De la Méditerranée orientale à la dimension mondiale
de Michel BRUNEAU
Les Grecs depuis la plus haute antiquité ont vécu dans la dispersion. L’existence d’un État-nation grec, relativement homogène sur le plan ethnique et territorial, est un phénomène très récent (seconde moitié du XIXe siècle) dont les frontières datent pour l’essentiel de la fin des guerres balkaniques (1913) et dont la population dans sa composition actuelle date du traité de Lausanne (1923). La plus grande partie des populations de religion musulmane ont alors quitté le territoire de l’État grec et celles de religion chrétienne le territoire de l’État turc nouvellement créé. Les phénomènes migratoires n’en ont pas moins continué d’affecter l’Hellénisme (Ellinismos ), c’est-à-dire l’ensemble des populations se réclamant d’une identité grecque dans le monde.
C’est seulement depuis les années 1970 que la Grèce a cessé d’être un pays d’émigration pour devenir un pays d’immigration à cause de la chute de son taux de croissance démographique et de l’élévation du niveau de vie moyen de ses citoyens. C’est également depuis les années 1980 que le thème de la diaspora est apparu dans la société et la vie politique grecque. Il est devenu l’objet d’une préoccupation croissante pour l’État grec qui a de plus en plus cherché à l’organiser dans les années 1990. La diaspora est alors devenue une dimension majeure de la nation grecque qui compte un peu plus de dix millions d’habitants sur son territoire national pour quatre à cinq millions de personnes se réclamant d’une identité grecque dans le monde. Comme les Chinois, les Juifs, les Arméniens ou les Libanais, les Grecs sont un « peuple-monde » {global tribe ) qui peut grâce aux réseaux de sa diaspora chercher à tirer profit de la mondialisation en marche en ce début du XXIe siècle. Pour définir et circonscrire le phénomène diasporique grec dans l’espace et le temps, il faut privilégier deux échelles spatiales la Méditerranée orientale et le monde. Une réflexion sur les notions de diaspora et d’Hellénisme est un préalable nécessaire. Elle s’accompagnera d’une analyse des liens familiaux et communautaires qui sont l’élément de base de toute réalité diasporique. On cherchera ensuite à décrire la diaspora grecque telle qu’elle se présente actuellement dans le monde : répartition démographique, formes d’organisation et de cohésion à l’échelle mondiale. Les rôles de l’Église orthodoxe et de l’État-nation seront particulièrement examinés. On étudiera enfin le problème identitaire, que rencontrent les différentes communautés de la diaspora dans différents pays d’accueil, dont dépend l’avenir de cette diaspora.
Concepts et principales composantes de la diaspora
Qu’est ce qu’une diaspora ?
Le terme de diaspora vient du verbe grec spiro (Je sème) et indique ainsi la dispersion d’une population. Il a été emprunté au vocabulaire religieux des juifs hellénophones d’Égypte dans le texte de la Bible des Septante, traduction en grec de textes écrits en hébreu et en araméen. Comme l’a montré G. Drettas 1, il renvoie aux mots hébreux galût, golah (dispersion, exil, captivité) et au verbe gallah (partir en exil). Il s’agit évidemment de l’exil de Babylone et de la dispersion qui a suivi la destruction du second Temple de Jérusalem (70 apr. J. C.). À cause de son origine et de son modèle initial, le terme de diaspora relève des domaines religieux et politique, et d’une migration connotée négativement quelles qu’en soient les causes (désastre, famine, châtiment divin, guerre…). La diaspora suppose également la référence à une communauté homogène dans la durée et à un territoire d’origine sacralisé. Elle s’est donc constituée dans une double tension temporelle et spatiale : la tension vers un ailleurs originel (notion d’exil à partir d’un territoire d’origine) et celle vers un futur idéalisé (eschatologie), vers une « Terre Promise », qui peut être le Nouveau Monde par exemple. Les expériences multipliées de l’exil (exils successifs des Juifs ou des Grecs pontiques) entraînent la multiplication des ailleurs et des appartenances voire des allégeances. Le terme de diaspora a également été utilisé dans un sens plus purement religieux dans le Nouveau Testament, la dispersion missionnaire de l’Église après la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Ainsi dans son sens premier, le concept de diaspora implique une intervention divine et/ou une mission confiée par Dieu à une population particulière 2. La durée est une autre dimension importante qui apparaît dans la succession des générations. Elle facilite également la prise de conscience nécessaire de l’appartenance à une nation ou pour le moins à une identité ethnique. On passe alors « des réseaux organiques de survie (premières générations) aux réseaux volontaires diasporiques en fonction des intérêts supposés et des contraintes vécues » 3.
Qu’est-ce que l’Hellénisme?
