-ci raconte dans son journal de voyage qu’il dut poursuivre l’exploration en solitaire 50, comme Vietty le faisait déjà depuis plusieurs mois 51.
Il semble toutefois que Vietty soit rentré en contact avec d’autres membres de l’Expédition ou qu’il les ait retrouvés en septembre sur l’île d’Égine 52 où Blouet, Poirot et Ravoisié, membres de la section d’architecture, avaient rejoint Trézel 53. Il se plaint en effet que ses « chefs » négligent des informations essentielles sur les monuments 54. Si certaines erreurs sont possibles, les critiques de Vietty et son goût pour la solitude 55 révèlent surtout qu’il supportait mal son rôle « subalterne » dans l’Expédition :
« Je voulais faire fouiller quelques tombeaux mais la position subalterne dans laquelle on m’a placé en une telle Expédition ne m’en a pas laissé, ni le temps, ni les moyens. J’ajourne donc l’étude que j’avais faite de cette partie si intéressante de l’ancienne histoire 56.»
Les investigations solitaires de Quinet 57 et de Vietty sont d’autant plus intéressantes que leurs itinéraires respectifs, souvent improvisés au gré des circonstances, ne recoupent pas exactement celui des autres membres de l’Expédition. Le parcours de Vietty (fig. 4), connu en partie par les lettres à son ami Lortet 58, peut être reconstitué à travers les carnets (n° 24 : Argos, Mycènes, Agios-Basilios, Némée, Corinthe, Sicyone, Corinthe, Calamatia, Mégare, Salamine ; n° 12 : Salamine, Égine, Épidaure, Nauplie [Navarin, Modon, Tripolitza, Argos, Nauplie]59, Épidaure, Égine, Éleusis, Athènes).
Mais l’intérêt de ces 320 pages manuscrites réside surtout dans la nature des travaux de Vietty : croquis, mesures, inscriptions, analyses des sites.
À l’étude des lieux connus se mêle la découverte de constructions antiques et, parfois, le sentiment de découvrir une cité perdue 60. Les analyses archéologiques font également la place à de nombreux développements sur les paysages, la botanique, la géologie, le climat, les populations locales, l’habitat précaire des réfugiés, les difficiles conditions de vie d’un peuple exposé à la misère et au brigandage dans un pays dévasté par dix années de guerre. Ces carnets n’étaient pas destinés à être publiés en l’état, comme le prouvent les incises qui émaillent le texte : « à vérifier 61», « à revoir 62»,« ici, description, s’il y a lieu, des coutumes turques 63», « ce monument remarquable doit être étudié (nous verrons si j’en aurai le temps) 64», « je ne le pense pas mais il faudrait fouiller 65», « il faut étudier encore le temple 66», «investigandum est 67», etc. Nous avons à faire à « des notes prises sur place 68», l’ébauche d’une publication future. Cette caractéristique, qui explique bon nombre d’approximations, constitue le principal intérêt de ces manuscrits qui reflètent un itinéraire original et qui représentent l’unique travail d’un membre de l’Expédition qui n’ait pasété retouché pour la publication 69. Ils nous plongent au cœur d’un work in progressnourri d’analyses, d’hypothèses 70 et de réflexions individuelles ou collectives 71 qui débouchent sur une étude méthodique.
- Une conception extensive de l’archéologie
Les analyses de Vietty nous permettent de reconstituer globalement sa méthode de travail : 1° présentation générale du site (géographique, topographique et historique) ; 2° description des sols, des roches, de la flore et (parfois) de la faune ; 3° étude des monuments (mesures, inscriptions, mobilier et interprétation) ; 4° commentaires historiques. Au cours de ses recherches, Vietty recueille également de nombreux échantillons dont témoignent les discrètes incises « vid. échantillons ». D’autres renvois « vid. graf.», « vid. zwgraf.», etc. révèlent l’existence de cahiers dans lesquels il consignait plus précisément les croquis et les inscriptions. Si ces cahiers sont aujourd’hui perdus, les carnets contiennent eux aussi quelques inscriptions qui se fondent dans le récit 72 ou, comme dans l’exemple ci-dessous (fig. 5), sont l’objet d’une rapide transcription collée entre deux pages 73. La diversité des travaux de Vietty reflète une conception extensive de l’archéologie qui prend aussi en considération l’environnement et l’histoire d’un site. Ils reposent sur une vision globale de la Méditerranée antique qui suppose des compétences linguistiques, philologiques et historiques. Bien qu’appartenant à la section d’archéologie, Vietty prend soin de noter également tout ce qui concerne la physiologie des habitants 74, leurs coutumes 75 et leurs activités, notamment agricoles 76.
L’objectif était à l’évidence de réunir le plus d’informations possibles sur des lieux que ne traverseraient pas forcément les autres membres de l’Expédition. Conscient des limites de ses compétences dans certains domaines, notamment la botanique, il compense son ignorance par une méthode d’analyse comparative, comme en témoignent ses remarques sur les pins helléniques :
« Ce pin, que j’ai commencé à trouver sur les ravins argileux de Sicyone est l’arbre caractéristique de l’Isthme dont il couvre les plages et les montagnes. Ce n’est ni le pin maritime ni le pin du Nord ni le pin à pignon, ni le pin de L[ord] Weimouth, ni le pind’Alep ni le pin de Tarare : c’est un pin hellénique. Il tient de tous les pins et ne ressemble à aucun, pas plus au pin-cèdre et -sapin du Taygète qu’aux pins de France et d’Italie. Il n’est point en ombrelle, comme les pins d’Italie, ni pyramidal comme les pins du Nord. A peine a-t-il la physionomie du pin. Il ressemble de loin à l’arbousier. Sa couleur est remarquable : c’est un vert clair, presque jaune, singulière et vive couleur qui s’harmonise, en contrastant avec le vert du buis, du lentisque, le glauque de l’olivier, le vert glacé du caroubier et le ton funéraire du cyprès, du genévrier hellénique(arbre composant la grande végétation de l’Isthme ; quelques figuiers). Il ne perd pas toutefois son caractère : on le voit quelquefois prendre une légère forme d’ombrelle, un arrondi comme en Provence. Mais la différence de style général est grande. Quelque-fois aussi, il laisse pendre des branches et a la forme des pins d’Amplepuis. Tout cela est rare. Forme, couleur, stature, tout est étonnamment modifié. Il a de 4 à 30 pieds défaut au plus ; ses cônes sont mi-maritimes, mi-Amplep[uis] et, deorsum, son feuillage doux, de Lord Weimouth, et son tronc plus tortueux, de même. C’est un pin grec, plus modifié encore dans cette contrée que le peuplier élégant et superbe de Sparte. La dissemblance de la Grèce avec l’Italie se manifeste aussi en ces deux végétaux : je n’ai vu en Grèce ni un pin à pignon, ni un peuplier d’Italie. Ce grand et superbe pin à large parasol, à cône statuaire (Italie), est [un] des caractères les plus accentués de l’Italie, et n’est pas grec. En Grèce, les arbres sont des détails. Les monts et les rocs, des formes magistrales. On ne peut écrire le caractère de ces pins : il faut en faire un croquis avec leurs rocs. De quelle espèce les botanistes feront-ils le pin de l’Isthme 77 ?»
Les analyses architecturales sont elles aussi agrémentées de comparaisons avec des monuments de l’Antiquité romaine ou, plus récents, de la région lyonnaise 78 et du Nord de la Loire 79. Les descriptions aboutissent à des commentaires historiques qui laissent entrevoir quelquefois l’ambitieux projet auquel Vietty se consacra dans les dernières années de sa vie : l’étude des origines de la civilisation grecque 80. Cette préoccupation apparaît nettement dans les ruines des plus anciennes cités grecques dont Vietty cherche à dater les différentes phases de construction 81. Mais les remarques, parfois confuses, ne sont que des ébauches du projet final. Elles ne sont pas l’objet des recherches en cours, comme Vietty le reconnaît lui-même : « Je ne puis ici que remarquer les faits et réunir au hasard quelques pensées qu’ils me suggèrent. […] Mais encore une fois, laissons là le discours : non est hic locus 82.» Le souci documentaire de Vietty, presque exclusif dans les carnets, ne parvient pas toutefois à dissimuler le regard de l’artiste, à la fois peintre et sculpteur, sans cesse ébloui par les trésors de la Grèce 83.