L’Hellénisme est un phénomène à la fois démographique, culturel et socio-politique, une civilisation au sens braudélien, qui a une profondeur historique d’environ trois millénaires. On entend par ce terme l’ensemble des populations qui dans le monde se revendiquent ou se sont revendiquées dans un passé plus ou moins lointain d’une identité grecque. Cette identité a, et a eu dans la longue durée, pour fondement, en premier lieu, une langue qui occupe une position singulière parmi les langues indo-européennes et qui est dotée d’une grande continuité, en second lieu une religion qui a changé au début de notre ère, mais a toujours été centrale pour définir cette identité. La pluralité et le polycentrisme socio-politiques allant de pair avec la dispersion l’ont toujours emporté dans la longue durée, même s’il y a eu des tentatives plus ou moins longues et réussies d’unification politique. L’État a pris des formes variées et multiples et la nation plusieurs acceptions, si bien qu’ils n’occupent pas une place aussi centrale que la langue et l’éducation d’une part, la religion de l’autre, dans la définition de l’identité grecque et de l’Hellénisme 4. Ainsi défini, l’Hellénisme est essentiellement un phénomène ethno-culturel né dans la Méditerranée, mais qui l’a débordée et qui, à plusieurs moments de son histoire, a été un facteur d’unité culturelle, économique et plus rarement politique : la colonisation des rivages de la Méditerranée et de la mer Noire par des cités-états (VIIIe-IVe siècles av. J. C.), la Méditerranée orientale aux périodes hellénistique, gréco-romaine puis byzantine (Ille siècle av. J. C. au XVe siècle ap. J. C.). Depuis l’empire romain puis byzantin jusqu’à la fin de l’empire Ottoman, l’Hellénisme a utilisé des structures politiques impériales, selon diverses modalités, pour continuer à exister et à se développer, les phases de repli alternant avec les phases d’expansion. À la fin du XVIIIe siècle et au XIXe, l’hellénisme a connu une renaissance économique, culturelle et politique, qui lui a permis un moment d’espérer reconstituer un grand État pluri-ethnique ou un État-nation dominant sur les rives de la mer Égée et en Méditerranée orientale d’une façon plus générale (Grande Idée). Le «grand désastre » de 1922 en Asie Mineure (Megali Katastrofi ) a marqué un tournant décisif dont les deux conséquences les plus importantes ont été, d’un côté le repli sur le territoire d’un État-nation qui s’homogénéisait sur le plan ethnique, territoire étroit en comparaison des espaces anciennement occupés ou dominés par l’Hellénisme, d’un autre un redéploiement de la diaspora grecque dans le monde, en particulier dans le nouveau monde (Amérique, Australie) et en Europe occidentale. Si la continuité est une caractéristique majeure de l’Hellénisme pendant trois millénaires, continuité dont le symbole est la langue, cela n’a pas été sans ruptures ou bifurcations qui ont été marquées par des restructurations profondes du phénomène ethno-culturel lui-même 5. Nous sommes à la veille, semble-t-il, d’une nouvelle bifurcation. Aujourd’hui l’Hellénisme est obligé de sortir du cadre un peu étroit de son État-nation, la Grèce, dans lequel il avait eu tendance à s’enfermer depuis 1923, pour entrer dans l’Union européenne (1981) et renouer avec sa diaspora mondiale de façon plus organique (1995). L’ouverture des frontières dans les Balkans et dans l’ex-URSS lui permet également de renouer des liens économiques et culturels avec l’un de ses principaux espaces anciens de rayonnement et d’influence 6. L’Union européenne va-t-elle intégrer le vaste espace culturel du sud-est de l’Europe ex-byzantin, ex-ottoman? L’Hellénisme est donc un élément important de la construction européenne, à la fois dans son articulation avec la Méditerranée orientale, le Proche-Orient et dans la mondialisation : une diaspora de quatre à cinq millions de personnes répartie sur tous les continents, la première marine marchande 7. Si la dispersion est une caractéristique structurelle de l’Hellénisme, la diaspora grecque proprement dite est postérieure à 1453 (prise de Constantinople par les Ottomans), c’est-à-dire à partir du moment où les Grecs ne sont plus des acteurs de premier plan de l’histoire et où une partie plus ou moins importante d’entre eux, selon les circonstances, quittent leurs territoires d’origine. Il s’agit d’une diaspora intellectuelle et marchande qui s’est développée en Europe balkanique, centrale et occidentale d’abord, entre les XVle et XIXe siècles, puis dans le bassin méditerranéen oriental et la mer Noire entre le XIXe et le début du XXe siècles. C’est ensuite une diaspora résultant des désastres et génocides qui se sont produits pour le peuple grec, et quelques autres comme les Arméniens, à la fin de l’empire ottoman (1909-1923). C’est aussi une diaspora « prolétaire » résultant de l’attraction exercée par les pays industrialisés du Nouveau Monde et de l’Europe occidentale au XXe siècle. Le phénomène diasporique grec s’étale donc sur cinq siècles (XVIe-XXe), il est multidimensionnel (culturel, politique, religieux, économique) et constitué par plusieurs strates socio-historiques successives : diaspora intellectuelle et marchande, diaspora de réfugiés, diaspora de travailleurs migrants. On retrouve ces diverses caractéristiques dans les structures de base de la diaspora que sont la famille et la communauté.
La famille (oikogenia)
Les structures familiales, la famille étendue (soi), jouent un rôle fondamental dans la diaspora et se trouvent à la base de la formation des réseaux sociaux et économiques. Les familles étendues de la diaspora sont le plus souvent éclatées entre plusieurs lieux : Chio, Athènes, Rostov, Bakou, Londres et l’Amérique et/ou l’Australie, le territoire d’origine étant, par exemple, celui de l’île de Chio. C’est d’abord dans le groupe familial que se transmet l’identité. Les premiers émigrants en Australie comme aux Etats-Unis, qui étaient en majorité des hommes, avaient tendance à choisir leur femme dans leur village d’origine en Grèce, parfois sur photographies. Les mariages arrangés par la famille étaient donc la règle. Avec la seconde génération les mariages mixtes se sont développés davantage chez les hommes que chez les femmes, l’épouse non-grecque adoptant la religion orthodoxe. Une étude montre qu’au Canada, jusqu’au milieu des années 1980, l’endogamie au sein de la diaspora grecque était la règle à plus de 80 % 8. Entre 1989 et 1993 on observait un changement de cette situation avec plus de 50 % de mariages mixtes (avec des non-orthodoxes) d’après les statistiques de l’épiscopat grec du Canada. La plupart de ces mariages concernaient des membres de la seconde et de la troisième génération. Le phénomène était général dans l’ensemble de l’Amérique du Nord et du Sud puisque en moyenne 60 % des mariages célébrés dans les églises orthodoxes entre 1976 et 1992 étaient mixtes 9. Dans une société multiculturelle comme celle du Canada, l’intégration et l’ascension sociale par le biais des études, la diversification professionnelle à l’intérieur du groupe, la diminution de la discrimination des minorités culturelles contribuent à cet accroissement des mariages mixtes. Les conséquences peuvent être une accélération de l’assimilation et un affaiblissement de la culture identitaire, ou bien, au contraire, un renforcement de la minorité diasporique si les associations et l’Église sont actives pour intégrer les conjoints désireux de rejoindre la communauté grecque. Ils peuvent apporter des forces nouvelles à une communauté dont les liens deviennent davantage culturels qu’ethniques au sens étroit du terme. Les structures familiales sont au cœur des chaînes migratoires qui influencent la formation des communautés diasporées. L’exemple de la communauté grecque de Madagascar 10 est significatif à cet égard : «un individu qui est arrivé dans l’île pour des raisons variées, après des débuts souvent difficiles dans un petit commerce, fait venir des frères ou des cousins. S’il a vraiment réussi, ceux-ci ont l’avenir assuré, le premier venu leur confiant la création de succursales de brousse ». Ainsi Anastase Mellis était à l’origine de l’installation d’au moins onze familles qui avaient eu elles-mêmes une descendance responsable d’autres arrivées grecques dans l’île. Sans un regroupement minimum des individus et des familles, il est très difficile, voire impossible, de conserver l’identité et de la transmettre. La richesse de la vie associative est donc une composante essentielle de toute diaspora.
La communauté (koinotita)
La communauté {koinotita), la vie en communautés (koinotismos ), ont fait partie de l’identité et de la vie socio-politique des Grecs à toutes les époques de leur histoire. L’historien de la nation grecque, Paparrigopoulos11, la fait remonter au phénomène de la cité dans l’antiquité. Il y voit un élément stable, de continuité, par delà les conquêtes étrangères et les désastres qui ont périodiquement affecté la société grecque. Elle a permis, en parallèle avec l’action de l’Église orthodoxe, la survie de l’Hellénisme. Dans l’Empire ottoman, les communautés étaient reconnues comme jouissant d’une autonomie administrative, notamment pour la perception des impôts 12. Ion Dragoumis13 voyait dans la communauté {koinotita) la cellule de base de la société grecque avec les compétences d’une petite patrie : construction de l’école et de l’église, de l’hôpital, travaux publics d’intérêt commun, règlement des différents entre citoyens… Elle était le fondement même de la société grecque, l’État n’étant que son extension à un niveau plus global 14. Les communautés se sont beaucoup développées dans la diaspora qui s’est formée en Europe méditerranéenne et occidentale à partir du XVIe siècle. Les Grecs, à côté des Juifs et des Arméniens, avaient monopolisé les transactions commerciales et financières de l’Empire ottoman. A la fin du XVIIIe siècle la bourgeoisie grecque jouait un rôle de premier plan dans les principaux centres commerciaux de cet empire et dans les réseaux commerciaux internationaux du Levant. De là ils s’implantèrent dans les centres commerciaux d’Europe occidentale, de la Méditerranée et de la mer Noire. Un excellent exemple de ces implantations est la ville de Livourae en Italie qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, a été une place stratégique pour les intérêts grecs et a rassemblé un nombre croissant de grandes familles de marchands grecs 15. L’identité de cette communauté était fondée sur l’Orthodoxie, le territoire d’origine (Chio…), la mémoire d’un passé commun, la culture et la langue grecques, des intérêts économiques similaires. La communauté de Livourne et son identité s’étaient largement constituées autour de l’église orthodoxe de la Sainte Trinité et de la Confrérie du même nom, fondée à Livourne en 1 775 16. Chacune de ces communautés immigrées de marchands et banquiers grecs s’est organisée dans un premier temps autour de la construction d’une église orthodoxe locale, institution religieuse autonome gouvernée par une autorité laïque 17. La confrérie de Livourne ouvrit à partir de 1775 une école pour apprendre aux enfants d’origine grecque la langue, la culture, l’histoire et l’instruction religieuse18. L’association de la langue et de la religion transmises par la famille et par l’école sont au cœur du phénomène diasporique, à la base même de sa conscience identitaire. L’éducation est donc, avec la pratique du culte, le premier souci de toute communauté grecque en diaspora 19. L’exemple de la communauté plus petite d’Anvers, à une époque plus tardive (en 1911), montre que les objectifs restent les mêmes et que les structures n’ont pas fondamentalement changé : renforcer le sentiment religieux et national, gérer l’église et les activités religieuses, fonder une école et une bibliothèque, diffuser des livres cultivant la morale et le patriotisme, aider les familles les plus pauvres quelle que soit leur citoyenneté 20. Plus tard une autre association, la Communauté grecque de Bruxelles fondée en 1943 se fixa des objectifs plus nationalistes, patriotiques et philanthropiques. A la suite de l’arrivée massive de travailleurs immigrés (mineurs et ouvriers) après la Seconde Guerre mondiale, le contenu et l’organisation de la communauté de Bruxelles ont changé, devenant plus politiques et de classe 21. Les organisations de gauche y ont alors joué un rôle essentiel. On est passé, en Belgique comme dans d’autres pays d’immigration à la même époque, de communautés à dominante bourgeoise et marchande à des communautés à dominante ouvrière. Dans une population d’environ 21 000 Grecs (1970-1980), dont plus de 60% étaient des ouvriers, l’action syndicale a joué un rôle majeur. La branche grecque du principal syndicat chrétien belge fut organisée à partir de 1962-63 par Gianeridis et sa femme 22. A partir de 1967, le syndicat socialiste belge fonda aussi une branche grecque située clairement à gauche et dirigée par E. Saris qui prit d’emblée des positions contre la dictature des colonels 23. Ces deux branches syndicales grecques ont largement contribué à donner un contenu et une forme multiple à l’identité grecque en Belgique : l’immigrant, l’étranger, le syndiqué, le membre de la classe ouvrière, coexistant avec les éléments culturels, nationaux et religieux. Le syndicat chrétien en particulier reconnaissait la valeur de l’héritage historique et culturel, favorisant le maintien de la langue et de la conscience religieuse. En même temps ils ont contribué à briser l’isolement des immigrants en les reliant aux autres immigrants et à les intégrer dans la société belge en les informant de leurs droits, des valeurs et comportements de la société d’accueil 24. Par la spécificité de sa liturgie et du décor de ses lieux de culte, par la richesse de son cérémonial, l’Église a maintenu des signes de singularité et de référence qui ont renforcé le sentiment d’appartenance à une communauté culturelle et nationale