- Le regard d’un artiste
Dans ce pays où même « la lune colore le paysage des couleurs du soleil 84 », les paysages sont décrits avec des touches de couleurs et une palette de tons expressifs :« Il faut admirer la couleur de ces monts arides : fond jaunâtre et rougeâtre, roussi par la couleur gris-argent des rochers, sous un ciel d’un bleu presque blanc, teinté de rose 85.»
Tout au long de son itinéraire, Vietty, tel un peintre, saisit des images et des portraits qui correspondent parfois, si l’on en croît certaines notes marginales, à des dessins perdus : « dessiné chapiteau corinthien et ionique, un petit groupe de3 femmes 86», un visage d’enfant « de grand style hellénique » 87, une jeune Corinthienne auprès d’une fontaine 88, la population misérable d’Argos travaillant sur des fouilles 89, les logements insalubres des réfugiés exsangues 90, les femmes ipsariotes qui ont le plus élégant costume de la Grèce 91, un vieillard sourd gouvernant le caïque jusqu’au Pirée 92, un jardin d’agrumes qui forment un oasis délicieux 93, le frétillement des serpents dans les broussailles d’Épidaure 94, une main colossale encastrée dans une maison d’Égine 95, l’immense incendie dévastant l’Isthme de Corinthe 96, etc. Le lecteur chemine ainsi, par l’écriture et le dessin (fig. 6), au milieu d’innombrables images « à travers les arbres de Cybèle qui, mêlés à l’olivier sauvage, aux lentisques ou aux caroubiers, forment un continuel bocage qui s’étend sur le flanc des monts et couronnent leur tête de forêt sur ces rocs abrupts qui ressemblent à de hauts remparts et à des tours à demi écroulés 97»
Le lexique révèle l’intérêt de Vietty pour les formes sculpturales de la nature hellénique, « artiste par excellence 99» avec ses « paysage[s] de sculpteur100», ses« amphithéâtre[s] de montagnes 101» et ses « montagnes (…) stylisées 102
« Les autres rochers aigus qu’on voit au Nord [d’Athènes] sont d’une forme plus artiste encore, beaucoup plus statuaire que celle de l’Acrocorinthe. C’est exactement le style fort et sévère, pur et concis, hiéroglyphique des pierres gravées et des beaux bas-reliefs : vrai paysage de sculpteur (l’Acrocorinthe tient un peu du peintre)103.»
La sensibilité artistique de Vietty est exacerbée par un enthousiasme sans borne, attisé par les découvertes archéologiques 104 et par le désir de devancer l’action inexorable du temps 105. Malgré la difficulté des excursions 106, cet enthousiasme est également stimulé par l’envie irrésistible de découvrir Athènes. Vietty est comme aspiré par « la ville de Minerve » qui se dérobe derrière les hauteurs de Salamine, apparaît au loin depuis l’île d’Égine 107 et finit par se livrer toute entière à la fin de l’automne 108:
« C’est ainsi que je m’acheminais gradatim vers cette partie exquise de la terre, vers cette ville dont la gloire éternelle est celle de tous les hommes. Le nom d’Athènes respecté par les Romains dans l’orgueil de leur triomphe, par le terrible Sylla victorieux, ce nom sacré, moins grand, peut-être, que celui de la sublime Sparte ; au dessus de celui de la brigande Rome et le premier de tous les noms dans l’histoire de l’esprit humain, Athènes faisait palpiter mon cœur. J’allais la voir ! … Dans une heure, à Ambelaki, je verrai Athènes à quatre lieues de distance ; ces monts jaloux de Salamine ne me cacheront plus la ville de Minerve […]109.»
L’appétit de connaissance, la joie des découvertes et la quête de la lumière athénienne traversent l’ensemble d’un récit qui est également hanté par le spectacle omniprésent de la désolation. Les membres de l’Expédition sont en effet confrontés en permanence à différentes formes de dévastation, anciennes et contemporaines, qui font de la Grèce un immense champ de ruines .
- Le spectacle de la désolation Le dilettantisme, le pillage et les dégradations
Par sa rigueur et sa sensibilité, Jean-Baptiste Vietty réalise une sorte de compromis entre les exigences scientifiques de la Mission et l’enthousiasme romantique des explorateurs qui parcouraient la Grèce. Avec d’autres chercheurs de son temps, il contribue à définir une nouvelle approche de l’Antiquité grecque qui passe néanmoins par une critique des pratiques antérieures. Par exemple, il ne rate jamais une occasion de se démarquer de ces « voyageurs [qui] n’y voyaient pas clair 110». Chateaubriand 111 est la cible principale :
« On trouve le lit de l’Inachos (…) orné d’agnus-castus, uniquement. Un pont rompu, de 3 arches le traverse. Ce pont n’a point de parties ou de tailles helléniques. Pas le moindre filet d’eau sur ses galettes desséchés. Chateaubriand n’aurait pu remplir une fiole 112.»« Est-ce Chateaubriand ou Pouqueville qui disent n’avoir pas retrouvé [le temple de Neptune à Corinthe] ? Certes, c’est là l’une des plus étranges bévues qu’ait jamais faite aucun voyageur. Quiconque arrivera à Corinthe, ayant lu ce passage, ne peut manquer de faire ce dilemme absolu : ou l’auteur qui rapporte le fait n’a jamais vu cette ville, ou il y est arrivé par une nuit bien noire (chose en Grèce d’une grande rareté) et en est reparti avant le jour113.»
L’ironie laisse la place à la colère lorsque Vietty dénonce les pratiques dévastatrices des explorateurs peu scrupuleux. La Grèce est en effet victime, depuis l’Antiquité romaine, de pillages incessants qui ont fini par la vider de ses trésors antiques et qui rendent souvent l’analyse impossible : « Mille fois pillée depuis les Romains jusqu’à nos jours, cette terre si féconde en chefs-d’œuvre est restée nue sauf quelques tombeaux et ses productions inimitables sont entassées dans tous les cabinets de l’Europe 114. » Les dégradations des voyageurs sur les monuments antiques suscitent elles aussi son indignation :
« Un autre genre de vandalisme, plus stupide encore, peut-être, et surtout plus général, a concouru à défigurer les ruines respectables : la manie des petits esprits(grande majorité de l’esprit humain) d’écrire leurs noms sur les monuments célèbres, a été poussée ici au dernier degré d’extravagance. Presque toutes les pièces du temple entassées dans son enceinte sont entachées de ces noms obscurs, gravés souvent profondément dans la pierre et quelquefois d’un demi-pied de proportion. Allemands, Anglais, Français, etc. tous ont cru devoir apporter leur signature sur le Panhellenion et les Grecs modernes n’ont pas manqué, par imitation, de se signaler de la même manière. Insensés, pauvres gens, idiots, troupe ignorante et rustre, pensez-vous vous illustrer en gravant vos noms indignes sur un monument illustre ? Si cette pierre que vous avez dégradée et profanée est encore longtemps conservée, la postérité saura [que]S… N… étaient des êtres vaniteux, ignorants et ridicules 115.»
L’irritation de Vietty vise tout particulièrement les Anglais, ces « derniers vandales 116», dont il dénonce tour à tour l’impérialisme et les pillages destinés à enrichir les musées londoniens :
« Les Anglais se sont emparé de [Cythère] ainsi que de tant d’autres postes avancés, de tant de clefs. Ils se sont aussi accommodés de Corfou, Zante, Céphalonie, comme ils ont fait des îles de France, etc., etc. On les a laissés faire : ils ont bien fait. Il y a de quoi tomber de son haut mais nos savants diplômés trouvent cela tout naturel et les colossales puissances de l’Europe, ardentes à se guerroyer, ont ainsi laissé jalonner et emprisonner le monde par une poignée de forbans insolents que la France seule a conquis autrefois. Un trait de plus et qui sera signalé dans les anomalies de l’histoire 117.»
« [Le temple d’Égine] serait demeuré entier sans l’avide et aveugle rapacité des prétendus amateurs ou plutôt marchands anglais. À Égine, par toute la terre, cette race dévorante a exercé ses honteux ravages, fouillant, démolissant, brisant les rares et précieux restes de l’ancienne histoire de l’humanité qui, transposés en pièces dans la sombre Albion, sont déjà ternis et défigurés sous ce[tte] noir[e] atmosphère 118.»