distincte des autres. Elle a favorisé le rapprochement des différentes vagues et générations de migrants. Dans les premières années de la migration l’église était le seul espace de rencontre et de rassemblement, de vie sociale entre Grecs, y compris de ceux qui n’étaient pas pratiquants. À partir de l’établissement d’un régime dictatorial en Grèce et jusqu’à sa disparition en 1974, les communautés ont été divisées entre nationalistes de droite et démocrates de gauche, voire communistes. Les travailleurs immigrés ont fondé leurs communautés encadrées par la gauche et autour du thème mobilisateur de la lutte contre la dictature. En Belgique les autorités diplomatiques, consulaires et ecclésiastiques, soutenaient le régime en place à Athènes 25. La Communauté grecque de Bruxelles dont la majorité des membres appartenaient à la classe ouvrière (80%) échappa à partir de 1965 à l’ancienne classe marchande 26. Avec le retour à la démocratie en 1974, les oppositions se sont peu à peu atténuées et la Communauté de Bruxelles a, dans un premier temps (1979), diversifié son conseil d’administration dans lequel le Pasok est entré à côté du parti communiste (KKE), puis, dans un second temps, elle s’est réunifiée avec l’association conservatrice en 1991. Les communautés, dont le contenu a évolué dans la longue durée et jusque dans la période récente, ont toujours été l’élément de base de l’Hellénisme, puis de la diaspora. Sans ces communautés, ces structures associatives au sens large, il n’y a pas de diaspora. Ce sont leurs divers modes d’agrégation, au sein de réseaux dans lesquels circulent les idées, les hommes et les biens, qui constituent l’armature de la diaspora.
La diaspora grecque dans le monde, ses réseaux et ses territoires
L’Hellénisme, qui a été d’abord un phénomène presque exclusivement méditerranéen, a ensuite acquis une dimension mondiale dès l’empire d’Alexandre, puis, de nouveau, beaucoup plus tard avec sa diaspora postérieure à 1453. Considérons donc la situation actuelle de cette diaspora d’environ cinq millions de personnes pour un État-nation qui en compte dix. Elle est actuellement répartie essentiellement sur quatre continents (Europe, Amérique, Australie, Afrique) et beaucoup moins sur le cinquième l’Asie où elle n’est présente que sur les marges (Asie Centrale ex-sovietique, Proche-Orient).
Il s’agit d’un ensemble de réseaux reliant environ trois mille associations de divers niveaux (d’après le Secrétariat des Grecs à l’étranger 27. A la base, localement on trouve les communautés (koinotites ) et les associations ethno-régionales se référant aux lieux ou territoires d’origine. Ce sont autant de « patries » auxquelles les Grecs ne cessent de se référer qu’elles soient toujours vivantes ou « perdues » (les chamenes patrides d’Asie Mineure). Ces territoires d’origine sont caractérisés par une identité collective forte, où héritage, reproduction, signification sociale s’appuient sur des relations de proximité, un patrimoine et une mémoire. Ce lien au territoire d’origine, à la petite patrie (au sens étymologique de terre des ancêtres), reste très présent à travers ces associations ethno-régionales et la référence aux lieux de mémoire (sanctuaires et monuments en Grèce et dans les pays d’accueil). A un second niveau, qui correspond au niveau national du pays d’accueil, existent les fédérations des associations locales. Au niveau international ou mondial, se situent les confédérations regroupant l’ensemble des fédérations d’associations ethno-régionales (par exemple la confédération pan-macédonienne ou pan-pontique….). L’organisation de la diaspora grecque est de fait un compromis permanent entre deux modèles politiques en compétition, l’un hiérarchique et bureaucratisé au niveau de l’archevêché ou de la métropole ecclésiastique, issu de l’État romain-byzantin, l’autre libertaire ou démocratique, recherchant l’autonomie la plus grande au niveau de la communauté, issu de la cité-état antique. L’un et l’autre ont alternativement dominé au cours de l’histoire plurimillénaire de l’Hellénisme, tout en coexistant. Ces deux types d’organisation permettent de faire face assez efficacement à une extrême dispersion géographique des communautés et des Églises de la diaspora. L’État grec qui représente un troisième modèle, celui de l’État-nation centralisé et bureaucratique, n’a pas pu imposer l’autorité de l’Église grecque autocéphale d’Athènes en Amérique au début du XXe siècle 28. Il cherche de plus en plus à intervenir dans la diaspora en instituant, par exemple en 1995, un parlement des Grecs à l’étranger dont le siège est à Thessalonique. Le phénomène diasporique qui revêt une spécificité par pays ou par continent doit être envisagé dans toute sa diversité. L’adaptation aux sociétés d’accueil est assez forte pour conduire à une différenciation de sous-ensembles dans la diaspora : les Grecs américains, les Grecs australiens, les Grecs pontiques de Russie, les Grecs chypriotes d’Angleterre…. L’Église orthodoxe tient compte de ces acculturations locales tout en cherchant à maintenir une base culturelle et identitaire commune par le biais de la liturgie et de l’école. La circulation des prêtres et des évêques assure un lien essentiel avec la « mère-patrie », mais les deux plus grandes communautés, celles d’Amérique du nord et d’Australie, ont créé leurs propres écoles de théologie et assurent de plus en plus la formation de leurs prêtres 29.
La diaspora américaine
Le premier pays d’émigration des Grecs en Amérique, celui où ils se sont installés en plus grand nombre depuis plus d’un siècle, est les États-Unis. L’immigration grecque dans ce pays a commencé à devenir massive à partir des années 1890. Elle a culminé en 1920, 450 000 Grecs, principalement des hommes, s’étant établi aux États-Unis au cours de ces trente années (1890-1920). Le nombre d’immigrants a considérablement diminué après 1924 (Reed-Johnson Act) pour de nouveau croître après 1960 et jusqu’en 1980 30. Après 1910, les Grecs ont commencé à pénétrer dans les classes moyennes, pour atteindre dès 1950 le niveau social moyen des Américains blancs et aujourd’hui dépasser de 10 % environ en moyenne leur niveau de vie. Les seconde et troisième générations ont rejoint les classes moyennes supérieures 31. Au Canada, l’immigration grecque plus récente, majoritairement postérieure à la Seconde Guerre mondiale, s’est localisée de préférence dans les trois plus grandes agglomérations de Toronto, Montréal et Vancouver 32. Les États-Unis, et à moindre degré le Canada, sont les seuls pays du continent américain dans lesquels la diaspora des communautés-paroisses grecques est présente sur l’ensemble du territoire national avec des concentrations au niveau de régions urbaines et de la mégalopole de la côte Est. En Amérique latine ne vivent actuellement qu’entre 50 et 100 000 Grecs, moins qu’en Afrique. Ce n’est pas dû essentiellement à l’éloignement, qui n’est pas plus grand que celui de l’Australie par exemple, mais au fait que ce continent appartenait au Tiers Monde et n’a pas attiré les principaux flux migratoires grecs de l’entre-deux guerres et de l’après-seconde guerre mondiale. Des Grecs ont émigré d’abord vers les pays du cône sud (Argentine, Chili, Uruguay) dès la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Mais cette immigration n’a commencé à se stabiliser qu’à partir des années 1920. Le flux migratoire qui date d’après la Seconde Guerre mondiale s’est tari dès la fin des années I960 33. Les plus anciennes communautés sont celles de Montevideo (1916) et de Buenos Aires (1928) qui sont avec celles plus récentes de Sao Paulo au Brésil ou de Caracas au Vénézuela, les plus importantes du continent sud-américain 34. L’Amérique du Nord et du Sud, avec son archevêché dont le siège est à New York, constitue une unité de l’Église orthodoxe grecque, très structurée, spirituellement rattachée au Patriarcat Œcuménique 35. Elle est subdivisée en onze diocèses, dont huit aux Etats-Unis, ayant à leur tête un évêque. L’archevêque désigne les prêtres responsables des paroisses et place les évêques sous son autorité directe, leur ôtant toute indépendance. L’archevêque assisté de ses évêques a de fait les pouvoirs les plus importants. Il choisit, nomme et révoque les prêtres qui sont à la tête des paroisses; toute élection au conseil de la communauté-paroisse doit être approuvée par écrit par le prêtre et ratifiée par l’évêque ou l’archevêque. L’archevêque se manifeste comme un étirable ethnarque du peuple grec en diaspora, face aux gouvernements américains et au gouvernement grec. Au Canada, l’opposition entre la hiérarchie ecclésiastique et les communautés s’est manifestée avec le plus de force, les immigrants plus récents qu’aux États-Unis y étant arrivés avec un niveau d’instruction plus élevé. Depuis 1960 les communautés de Montréal et de Toronto ont refusé d’appliquer le règlement de l’archidiocèse et d’accepter l’intervention du clergé dans leurs affaires non religieuses. Ainsi depuis 1980, se sont constituées des communautés ethno-culturelles sans affiliation religieuse définie : London, Sarnia, Markham, Toronto en Ontario, Edmonton dans 1′ Alberta, Montréal au Québec. Elles coexistent souvent dans la même ville avec des communautés-paroisses. L’archevêché a en effet suscité la création de paroisses soumises à son autorité et autonomes par rapport aux communautés anciennes de Toronto et de Montréal. Ces divisions intra-communautaires sont à mettre en relation également avec les prises de position très conservatrices de l’archevêché dans la politique intérieure grecque pendant la dictature des colonels (1967-1974).
La diaspora en Océanie
En Australie, l’arrivée de la plus grande masse de migrants se situe entre 1947 et 1974, période au cours de laquelle 270 000 Grecs vinrent s’installer. Même si la première église orthodoxe fut construite à Melbourne en 1892, les constructions d’églises et d’écoles, la fondation de la plupart des communautés datent d’après la Seconde Guerre mondiale. L’Église orthodoxe grecque d’Australie fut organisée par le Patriarcat Œcuménique, d’abord sous la forme d’une métropole en 1929, puis d’un archevêché à partir de 1959. Élu par le Saint Synode de ce même patriarcat à cette date, l’archevêque Ezechiel décida la mise en application du même système administratif que celui de l’archevêché américain, non sans la résistance des communautés les plus anciennes (Melbourne, Sydney, Adelaide) 36. Les Grecs des trois générations sont aujourd’hui au nombre de 750 à 800 000, soit environ 4 % de la population australienne, ce qui est le plus fort pourcentage de population grecque issue de l’immigration dans le monde. Ils se concentrent dans les plus grandes agglomérations : Melbourne (300 000), Sydney (200 000), Adélaïde (80 000), Perth (20 000), Brisbane (15 000), Darwin (5 000), Canberra (5 000). C’est avec les États-Unis, le pays dans lequel l’ascension sociale, à la deuxième et à la troisième génération, a été la plus élevée. C’est aussi celui dans lequel l’identité et la culture d’origine sont restées les plus vivantes et les plus créatrices37.