Cette hostilité à l’égard des Anglais est révélatrice d’un état d’esprit partagé par de nombreuses personnalités françaises. La naissance de l’École française d’Athènes n’est pas sans rapport avec cet antagonisme politique et scientifique : le décret de fondation de l’École, en septembre 1846, est l’aboutissement des efforts conjoints de l’ambassadeur de France en Grèce, Théobald Piscatory, du ministre français de l’Instruction publique, le comte Achille de Salvandy, et du premier ministre grec Iannis Kolettis qui voulaient renforcer la présence de la France et contre-balancer l’influence des Anglais 119. En revanche, sous la plume de Vietty, l’évocation des Turcs, pourtant ennemis de la Grèce et des puissances occidentales, est beaucoup plus ambiguë : s’il considère que « l’Orient et l’Égypte ont fini par écraser la Grèce et [qu’] Ibrahim a été plus vandale que Genséric 120», il n’hésite pas à souligner la cordialité des sentinelles turques, sur la route d’Athènes121, et l’hospitalité du Bey d’Athènes, Ioussouf :
« Nous fûmes reçus chez lui avec plus d’égard, de cordialité, de délicate hospitalité qu’aucun étranger ne l’a jamais été chez aucun Bey ou Pacha de Paris ; sa table turque était recherchée ; il couchait au milieu de nous. Il nous donna le spectacle de l’exercice de ses délices. – Et les Français venaient de brûler la flotte du Sultan ; ils bâtissaient des forts pour ses sujets révoltés ; ils étaient venus en armes dans ses provinces […]122.»
- La guerre, le feu…
La Guerre d’indépendance (1821-1829) qui venait de se terminer avait provoqué de terribles destructions, en particulier dans les zones habitées. La plupart des villages et des villes n’étaient que champs de ruines, à l’exemple de la ville moderne de Corinthe :
« La ville moderne de Corinthe, maintenant détruite, divisée en plusieurs bourgades séparées par des champs et des jardins bien arrosés, n’était donc pas si misérable que nos voyageurs l’ont fait entendre. Elle était presqu’aussi grande que Tripolitza. Nos voyageurs n’y voyaient pas clair. C’est à présent qu’elle est misérable ainsi que tant d’autres ! Mais avant la guerre, c’était une des grandes villes du Péloponnèse 123.»
Quittant Corinthe sur une vision d’horreur (des rues parsemées d’ossements humains mêlés à des restes d’animaux)124, Vietty se dirige alors vers Mégare qu’offre le spectacle d’une cité fantôme :
« C’était une grande ville que Mégare pour la Grèce. Elle a pu rivaliser avec Athènes en puissance. Au second coup d’œil, je vois toutes les maisons en ruines ;toute la ville déserte… J’ai cru être transporté dans les villes de Libye dont les maisons, placées au milieu du désert, sont depuis si longtemps, vides d’habitants. Je descendis avec horreur dans cette vaste solitude m’égarant dans le labyrinthe de rues obstruées par les murs écroulés, dans les cours pleines de débris 125.»
La progression vers Athènes apparaît donc comme une longue traversée de ruines où les noms héroïques du passé se mélangent aux malheurs du présent. Même la découverte de Salamine, dont le nom est étroitement lié à la grandeur athénienne, inspire un sentiment de désolation devant tous ces conflits qui meurtrissent l’Europe depuis l’Antiquité, des guerres Médiques aux boucheries napoléoniennes :
« Le voilà donc le détroit de Salamine dont le nom, comme celui de Marathon, des Thermopyles, a fait le charme de notre jeune imagination […], le détroit de Salamine qui vit jadis la défaite du grand roi. Voici l’île basse où les Perses réfugiés périrent parla lance athénienne. Je vois la montagne d’où le roi des rois vit fuir les nombreux vaisseaux… Pourquoi toujours la gloire environne-t-elle les lieux qui virent égorger des milliers d’hommes ? Tel est le triste génie de l’humanité. C’est ainsi qu’on va visiter avec respect les champs de Cannes, de Pharsale, d’Austerlitz […]126.»
Cette impression s’explique par le souvenir des combats récents mais aussi parleurs conséquences sur le mode de vie des survivants. Même victorieuse, la Grèce indépendante doit reconstruire un pays dévasté par une « guerre d’extermination 127» : les populations réfugiées dans le golfe de Salamine sont victimes du manque de nourriture 128, des épidémies 129, des brutalités des palicares désœuvrés130et des incursions imprévisibles des Turcs d’Athènes 131. Si ces violences sont la preuve irréfutable que « l’homme est né ennemi de l’homme 132», les destructions ne se limitent pas aux ravages de la guerre. Dans l’été brûlant 133 de l’année 1829,l’Isthme de Corinthe est en effet la proie de violents incendies de forêt :
« Je trouvai le lendemain soir la grande table de l’Isthme et les monts de la Phocidé en feu… Ellaς δυσήνια : le feu forme un croissant dans les airs. Il semble qu’une nouvelle constellation se soit élevée des régions inférieures : ces feux semblent vouloir rivaliser avec les étoiles !! L’Isthme entière serait-elle embrasée par un feu de berger ? J’ai écrit les ruines de Sicyone sur les ruines de Corinthe à la clarté de l’incendie de l’Isthme 134.»
Qu’elles soient causées par les vandales, par les siècles ou par les flammes, les destructions délivrent finalement une image paradoxale de la Grèce où le sublime semble consubstantiel au néant. Ces évocations contribuent à l’originalité des carnets de Vietty qui constituent un double témoignage sur l’état des sites antiques en 1829 et sur la Grèce contemporaine durant les premiers mois de son indépendance.
Notre brève étude comprenait deux volets radicalement distincts :
1° l’identification des carnets retrouvés ; 2° la présentation des travaux d’un archéologue de l’Expédition de Morée. Si l’analyse des documents permet d’attribuer les carnets à Jean-Baptiste Vietty, il ne faut pas oublier qu’ils représentent une infime partie de ses manuscrits qui demeurent pour l’heure introuvables. Leur disparition, une quinzaine d’années après la mort du savant, reste inexpliquée et nous espérons que cette étude permettra de rouvrir « l’affaire Vietty » et de retrouver les documents perdus. En ce qui concerne le contenu des manuscrits, il reste beaucoup à faire, là aussi, pour comprendre le rôle exact de Vietty dans l’Expédition et pour apprécier l’intérêt de ses notes. Nous avons pensé que la publication d’un extrait permettrait aux historiens d’évaluer plus précisément l’apport documentaire de ces manuscrits et de déterminer si les deux carnets – en attendant peut-être d’autres découvertes – méritent d’être édités dans leur intégralité.
* Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux Professeurs Jean Marcadé et Jean-Louis Ferrary, membresde l’Institut, et au Professeur Laurent Feller, de l’université Paris I, qui m’ont fait profiter de leurs précieuxconseils. Je remercie également le musée des Beaux-Arts de Lyon qui m’a autorisé à reproduire une œuvrede Jean-Baptiste Vietty.
- Voir L’Invention scientifique de la Méditerranée. Égypte, Morée, Algérie, M.-N. BOURGUET,B. LEPETIT, D. NORDMAN, M. SINARELLISdir., Paris, 1998, 325 p. : la mission scientifique en Morée fait suiteà l’intervention militaire de la France en faveur des Grecs durant la Guerre d’indépendance (1821-1829).Après la victoire sur la flotte turco-égyptienne dans la rade de Navarin, en octobre 1827, et la libération duPéloponnèse par le corps expéditionnaire du général Maison, au cours de l’année 1828, le groupe de savantsfrançais débarqua à Navarin le 3 mars 1829.
- Sur l’histoire de la notion d’hellénisme, voir N. SIGALAS, « Hellénistes, hellénisme et idéologienationale. De la formation du concept d’hellénisme », dansL’Antiquité grecque au XIXesiècle. Un exemplumcontesté ?, Chr. AVLAMIéd., Paris, 2000, p. 239-291.
- Le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, publié en 1788 par l’abbé Jean-Jacques Barthélemy, estl’une des meilleures illustrations de la vision idéale de la Grèce nourrie depuis la Renaissance.
- R. ÉTIENNE« Quand les premiers archéologues découvrirent la Grèce », dans Clio.fr, 2007 ;R. ÉTIENNE, ancien directeur de l’École française d’Athènes, a publié notamment La Grèce antique, archéo-logie d’une découverte, Paris, 1990 ; voir aussi E. GRAN-AYMERICH, Naissance de l’archéologie moderne.1798-1945, Paris, 1998.
- Carnets n° 12 et n° 24 ; anonymes ; 20 sur 14 cm ; couvertures de cuir défraîchies ; 160 pages x 2 ;coll. particulière. Ces manuscrits ont été achetés à la « librairie niçoise » de M. Thierry Desouche.
- Archives nationales, F 21 545 : lettre du géologue Virlet d’Aoust, membre de l’Expédition deMorée, au ministre de l’Intérieur (10 avril 1843).
- L. CHARVET, « Jean-Baptiste Vietty », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, 34, 1910, p. 31-53 ; 35,1911, p. 192-239.
- Id., Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, 35, 1911, p. 239. Les archives de la Commission deMorée sont conservées aux Archives nationales sous les côtes F 21 544 et F 21 545.
- Archives nationales, F 21 545 : il s’agit de son dossier de candidature à l’Expédition, de quatrelettres administratives et de quelques feuilles incohérentes rédigées à la fin de sa vie.
- E. REYet E. VIETTY, Monuments romains et gothiques de Vienne en France dessinés et publiés parE. Rey, suivis d’un texte historique et analytique par E. Vietty, Paris, 1831. Pou la forme « E. Vietty »,cf. n. 21
- Chr. PELTRE, Retour en Arcadie. Le voyage des artistes français en Grèce au XIXesiècle, Paris, 1997,p. 93. L’auteur renvoie en note aux manuscrits conservés aux Archives nationales sous la côte F 21 545.
- Archives du cabinet des Médailles, 11 AMC 23 : documents sur les manuscrits et le médaillierlaissés par feu Eugène Vietty, membre de la Commission scientifique du Péloponnèse. Ce dossier contientnotamment un extrait du Mémoire adressé par M. Peyré au préfet du Rhône où figure l’inventaire desmanuscrits de Vietty.
- Le 30 avril 1931, M. Raoul Rochette, membre de la Commission de Morée pour l’Académie desinscriptions et belles lettres, annonça en séance publique les travaux de la section d’architecture et de sculp-ture, en particulier la découverte du sanctuaire de Zeus à Olympie. La redécouverte de nombreux sitesperdus, la possession de fragments de sculpture et l’exploration méticuleuse des villes et des monumentsinauguraient une ère nouvelle dans la perception de l’Antiquité. L’Expédition de Morée, grâce à Blouet et sescollaborateurs Ravoisié, Poirot, Trézel et Gournay, avait sauvé d’une destruction certaine les derniers débrisde la civilisation grecque. Des extraits du rapport de M. Raoul-Rochette, lu à la séance publique des quatreacadémies, sont cités dans Expédition scientifique de Morée(op. cit. n. suivante), vol. I, p. 62-64.
14.Expédition scientifique de Morée : architecture, sculptures, inscriptions et vues du Péloponnèse, desCyclades et de l’Attique mesurées, dessinées, recueillies et publiées, A. BLOUETdir., 3 vol., Paris, 1831-1838.Les travaux de la Commission de sciences physiques furent publiés à partir de 1832 : Expédition scientifiquede Morée : Section des sciences physiques, M. BORY DESAINT-VINCENTdir., Paris, 1832-1836.
- J. B. BORY DESAINT-VINCENT, Relation du voyage de la Commission scientifique de Morée dans lePéloponnèse, les Cyclades et l’Attique, Levrault, 1836-1838, 2 vol. et un atlas ; E. QUINET, La Grèce moderneet ses rapports avec l’Antiquité ; (suivie du) Journal de voyage, introduction, établissement des textes, notespar W. AESCHIMANNet J. TUCOO-CHALA, Paris, 1984 ; Amaury DUVAL, Souvenirs (1829-1830), Paris, 1885.
16.Journal de voyage de M. Trézel(inédit), Bibliothèque nationale de France, n. acq. fr. 1849, 35 fol.
- Carnet 12, p. 71 : « Le côté latéral sud du Parthénon, la plaine d’où s’élèvent les huit grandescolonnes du Portique d’Hadrien, le monument de Philopappos en avant (ou la tour vénitienne des Propy-lées ([d’après] Blouet]). »
- Carnet 12, p. 2 : « Selon M. Trézel, il y a une porte majeureet des forts avancés à l’avant deSicyone, à l’endroit où j’avais aperçu des constructions helléniques (visendum est). »
- Carnet 12, p. 38 : « Je voulais faire fouiller quelques tombeaux mais la position subalterne danslaquelle on m’a placé en une telle Expédition ne m’en a pas laissé, ni le temps, ni les moyens. »
- Archives nationales, F
21 544.21. Jean-Baptiste Vietty, né en 1787, se présente lui-même comme « Eugène Vietty […] né en 1791 ».Léon Charvet émet une hypothèse pour expliquer cette double incohérence qui est la source de nombreusesconfusions : L. CHARVET, « Jean-Baptiste Vietty », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, 34, 1910, p. 46 :« Les concurrents aux grands prix de l’Académie de peinture et de sculpture […] ne pouvant se présenteraprès l’âge de trente ans, cela explique que notre Jean-Baptiste usa d’un subterfuge bien innocent, pour serajeunir de quatre ans, en se faisant inscrire, le 27 août 1817, sous le nom de son frère, Claude-Marie-Eugène(né le 11 avril 1791). »
- Carnet 12, p. 25 ; carnet 12, p. 83 ; carnet 24, p. 110.
- Carnet
24, p. 111.24. Carnet 12, p. 77.
25. Cette statue sur socle, allégorie de la Seine, représente une femme couronnée de fleurs dans unedraperie tombante. Commandée par la ville de Lyon, elle fut exposée au Salon des artistes français de Parisen 1827 et acquise par le musée des Beaux-Arts de Lyon en 1833. Voir A. JAL, Esquisses, croquis, pochadessur le salon de 1827, Paris, 1828, p. 471 : « Vous serez charmé aussi d’avoir une figure de M. Vietty, auteur,cette année, d’une Nymphe de la Seine, que j’estime beaucoup. M. Vietty est un homme modeste, timide,d’un talent très distingué ; il n’est pas écrivain moins judicieux qu’artiste habile. »
- Voir n. 12.
- Voir infra.
- Carnet 12, p. 62 : « [À Égine,] il existe un dessin fait avant les travaux de terrassement. On l’a com-muniqué à nos chefsqui ont jugé ce propos de [illisible], ainsi que les notes de l’Institut et tant d’autreschoses ! »
- E. QUINET, La Grèce moderne, op. cit.(n. 15). Quinet publia son ouvrage dès 1830 chezF. G. Levrault alors que Vietty travaillait encore en Grèce. Celui-ci garda une profonde rancune contre sonami qui avait dû rentrer en France, malade, trois mois après son arrivée en Grèce. La confiance entre les deuxhommes était suffisamment grande, en Grèce, pour qu’ils décident de se séparer du reste des autres membresde la section d’archéologie dans laquelle régnait un certain amateurisme : voir lettre de J.-B. Vietty àE. Quinet, BNF, n. acq. fr. 15510, fol. 229-230 : « [Paris,] 6 mars 1832. Dear friend, Je désirais beaucoup vousvoir. J’ai même été sur le point d’aller à Charolles. Mais après une fièvre de cinq mois j’avais hâte d’arriverdans la prostituée Babylone moderne, plus polluée que l’ancienne ou du moins plus peuplée de filous et decharlatans. J’aurais été encore plus content de votre missive exiguë si elle n’était pas trop dans le sens dese[pea pteroventadu vieil aveugle. Je ne vous remercie pas d’avoir dit ce que vous pensiez de votre compagnonde voyage (je pourrais dire seul compagnon, sans nulle vanité) dans le pays… comment faut-il l’appeler ?dorien, comme on dit en France. J’ai dit aussi dans tout notre horizon ce que je pensais de vous. Il paraît quevous désirez savoir de moi ce que j’ai dit de vous ; je vous le dirai tout naïvement : j’ai dit que vous êtes unpenseur, un écrivain de génie, mais que vous avez esquissé seulement votre Voyage en Grèce. Vous savez toutcela. […] Que n’êtes-vous dans l’infâme Lutèce ? Nous eussions pu, réunis, opposer une force suffisantecontre les intrigues de la cabale. Il faut que moi chétif je lutte seul contre un régiment d’aristocrates plé-béiens. J’attends, après des mois, qu’on daigne examiner pendant quelques heures un travail de près de troisans. Et delenda Lutetia! Faites-moi le plaisir de m’indiquer votre libraire à Paris. Je désire un ex.rede votreouvrage sur la Grèce pour moi, et un autre pour un vénérable immortel, ou non, de l’Institut. Votre ami,E. Vietty » (lettre citée dans E. QUINET, Journal de Voyage, « Lettres et documents inédits », 1984, p. 460-461).