La diaspora en Afrique
Les Grecs d’Egypte, actuellement au nombre de 2 000 environ, ont été jusqu’à 100 000 entre les deux guerres et même 300 000 pendant la Seconde Guerre mondiale, si bien qu’aujourd’hui on dénombre une trentaine d’églises et trois métropoles pour une dizaine de communautés-paroisses. Alexandrie a été sur le temps long un centre majeur de l’Hellénisme dont le patriarcat est un témoignage. Elle a connu une renaissance dans la seconde moitié du XIXe et la première du XXe siècle, lorsque les Grecs ont joué un rôle de premier plan, à côté d’autres communautés étrangères, dans l’ouverture et le développement économique de l’Égypte. Beaucoup de ces Grecs sont partis dans les années 1950, après l’arrivée de Nasser au pouvoir et les nationalisations qui ont suivi. Certains sont rentrés en Grèce ou sont allés ailleurs dans la diaspora, d’autres ont migré plus au sud en Afrique, et en particulier à l’autre extrémité du continent dans l’Union Sud Africaine où les Grecs sont aujourd’hui 65 000 environ. Deux métropolites, l’un à Johannesbourg, l’autre au Cap encadrent les orthodoxes grecs qui appartiennent à 19 communautés-paroisses. La plus grande partie de la population grecque s’est installée dans la région industrielle de Johannesbourg-Prétoria, notamment dans les nouveaux centres industriels de Germiston, Alberton, Brakpan, où ils ont fondé de petites et moyennes entreprises industrielles et commerciales 38. Le Zaïre et le Zimbabwe (ex-Rhodésie), avec une population grecque de 4 à 5 000 personnes chacun, sont chacun le siège d’une métropole (Kinshasa et Harare). En fait le rayonnement de l’Église orthodoxe au Zaïre comme en Afrique orientale (Kenya et Ouganda principalement) a dépassé la communauté grecque pour toucher le milieu africain au moment des ndépendances 39. Le métropolite siégeant à Nairobi est à la tête de 170 paroisses et de 65 prêtres africains au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie 40. A Yaoundé (Cameroun), métropole pour l’ensemble de l’Afrique occidentale, fonctionne le séminaire Saint Marc qui forme surtout des prêtres africains, les communautés grecques de ces pays étant réduites à moins de mille membres 41. La diaspora grecque africaine qui ne dépasse sans doute pas 100 000 personnes est composée surtout de petits entrepreneurs, de commerçants et de cadres moyens ou supérieurs; elle est prospère sur le plan économique et bien implantée en milieu africain. Née en Égypte et en Libye au cours de l’antiquité, elle a essaimé à partir de ce foyer initial principalement dans l’Afrique orientale britannique, plus marginalement dans l’Afrique francophone au Zaïre, Cameroun et à Madagascar 42.
La diaspora en Europe
La diaspora des Grecs et des Chypriotes grecs est présente dans la quasi-totalité des pays européens. Les communautés-paroisses et les communautés sont plus nombreuses et plus denses dans les régions industrielles et urbaines de l’Europe du Nord et autour de la mer Noire. Ailleurs le semis de ces communautés est beaucoup plus lâche. Du XVIe au XrXe siècles, une vaste diaspora de communautés marchandes et intellectuelles grecques a couvert l’Europe, se développant particulièrement dans les grands États pluri-ethniques : empires Ottoman, Austro-Hongrois, Russie. Venise puis Vienne ont été les pôles principaux de cette diaspora qui a joué un rôle décisif dans la renaissance culturelle de l’Hellénisme et dans sa guerre d’indépendance 43. Cette diaspora de commerçants, d’artisans et d’industriels grecs était implantée dans beaucoup de centres urbains d’un espace qui s’étendait jusqu’à Leipzig, Poznan et Lvov au nord, Odessa, Kiev, Moscou à l’est. Des compagnies commerciales fonctionnant comme des guildes représentaient ces colonies marchandes auprès des autorités locales austro-hongroises ou russes. Cette bourgeoisie dont la prospérité s’est affirmée au XVIIIe siècle a œuvré pour la renaissance de l’enseignement, de la langue et de la culture grecque dans les communautés de cette diaspora et dans les villes du nord de la Grèce ottomane dont elle était originaire. Un autre courant migratoire à partir des îles et des littoraux de l’Egée s’est dirigé dès le XVe siècle vers l’Europe de l’Ouest et d’abord vers l’Italie (Venise et Padoue, Naples). Au XVIIIe siècle, Paris et Londres abritaient des communautés grecques qui contribuaient au développement de l’éducation et de la culture en Grèce. Elles ont contribué aussi à y introduire la philosophie des Lumières et les idées de 1789. Comme celles de Vienne, Budapest, Bucarest et Odessa, ces communautés ont beaucoup favorisé l’éclosion du nationalisme grec au XIXe siècle.
La diaspora européenne actuelle et son Église
En Europe occidentale et centrale la présence grecque est démographiquement la plus importante en Allemagne (346 000 en 1992) et en Angleterre (221 500 dont 200 000 Chypriotes). Viennent ensuite des pays dans lesquels la présence grecque est notable sans être très importante : France (36 000), Belgique (21 230), Suède, Italie (20 000). Elle est faible en Pologne (plus de 5 000), Roumanie (6850), Autriche (7 300), Suisse (9 1 06). Dans les autres pays elle est très faible, voire symbolique (moins de 5 000 ou de 1 000). Dans les pays de l’ex-URSS, la diaspora grecque se concentre sur les rivages de la mer Noire ou dans le Caucase, car en majorité originaire de Crimée et du Pont en Asie Mineure. Elle est numériquement plus importante : au recensement de 1989, 358 068, ce qui est largement sous-estimé. Elle se répartit ainsi : Géorgie (100 324), Ukraine (98 594), Russie (91 699), Kazakstan (46 746) Arménie (4 650), autres pays (16 055). A l’inverse de la structure pyramidale hiérarchisée des Églises américaine et australienne, l’Église d’Europe occidentale et centrale est décentralisée en métropoles autonomes couvrant chacune un groupe de pays et dirigée par un métropolite. Rattachées au Patriarcat Œcuménique, ces Églises sont plus récentes, leurs structures ayant été mises en place entre 1963 et 1969. Issue de la grande vague migratoire de travailleurs des années 1960 pendant la période de forte croissance économique en Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique et Suède principalement, cette diaspora prolétaire s’est superposée à une diaspora marchande et intellectuelle plus ancienne. Cette dernière était numériquement beaucoup plus faible et présente surtout en Italie, Autriche, France et Angleterre.