- Archives nationales, F 21 545 : Lyon, 24 décembre 1835, lettre de Vietty au ministre de l’Intérieur.
- Sur le rôle de Pausanias dans l’historiographie de la Grèce, voir Pausanias Historien, O. REVERDINet B. GRANGEéd., Genève (Entretiens sur l’Antiquité classique, 41), 1996, 353 p. ; en particulier Y. LAFOND,« Pausanias et l’histoire du Péloponnèse depuis la conquête romaine », p. 167-205.
32. Archives nationales, F 21 545 : la lecture des carnets de 1829 montre que ce projet était déjà aucœur des investigations de Vietty durant son séjour en Grèce (voir par exemple carnet 24, p. 103 et 149).
33.Ibid.: une lettre sans date et trois lettres du 28 mai 1835, 24 juin et 24 décembre ; voir par exemple« Villefranche, 24 juin 1835 : Mes collègues ont presque achevé leur publication. Que V. Excellence me per-mette de lui exposer la situation respective d’eux et de moi : ces Messieurs n’ont pas voyagé pendant un andans la Grèce ; je l’ai parcourue durant plus de trois années : donc, je dois avoir plus de matériaux à rédiger ;ils ont plusieurs collaborateurs. La Section d’archéologie exige spécialement beaucoup de recherches épi-neuses ; ne recevant que la moitié de leur traitement, je n’ai pu me faire aider dans mes propres travaux, d’au-tant que j’ai voyagé pendant plus de deux ans à mes frais. »
- Archives du cabinet des Médailles, 11 AMC 23 ; le juge Peyré cite le nom de trois créanciers : lesieur Rozier, aubergiste à Pimbauchain (100 F), le sieur Gay, limonadier à Tarare (80 F) et le sieur Viornery,aubergiste à Villefranche (200 F).
- Archives nationales, F 21 545.
- Archives nationales, F 21 545. Par exemple la lettre du maire de Lyon au ministre de l’intérieur du4 mai 1845 : « Monsieur le Ministre, Il y a précisément un an que M. le Préfet du Rhône appelait l’attentionde votre Excellence sur les manuscrits laissés par Vietty au moment de sa mort et mis en gage chez quelques-uns des fournisseurs de ce savant tombé seul dans une misère profonde. Une modique somme de 1 100 francsest nécessaire pour retirer ces manuscrits qui sont en très grand nombre et que les amis de Vietty regardentcomme très précieux. Veuillez donc, Monsieur le Ministre, donner des ordres pour que cette modiquesomme soit mise à la disposition de M. le Préfet afin que ces manuscrits soient délivrés et restitués à votreministère à qui ils appartiennent. Le maire de Lyon. »
37.Ibid., lettre du maire de Lyon au ministre de l’Intérieur du 24 mai 1847 : « Monsieur le Ministre,[…] Il est bien temps que cette affaire reçoive enfin une résolution définitive ; M. Peyré, membre du conseilgénéral et juge au tribunal de Villefranche a été nommé dépositaire judiciaire, au nom de l’État, d’une partiedes manuscrits de Vietty ; il faut bien qu’il soit mis en mesure de rendre compte de son mandat et de racheterles manuscrits qui restent épars. Permettez moi, Monsieur le Ministre, d’espérer que cette affaire ne subirapas de nouvelles lenteurs […] Le maire de Lyon. »
- Voir n. 12, archives du cabinet des médailles, 11 AMC 23, inventaire des manuscrits de Vietty :« 1° 37 cahiers contenant partie des études de l’auteur relatives soit à un grand travail de théorie où il avaitentrepris de fondre toutes ses idées sur la civilisation et l’art grec […] ; 2° 9 liasses ou cahiers de travaux plusavancés et de rédaction définitive ; 3° 23 liasses de notes ou extraits de lecture ; 4° 33 carnets de voyage dontla plus grande partie paraît contenir les notes prises sur les lieux mêmes et pendant le cours des explorationsscientifiques de l’auteur ; 5° Enfin, 9 cahiers contenant les dessins originaux pris à la vue des monuments oudes contrées qu’il s’agissait de décrire ; dessins qui nous ont paru extrêmement remarquables et empreintsd’une éclatante couleur de vérité locale. Total, cent onze liasses, carnets ou cahiers tous paraphés par lenotaire sur la couverture ou l’enveloppe. Quant aux cent sept médailles grecques qui sont en mon pouvoir,elles ont été renfermées dans un sac de toile sur lequel M. le Juge de paix a placé les scellés. »
- Lettre citée par L. CHARVET, « Jean-Baptiste Vietty », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, 35,1911, p. 238 : « Villefranche, le 30 juillet 1848. Messieurs, L’affaire relative aux papiers de votre frère est enfinterminée et vous avez dû recevoir ces jours-ci la signification du jugement. Vos frais de justice ont été mis àla charge de l’Etat… Je me réjouis, Messieurs, que cette affaire soit enfin terminée au gré du désir que vousm’en avez souvent manifesté et j’espère que les manuscrits et médailles seront remis par le Ministre en desmains assez habiles et assez consciencieuses pour en faire sortir toute la gloire qui en revient à votre frère.Agréez, etc. Peyré, ancien magistrat à Villefranche (Rhône). »
- Archives du cabinet des Médailles, 11 AMC 23 (voir note 12) : « […] M. Sylvain Blot fait connaîtreà M. Chabouillet que le 29 juillet 1857, en suite d’une recherche faite par lui, de concert avec M. Peyré, auministère de l’Intérieur, un certificat lui fut délivré par M. de la Peyrée, chef du bureau des renseignements,constatant la réception des manuscrits, médailles et dessins précités au ministère de l’Intérieur vers la fin de1848, lequel certificat fut remis le même jour par M. Peyré à MmeHortense Cornu en vue de continuer larecherche commencée. M. Blot, sur la demande de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, lui a com-muniqué, depuis la dite époque, un volume contenant la correspondance qu’il a eue avec feu Vietty à partirde son retour en Grèce jusqu’au moment de sa mort ainsi que les correspondances administratives et minis-térielles ayant trait aux ouvrages du savant helléniste […]. Un carnet renfermant des notes explicatives deVietty sur la pensée de son ouvrage applicable aux mythes religieux de l’Antiquité a été également commu-niqué par M. Blot à l’Institut à titre de renseignement. Lorsque Monsieur Chabouillet aura utilisé les docu-ments ci-contre, dans l’intérêt de la découverte des ouvrages de feu Vietty, M. Blot le prie de vouloir bien leslui restituer. »
41.CRAI, 1858, p. 52.
42.Ibid.
43.Ibid., p. 107, n. 1.
44.Ibid., p. 52, n. 1.
45.Mémoires de l’Institut impérial de France. Académie des inscriptions et belles-lettres, t. XXIII/1,1868, p. 168 : « Communication demandée des manuscrits de feu Vietty. Dans la séance du 12 mars [1858],l’Académie, sur proposition de M. Ph. Le Bas, son président, décida qu’il serait écrit à M. le ministre de l’In-térieur et à M. le ministre d’État pour obtenir communication des manuscrits de feu Vietty, statuaire attachéà la Commission de Morée et versé dans la connaissance des langues et des monuments antiques ; ces manus-crits paraissent avoir une certaine importance. À cette occasion, M. Sylvain Blot, ancien préfet, offrit ettransmit un volume de lettres à lui écrites par Vietty pendant son séjour en Orient, ainsi qu’un carnet denotes (séance du 4 juin). Sur une demande itérative de l’Académie, M. le Ministre de l’Intérieur la renvoyadevant le ministère d’État, saisi par lui de l’affaire et dépositaire des papiers de Vietty, à la direction desBeaux-Arts (séance du 24 septembre) ». L’intérêt de Ph. Le Bas pour les manuscrits de Vietty s’explique parles propres recherches de l’académicien qui commenta les inscriptions recueillies par l’Expédition de Moréeet qui se rendit lui-même en Grèce de 1843 à 1846 (voir Ph. LEBAS, Monuments d’Antiquité figurée recueillisen Grèce par la Commission de Morée, Paris, 1835-1839 ; Voyage archéologique en Grèce et en Asie Mineurefait par ordre du gouvernement français pendant les années 1843 et 1844, Paris, 1848).
- Lettre du baron Cuvier, membre de la section de sciences physiques (15 avril 1829) : « Ma sectionest toujours compacte et travaille. Malheureusement il n’en est pas de même de celle d’archéologie.M. Lenormant, arrivé d’Égypte, s’est trouvé (à 25 ans) humilié d’être sous les ordres de M. Dubois (qui en a50) et a déclaré qu’il était pour son compte, afin de pouvoir correspondre avec le Globe. Un M. Schinas,Grec, et un M. Quinet, philosophe (que je crois fou) sont partis de leur côté, de sorte que ce pauvreM. Dubois reste à peu près seul avec un peintre (Trézel) qui est précisément devenu aveugle en arrivant et lejeune Amaury-Duval. La section d’architecture a aussi une sorte de fou, nommé Vietty, qui court seul sansqu’on sache ce qu’il fait » (voir E. QUINET, Journal, notes complémentaires, n. 118, p. 290-291)
- « Charlatans », en latin.
- Lettre de J.-B. Vietty à E. Quinet, BNF, n. acq. fr. 15510, fol. 229-230 (6 mars 1832).
- Amaury DUVAL, Souvenirs (1829-1830), Paris, 1885, p. 101-102 : « Vietty, le sculpteur helléniste,avait abandonné la section d’architecture, à laquelle il était attaché […]. Je ne l’ai jamais revu » ; p. 230, extraitd’une lettre (date non déterminée) de M. Fabreguette à Amaury Duval qui avait quitté la Grèce dès le prin-temps 1829 : « Point de nouvelles de Vietty, qui vole de ses propres ailes. Je tremble toujours qu’on ne letrouve mort dans quelque fossé. Quelle tête ! » Après son retour en France, E. Quinet exprime lui aussi soninquiétude sur le sort de Vietty dans une lettre à MlleMoré (en octobre 1829) : « Presque tous mes compa-gnons de voyage ont passé ainsi que moi par de violentes maladies. J’attends ici quelques-uns d’eux qui sontréfugiés dans les environs ou à Lyon. Je suis bien inquiet de l’un des meilleurs avec qui j’étais lié un peu etqu’ils ont été obligés de laisser dans une île presque à l’agonie. C’est Vietty » (voir L. CHARVET, « Jean-Bap-tiste Vietty », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, 35, 1911, p. 217).
50.Journal de voyage de M. Trézel(inédit), BNF, n. acq. fr. 1849, fol. 19r(21 juillet 1829) : « Desraisons de santé ayant obligé Messieurs Dubois et Duval de rentrer en France, je continuerai seul le voyageavec les instructions que Monsieur Dubois me laisse par écrit. Il emporte avec lui les dessins que j’ai faitsdepuis le commencement de notre campagne. »
- Les carnets contiennent, notamment sur les couvertures intérieures, des informations comptablesqui nous renseignent sur les dépenses de Vietty, avec descriptif et prix des objets achetés de juillet à novembre1829 : par exemple, « achat de vases et terres cuites » (carnet 12, p. B) et longue « liste de médailles »(carnet 24, p. B-C et carnet 12, p. B-D). L’inventaire des manuscrits de Vietty, réalisé après sa mort, signalela présence de 107 médailles (voir supran. 12). Le problème des dépenses et, plus largement, des moyens desubsistance de Vietty prit une extrême importance à partir de l’hiver 1829, après l’ordre de rapatriement del’Expédition, le refus de Vietty de rentrer en France et le vol de ses affaires par son domestique (voir lettre de Quinet à sa mère, 8 février 1830). Tout en bénéficiant de l’aide de certains amis et d’une mensualité (irré-gulière) du gouvernement français, Vietty dut se résoudre, jusqu’à l’été 1831, à vendre une partie des objetsqu’il avait acquis (voir L. Charvet, « Jean-Baptiste Vietty », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, 35, 1911,p. 218-219). Cette attitude n’a rien d’exceptionnel puisque Louis Fauvel, peintre et consul de France de 1802à 1838, se livrait lui aussi à un commerce d’antiquités qui « doivent avoir constitué sa principale source derevenus » (voir A. ZAMBON, « Fauvel et les vases grecs », Journal des Savants, 2006, p. 14).
52.Journal de voyage de M. Trézel, fol. 30r (Égine, 10 septembre 1829) : « Je dessine d’après une terrecuite appartenant à M. Vietty ; c’est un petit amour avec un chien. »
53.Ibid.(Égine, 15 septembre 1829) : « MM. Blouet, Poirot et Ravoisié arrivent de leur voyage auxîles ; ils logent avec moi et m’apprennent qu’une grande partie de nos collègues ont été fort malades et queplusieurs étaient retournés en France. »
- Voir supra, n. 27.
- Carnet 12, p. 70 : « On se sent mieux séparé du reste du monde. »
- Carnet 12, p. 38.
- E. QUINET, La Grèce moderne…, op. cit. (n. 15).
- Lettres citées par L. Charvet, « Jean-Baptiste Vietty », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, 35,1911, p. 210 et s.
- Le 1eroctobre 1829, Vietty embarqua dans le port de Nauplie sur « une goélette grecque » qui serendait à Navarin. Ce voyage autour de « la feuille de platane » que forme le Péloponnèse est l’occasion dedécrire le relief accidenté des côtes de Laconie et de Messénie (cap Malée, île de Cythère, mont Taygète, capMatapan…). Ces quinze pages (carnet 12, p. 91-105) sont particulièrement difficiles à lire car Vietty, à courtd’encre durant la traversée, rédige l’essentiel au crayon. Le retour vers l’Argolide, de Modon à Nauplie, enpassant par Tripolitza, se fit à cheval et à pied. L’itinéraire n’est pas décrit mais seulement indiqué dans untitre, avec renvoi à un « livre de notes » que nous ne connaissons pas (carnet 12, p. 106 : « De Modon à Éginepar Tripolitza, Argos, Épidaure [de Modon à Argos, Nauplie, voir le livre de notes] »). Vietty raconte sonarrivée à Épidaure « au mois de novembre » (carnet 12, p. 132).
- Carnet 24, p. 32 : « Je suis allé sur la montagne d’Agios Basilios sur un faux renseignement deruines helléniques. Le village sur le revers Ouest d’une haute colline parait être l’emplacementde quelqueville antique. On y trouve des petites tailles employées qui ne semblent pas avoir été taillées depuis la phasechrétienne » ; carnet 24, p. 33 : « On voit, à gauche, en plaine, beaucoup de tas de moilons ; il en est qui ontquelques tailles ; ils ont l’air anciens et sont couverts de lentisques. Un ruisseau intarissable coule au milieu– une cité, un bourg hellénique, a jadis existé en ce lieu. Je crois voir des murailles sur 2 grandes collines cou-vertes de lentisques qui bordent cette plaine ».
- Carnet 24, p. 28.
- Carnet 24, p. 29.63. Carnet 12, p. 156.
- Carnet 12, p. 35.
- Carnet 12, p. 46.
- Carnet 12, p. 70.
- Carnet 24, p. 43.
- Carnet 24, p. 149-150 : « cette question très complexe (…) ne peut être traitée dans des notes prisessurplace».
- Le Journal de voyage de M. Trézel, inédit (voir n. 46), est un court récit de 35 pages qui fut écrità Navarin à la fin de l’Expédition et qui retrace le parcours de la section d’archéologie, sans aucune analyseni aucun relevé archéologique.
- Carnet 24, p. 40 : « il m’a semblé, hier, que les antiques colonnes de Corinthe n’ont pas le profildroit ; [note marginale] je ne le crois plus ».