Les communautés marchandes de Londres, Liverpool, Manchester et Cardiff qui s’étaient formées dans la seconde moitié du XIXe siècle, avaient construit leurs églises et étaient restées indépendantes. Elles ont connu comme en Amérique une brève période de rattachement à l’Église autocéphale de Grèce de 1908 à 1922, date à laquelle elles ont été de nouveau placées sous l’autorité du Patriarcat Œcuménique qui créa une métropole à Londres. Celle-ci fut transformée en archevêché de Thuateires et Grande Bretagne en 1968. Après la Seconde Guerre mondiale, l’arrivée d’une masse importante de Chypriotes (200 000 environ) a favorisé cette transformation 44. Si les Grecs d’Allemagne (plus de 300 000) sont plus nombreux que ceux de Grande-Bretagne, leur Église plus récente est beaucoup moins forte. Leurs communautés démocratiques (Ellinikes dimokratikes kinotites), liées à la vie syndicale et aux partis de gauche, n’ont souvent pas d’affiliation religieuse. Les 54 paroisses ont des circonscriptions très étendues. Le métropolite siégeant à Bonn depuis 1963 n’est assisté que de trois évêques auxiliaires, tout en étant exarque d’Europe Centrale. L’enseignement échappe en grande partie à l’Église et relève du ministère de l’éducation grec 45. Dans l’est de l’Europe, ex-communiste, l’Église grecque a été interdite, les prêtres déportés ou exécutés sous le régime stalinien. Dans l’ex-URSS les Grecs dont la plupart étaient originaires du Pont avaient des églises dans chacune de leurs communautés. Elles ont été fermées en 1937 en même temps que les écoles, les bâtiments étant nationalisés. Des fidèles ont réussi à sauver et cacher quelques icônes. Depuis 1989, organisés en associations, ils ont parfois pu obtenir la restitution de ces bâtiments et leur réouverture au culte après une remise en état qu’ils ont assurée eux-mêmes46. Là aussi l’Orthodoxie est, avec l’enseignement de la langue et la vie associative, la première manifestation de l’Hellénisme renaissant. Cependant les Grecs s’intègrent le plus souvent pleinement dans l’Église orthodoxe russe sans conserver une église grecque différente.
Quelle identité en diaspora ?
De quelle nation grecque s’agit-il ?
L’identité grecque en diaspora ne peut se comprendre que si elle est mise en perspective avec les différentes conceptions de la nation grecque telles qu’elles se sont exprimées dans l’histoire de l’Hellénisme. On peut partir du roum millet , héritier de l’empire byzantin, qui rassemblait toutes les populations orthodoxes de l’empire ottoman, quelles que soient leurs langues, sous l’autorité du Patriarche œcuménique qui était un Grec et un personnage important de l’empire. La langue grecque était celle des institutions de cette Église Orthodoxe, dont les cadres dirigeants les Phanariotes qui prétendaient être de familles issues de l’aristocratie byzantine. Les membres de ce millet, de cette nation au sens religieux, étaient nommés Romioi, nom provenant de Romaioi, c’est-à-dire Romains. Les Grecs proprement dits, ayant le grec comme langue maternelle, constituaient une élite intellectuelle et commerciale au sein de l’empire et du genos (nation) dont le chef était le patriarche œcuménique 47. On peut donc parler de nation grecque bien avant la naissance d’un État-nation. A partir du XVIIIe siècle et du projet de la constitution d’un État-nation grec à l’issue de la guerre d’indépendance, le terme d’ethnos s’est substitué à celui de genos qui continuait à être utilisé par le Patriarcat. Les deux principaux éléments de l’identité grecque, la religion orthodoxe et la langue qui étaient à la base de la nation -genos, ont été repris dans le cadre de la modernité propre à l’État-nation occidental. G. Prévélakis 48 parle d’une rupture identitaire qui s’est opérée au cours d’une période qui s’étend de la fin du XVIIIe à celle du XIXe siècle. Les idées des Lumières et l’impact des guerres napoléoniennes ont favorisé l’apparition d’une nation fondée sur une référence néo-classique dont le principal idéologue était l’écrivain Adamantios Koraïs (1748-1833). La création d’une Église nationale autocéphale séparée du Patriarcat allait dans le sens du renforcement de l’État grec et de sa séparation du genos qui regroupait l’ensemble des Grecs, dans et hors de Grèce 49. Un double mouvement d’expansion du territoire national grec jusqu’aux guerres balkaniques, à la Première puis à la Seconde Guerre mondiale, et de déracinement et de repli des populations grecques d’Asie Mineure, du Caucase et de la diaspora (Égypte en particulier) dans le territoire national, a renforcé la nation -ethnos aux dépens de la nation -genos qui n’existe plus aujourd’hui que dans la diaspora. Celle-ci garde en effet des liens très forts avec les patriarcats de Constantinople, de Jérusalem et d’Alexandrie 50. L’identité est transmise par « l’ensemble des icônes, l’ensemble des symboles dans lesquels un peuple a foi » qui sont eux-mêmes transmis « par l’éducation dans la famille, à l’école, dans la Société » 51. C’est cette « iconographie » qui permet de résister aux forces du changement qui menacent la cohésion de la communauté en diaspora. Elle-même évolue, se diversifie dans les contextes des sociétés d’accueil, si bien qu’il est possible de la définir dans sa spécificité européenne occidentale, américaine, australienne. .