- Carnet 24, p. 4 : « Il y a moins de caractère lorsque, comme dans cet exemple unique, le parementest travaillé et uni. Ne vaudrait-il pas mieux que les assises fussent régulières ? Nous e xaminons cette ques-tion. En attendant, je pense négativement »
- Par exemple dans l’étude d’Égine, carnet 12, p. 49 : « On trouve à côté un cube de marbre blancsur lequel sont écrits les noms de : Charicléa fille d’Aristocléides ; Phoinissa fille d’Eritimos ; Callimachos filsde Callippos? L’inscription paraît complète et le cube, sans mordant, avoir été un piédestal ou socle. »
- Carnet 12, p. 114 B et p. 115 : « On trouve à droite une enceinte elliptique qui était entourée d’unstylobate couronné […] ; deux inscriptions : l’une dans l’aire, l’autre vers le pourtour avec le nom d’ASKLH-PIWIsur une taille courbe. Un couronnement monolithique en marbre d’une très gracieuse et ingénieusecomposition en ornements (vid. zwgraf.) abîmée par les soldats et les officiers français (pour emporter dansla poche !). Cet édifice était-il un Odéon ? ». Ces deux inscriptions ont fait l’objet de plusieurs éditions :1.IG, IV1, Editio minor, Inscriptiones Argolidis, 1, F. HILLER DEGAETRINGEN, Berlin, 1929, n° 673, p. 136,Statuae hominum, saec. II p. Chr.; 2. IG, IV1, editio minor, n° 249, Arae et bases a. Chr., p. 96.
- Par exemple sa description des habitants de Corinthe (carnet 24, p. 76) : « Quant aux habitants,j’ai cru voir plusieurs races : la plus générale est une physionomie peu hellénique : tête plus ronde qu’à l’or-dinaire, yeux souvent bleus, ou verts et vifs, figure [illisible] de certains hommes de bonne compagnie de nosmontagnes, chasseurs et joueurs, bons compagnons, toujours gais, buveurs tels que les d[illisible] et d’autresdans les monts de Thésée. Je crois que ce sont là les vrais Corinthiens ; 2° quelques types romains bien recon-naissables à leur tête droite sur un long et large cou, à leur nez aquilin, à leur air sérieux ; 3° quelques enfantsde la beauté sévère hellénique. Les femmes ont toutes le nez un peu court et l’air impudent, agréable et lascifsourire. Il y a-t-il quelques restes italiens ? 2000 ans doivent avoir refait d’autres Corinthiens, sauf peut-êtrequelques races réfractaires ? »
- Carnet 12, p. 45 : « Les Grecs ont toujours, ainsi que leurs pères, peu d’idée des hiérarchiessociales. Ils ne respectent guère la puissance et la richesse. Ils ne conçoivent pas ce que nous apportons : rang,sang. Voilà le véritable esprit d’égalité, inné chez eux, étranger chez nous, et que nous avons vainement tâchéd’implanter en 93. Ils disent encore toi à tout le monde. »
- Par exemple l’irrigation des campagnes (carnet 24, p. 79), l’évocation des vendanges (carnet 24,p. 159) et la vente des denrées au bazar (carnet 12, p. 55).
- Carnet 24, p. 110-112.
- Carnet 12, p. 90 : « Le fort Palamaidi doit être presqu’aussi haut que Fourvière – beaucoup plusrapide, on y monte comme par une échelle. »
- Carnet 12, p. 151 : « La couleur sous cet aspect au Nord a quelque chose de gris terne monotone.Comment se fait-il qu’avec tant de différences en tous points, ce premier aspect d’Athènes m’ait rappeléLaon, Chartres, Reims, d’autres villes religieuses de France à colline rocheuse ? ».
80. Sur ce projet, voir n. 30 et 32. - Carnet 24, p. 149 : « Ou les murs de Tirynthe, de Mycènes, Phigalie, etc., etc., sont antérieurs à l’ar-rivée des Égyptiens, ou postérieurs. Si antérieurs, il n’y a rien à dire, la construction est identique au pays maisalors la civilisation de la Grèce serait plus ancienne qu’on le pense. Si postérieurs, il se présente plusieurs objec-tions ou hypothèses : les Égyptiens ont-ils pu bâtir ou enseigner à bâtir ainsi ? La localité, la nature l’avait-elleemporté en Grèce, en fait d’architecture militaire, sur les habitudes, l’école du pays, si différente, de l’Égypte ?Ou les Grecs, peuple fort et distinct, bientôt après avoir été rassemblés par les orateurs et reçu d’eux les lettres,le culte, la civilisation (la terre hellénique fécondée) auraient-ils fait de tout cela ce qu’ils ont fait des templeségyptiens, de leurs mythes, de leur doctrine religieuse et politique (de leur poésie sans doute) ? ».
- Carnet 24, p. 149-150.
- Le témoignage de Vietty est influencé par le « retour à l’antique » amorcé par Winckelmann dansle second XVIIIesiècle qui érige l’art grec en modèle de représentation harmonieuse. Voir É. SALICETO, « Levoyage de la Grèce, un nouveau retour à l’antique? », dans Acta Fabula, L’Itinéraire de Paris à Jérusalem deChateaubriand, publ. sur www.fabula.org. « L’expression “retour à l’antique” désigne explicitement le mou-vement amorcé dès le second dix-huitième siècle et théorisé en particulier par l’Allemand Johann JoachimWinckelmann (1717-1768), dont l’œuvre aura une importante répercussion en France et dont les théoriesseront étendues à l’ensemble des arts : Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et en sculp-ture (1755) et Histoire de l’art dans l’Antiquité(1764) inaugurent un déplacement de l’art romain à l’art greccomme incarnation de l’essence antique, déplacement géographique qui correspond à un recul historique etdonne son essor au mouvement néoclassique. »
- Carnet 12, p. 45.
- Carnet 24, p. 158-159.
- Carnet 24, p. 72.
- Carnet 12, p. 8.
- Carnet 24, p. 53.
- Carnet 24, p. 12.
- Carnet 12, p. 7.
- Carnet 12, p. 45.
- Carnet 12, p. 142.
- Carnet 12, p. 88.
- Carnet 12, p. 131 : « Dans cette promenade, faite au mois de novembre, par un beau soleil, je visou j’entendis, en plaine, 8 à 10 serpents dans les broussailles. Je cherchai à m’emparer de l’un d’eux, pourvérifier la tradition mais ils ne sont plus aussi familiers qu’aux temps des prêtres d’Esculape. »
- Carnet 12, p. 50.
- Carnet 24, p. 105-108.
- Carnet 24, p. 115
- Carnet 12, p. 109-110 : « Au pied des montagnes, quelle était cette ville sauvage, homérique ?Une 1/2 lieue plus haut, du même côté, sur une autre montagne dominée par une [montagne] beaucoup plusconsidérable, est une autre ville (ou fort) plus grande, plus régulière, plus pittoresque, mieux conservée.Longs bois d’oliviers parsemés sur cette colline. Même genre de situation, plus en grand : presqu’île forméepar deux rivières dont l’une coule cachée sous les arbustes. La route d’Argos à Épidaure passe au pied surl’autre revers. – Encore une autre ville inconnue ! Serait-ce Midéa? Je n’ai pas le temps d’y monter ».
- Carnet 12, p. 38.
- Carnet 12, p. 123.
- Carnet 24, p. 30.
- Carnet 12, p. 89.
- Carnet 12, p. 12.
- Par exemple, les restes de statues enfouies à Mégare ; voir carnet 24, p. 138 : « Près du sommetest une église toute bariolée de marbres divers […] une grande statue sans tête à demi-enfouie qui paraît d’unbeau style et qui doit être une muse ; une inscription (vid. graf.) disant que ce temple a été consacré auxmuses » ; p. 152 : « En remontant sur le revers de la colline je trouvai une statue de femme drapée de grandeproportion, couchée sur le ventre, acéphale, mutilée. Mais le bras que je pus voir et le genre de draperie mesemblèrent d’un ancien et beau style hellénique. C’est le troisième reste de statue que j’ai vu à Mégare (sansindication). On n’a pas souvent en Grèce ces bonnes fortunes. Les Anglais ne les ont pas aperçues. »
- Par exemple, à Mégare, ce « promontoire en roches par assises presque horizontales qui doits’écrouler bientôt dans les flots : la mer, par un long travail, a scié les assises inférieures et la masse estlézardée perpendiculairement » (carnet 24, p. 119).
- Carnet 24, p. 117 : « La chaîne du Geranion s’étant rapprochée de la mer, forme une énormeberge. Des rocs scabreux dont les pieds sont baignés par les flots. Le sentier, souvent taillé dans la pierre, ser-pente sur ses flancs. Pour y monter de la plage, il faut se mettre à la mer pour tourner au cap, ou grimper à50 pieds sur des rocs à pic dont la moitié est lisse comme un lit d’assise. Il fallut décharner le cheval et monterle bagage avec des cordes. Je me hasardai à cette raide excursion et faillis me rompre le cou où nos Grecsallaient, venaient assez aisément avec des fardeaux. »
- Carnet 12, p. 71.
- Carnet 12, p. 150-151 : « Nous avions monté insensiblement depuis la mer, nous montâmes alors,mous franchîmes cette barrière qui nous avait caché le Parthénon : alors je vis Athènes dans Athènes. Lepremier coup d’œil me surprit : je n’avais pas imaginé cela : grandeur capitale grecque. Palicarerie civilisée ;vivacité avec tempérance, acropole religieuse en vaisseau, comme la cathédrale de Reims. À l’entour, petitsmonts modelés comme les rochers des statues ; plans vifs brefs, sans rudesse ni sauvagerie, savants de dessins,beaux d’ensemble et de détails. Loin d’ici la férocité, la fougue du Péloponnèse ! La couleur sous cet aspectau Nord a quelque chose de gris terne monotone […]. »
- Carnet 12, p. 8.
- Carnet 24, p. 73.
- Vietty n’était pas le seul à se moquer du dilettantisme de Chateaubriand : voir M. SÈVE, Les voya-geurs français à Argos, Athènes, Paris, 1993, p. 14 (Sites et monuments, XI) : « [Il] s’attira d’aigres critiquesdu médecin Avramiotti qui l’avait hébergé à Argos. Il semble avoir manifesté un intérêt superficiel pour cequ’il voyait : le premier des touristes. »
- Carnet 24, p. 16.
- Carnet 24, p. 51-52. Vietty évoque à nouveau cette anecdote p. 66.
- Carnet 12, p. 51
- Carnet 12, p. 64-65.
- Carnet 12, p. 58.1
- Carnet 12, p. 95.
- Carnet 12, p. 64.
- Voir R. ÉTIENNE, L’espace grec : 150 ans de fouilles de l’École française d’Athènes, Paris, 1996 ;C. VALENTI, L’École française d’Athènes, Paris, 2006.
- Carnet 24, p. 53
- Carnet 12, p. 145 : « Les Turcs du poste vinrent lentement, le fusil derrière le cou (…) s’embus-quer derrière le tertre prolongé qui forme bordure à la plage du port. Ils s’y accroupirent, le bout du fusil enavant. Nous déjeunions sur une chaussée. Après 10 minutes de station, ils vinrent tranquillement s’asseoir ànos côtés, mangèrent, burent du rhum et nous laissèrent manier leurs armes ».
- Carnet 12, p. 155-156. Ce récit tranche avec la longue narration d’Abel Blouet qui fut invité luiaussi, avec les membres de sa section, par le Bey Ioussouf. La version « officielle » de l’Expédition distille eneffet de nombreuses critiques, évoquant « le repas le plus singulier et le plus malpropre qu’on puisse ima-giner », l’attitude des « chefs » qui « s’humiliaient en la présence du bey avec une bassesse inouïe » ou le refusdu Bey de « les laisser visiter (…) les monuments de la citadelle » (Expédition scientifique de Morée : archi-tecture, sculptures, inscriptions, op. cit. [n. 14], vol. III, p. 62-63)
.123. Carnet 24, p. 73.
- Carnet 24, p. 77-78 : « Dans les murs vides d’arbres comme de citoyens, on ne voit que quelquesfiguiers solitaires dont l’ombre sert d’asile à l’animal immonde. Le soleil dévore même tes plantes funestes etn’épargne que l’horrible nopal dont l’ombre épaisse n’est accessible qu’aux reptiles. Tes rues sont encom-brées des murs à demi-écroulés de tes masures, marquetés des marbres défigurés de tes temples et de tespalais. Elles sont parsemées des ossements exhumés de tes tombes, Turcs, Chrétiens, Romains, Grecs mêlésaux ossements des chiens et des chevaux. Un seul couple de palmiers croissait dans un enclos, les arabes enont brisé la tête et le tronc de l’un d’eux gît à côté comme un fût de colonne. Superbe Corinthe ! Que reste-t-il de tant d’édifices élevés dans ta vaste enceinte ?
- Carnet 24, p. 134.
- Carnet 12, p. 16.
- Carnet 24, p. 13.1
- Carnet 24, p. 153 : « Je bus délicieusement de son eau fraîche qu’un vieux Mégarien assis au bordme tira avec sa corde […] mais je n’avais pas le pain qu’il demandait. »
- Carnet 12, p. 134 : « Des mares fangeuses et puantes, réceptacles d’égouts et d’immondices, causede plus d’une épidémie » ; voir aussi carnet 24, p. 60 (le commandant malade) ; p. 114 (le domestique malade),etc.
- Carnet 12, p. 23-24 : « Le lendemain matin, me disposant au départ, je vis fermer soudain toutesles boutiques. Mon jeune homme me vint dire que 3 ou 4 mille palicares allaient arriver et piller amis etennemis. L’astynome me confirma cette nouvelle. Ayant vu à Mégare ce que savaient faire ces soldats sansdiscipline, je [illisible] un caïque et partis de suite pour Égine (mon hôte et beaucoup d’habitants en ont faitautant). »
- Carnet 24, p. 126 : « Je montai sur une éminence pour contempler, à une demi-lieue, le croissant-théâtre non adosséde Mégare, ville encore assez grande mais, dit-on en ce moment, absolument désertée, lesTurcs d’Athènes y faisant des excursions. Nous avions appris […] qu’ils avaient pillé Éleusis, que les Pali-cares du port de Mégare s’emparaient de tous les chevaux ».
- Carnet 24, p. 54 : « L’homme est né ennemi de l’homme. Ceux qui disent le contraire sont dessots ou des charlatans. […] Et c’est pourquoi l’amitié est l’héroïsme le plus noble et qui honore le plus l’es-pèce humaine. »
- Carnet 24, p. 119 : « J’éprouvai à la fin d’août au plus haut degré ces températures que je n’avaisjamais ressenties. Sans marcher vite, au repos, les rayons solaires faisaient ruisseler la sueur que j’essuyais àchaque instant. On ne pouvait tenir deux secondes la main sur les rochers. »
- Carnet 24, p. 105
Article de Stéphane Gioanni Jean-Baptiste Vietty et l’Expédition de Morée (1829) : À propos de deux manuscrits retrouvés. In: Journal des savants, 2008, n°2. pp. 383-429. DOI : https://doi.org/10.3406/jds.2008.5891
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Henry Jean-Robert. Marie-Noëlle Bourguet, Daniel Nordman, Vassilis Panayotopoulos et Maroula Sinarellis (éds), Enquêtes en Méditerranée. Les expéditions françaises d’Egypte, de Morée et d’Algérie. Actes du colloque Athenes-Nauplie, 8-10 juin 1995. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56ᵉ année, N. 3, 2001. pp. 740-742. www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_2001_num_56_3_279978_t1_0740_0000_1
Lucarelli Franck-Laurent. Christine Peltre, Retour en Arcadie. Le voyage des artistes français en Grèce au XIXe siècle (Littérature des voyages XIII) (1997). In: Topoi, volume 8/1, 1998. pp. 493-499.www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_1998_num_8_1_1400
Tucoo-Chala Jean. Le Voyage en Grèce d’un naturaliste gascon en 1829. In: Bulletin de l’Association Guillaume Budé, n°2, juin 1976. pp. 191-200. www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1976_num_1_2_3360
Broc Numa. Les grandes missions scientifiques françaises au XIXe siècle (Morée, Algérie, Mexique) et leurs travaux géographiques.. In: Revue d’histoire des sciences, tome 34, n°3-4, 1981. pp. 319-358.www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1981_num_34_3_1769
Serbat Louis. Stèle grecque à Narbonne. In: Bulletin Monumental, tome 67, année 1903. p. 271.www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1903_num_67_1_12441_t1_0271_0000_5
Le Bas Philippe. Manuscrits du voyage en Grèce de M. Vietty mis à disposition de l’Académie. In: Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2ᵉ année, 1858. p. 52.www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1858_num_2_1_66016
Monceaux Paul. La restauration d’Olympie. In: Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 33ᵉ année, N. 3, 1889. pp. 171-172. www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1889_num_33_3_69633
Les premiers voyageurs à Messène : de Cyriaque d’Ancône à l’expédition de Morée Pierre Moret, Alessia Zambon Dans Revue archéologique 2016/1 (n° 61), pages 3 à 60