L ‘identité grecque en Europe occidentale
Dans les sociétés d’Europe occidentale l’identité nationale grecque n’a pas été transférée telle quelle depuis le pays d’origine, mais a été recomposée sur la base des interactions entre structures sociales, contradictions de classes, et modèles culturels du pays d’origine comme de celui d’accueil. Elle s’est reconstruite au sein des relations complexes des immigrés avec la population locale, des relations des différents groupes d’immigrés entre eux, et en rapport avec les inégalités de puissance entre États dans le contexte international. Ses caractéristiques culturelles ont été recréées par l’interaction de la mémoire et du nouvel environnement. Celles-ci combinent des fragments de la culture traditionnelle populaire rurale et urbaine du pays d’origine avec des éléments de la culture de la classe ouvrière du pays d’accueil, de celle des immigrés d’autres nationalités et certains aspects de la culture de masse des sociétés occidentales. Il s’agit bien d’une identité culturelle hybride, en évolution continue, multiple, qui n’est ni celle du pays d’origine ni celle du pays d’accueil 52.
Les identités grecques dans les pays anglo-saxons du nouveau monde
Aux États-Unis les problèmes d’identité se posent différemment. Une seconde vague migratoire (1951-1975) a permis de ralentir la tendance à l’assimilation de la population appartenant à la première vague (1870-1920), la plus nombreuse. Elle a introduit une forte différenciation entre les immigrés des seconde et troisième générations, engagés dans un processus d’ascension sociale, et les immigrés récents au statut social plus bas mais conservant des liens plus importants avec le pays d’origine. Il faut ajouter à cela l’ampleur démographique de la communauté grecque des États-Unis comprise entre un et trois millions de personnes selon la définition que l’on donne au terme de Grec américain. Dans ce contexte d’immigration ancienne de masse dans une société où les tendances assimilatrices sont très fortes (melting pot) en particulier sur le plan linguistique, les problèmes identitaires se posent différemment. On peut y distinguer trois identités co-existant simultanément. Une première identité qu’on pourrait qualifier d’ethno-nationale se réfère à l’État grec et à l’Église orthodoxe gardien de la nation (ethnos ) telle qu’elle s’est constituée dans les Balkans, au XIXe siècle, au moment de la dissolution de l’empire ottoman. L’Église a la fonction de transmettre l’héritage historique national, la langue et la culture. La référence essentielle reste celle de l’État-nation récent. Cette identité a été partagée par les immigrants les plus récents (première génération), ceux de la seconde vague d’immigration et par la gauche grecque américaine qui a été victime de la guerre froide et du Mac-Carthyisme. Elle est la plus proche d’une conscience diasporique véritable. Une seconde identité, très bien représentée dans les seconde et troisième générations, est construite sur une vision historique mettant l’accent sur une plus longue durée et sur le rôle joué par l’Église orthodoxe pour maintenir l’Hellénisme vivant à travers toutes les péripéties et les désastres de l’histoire. On se réfère à la nation -genos en opposition à la nation -ethnos. Les Grecs Américains sont présentés comme les héritiers authentiques de la grande radition hellénique d’une Grèce imaginée, reconstruite à l’aide d’une mémoire sélective. Les Grecs de Grèce sont perçus comme ayant perdu les vertus helléniques, étant beaucoup trop immergés dans les querelles politiciennes d’une petite nation balkanique. Ces Grecs Américains se réclament parallèlement d’un héritage et de vertus proprement américains. Ils cultivent une vision nostalgique du passé glorieux de l’Hellénisme. La troisième identité, en cours de constitution, rejette totalement le caractère ethno-national pour se fonder uniquement sur un universalisme orthodoxe qui se situe clairement dans l’espace américain. Il s’agit d’une identité purement religieuse promue par une minorité aisée de la seconde et troisième génération. Leur objectif est de remplacer totalement le grec par l’anglais dans la liturgie et d’obtenir une Église autocéphale américaine rassemblant tous les Orthodoxes américains quelle que soit leur origine ethno-nationale. Regroupés dans une association « The Orthodox Christian Laity » (OCL) ils se situent résolument dans le présent et dans la tradition américaine de séparation du religieux et du séculier, en refusant la fusion des identités ethno-nationale et religieuse. Comme on le voit, l’Église est au cœur de toute définition de l’identité grecque en Amérique. Pour certains elle est même responsable de la déshellénisation de l’Orthodoxie en s’appuyant sur les éléments les plus réactionnaires des communautés. Elle est un enjeu de pouvoir entre le Patriarcat œcuménique, l’Église nationale grecque d’Athènes, l’État grec lui-même 53
Hellénisme et diaspora dans leur environnement régional et mondial
La présence et le rayonnement de l’Hellénisme dans la très longue durée, un, deux à trois millénaires selon les lieux, en Méditerranée orientale, Moyen Orient et en Europe, lui donne un avantage certain. Cette influence culturelle sur la longue durée a laissé des traces très profondes 54. Avec la fin de la guerre froide et l’ouverture des frontières, la Grèce a entrepris une reconquête de son influence économique et culturelle dans les Balkans, sur les rives de la mer Noire et dans le Caucase. Sa relative avance économique et technologique par rapport à cet « arrière pays » est due à ses relations anciennes, en particulier depuis son indépendance (1829), avec le monde occidental, et à son intégration depuis 1981 à l’Union Européenne. Une force de l’Hellénisme réside dans la conjugaison entre l’autonomie des communautés en diaspora, le polycentrisme (l’État-nation d’Athènes, celui de Chypre, le Patriarcat de Constantinople) et le centralisme de l’État-nation grec et des deux principaux archevêchés de la diaspora (Amérique et Australie). L’Hellénisme peut ainsi s’appuyer à l’échelle mondiale sur deux types de structures, les unes décentralisées héritées de son long passé 55, les autres centralisées, modernes et de type occidental. Le fait que la diaspora grecque soit dans sa majorité numérique dans des pays anglo-saxons du nouveau monde ou de l’ancien empire britannique peut être considéré comme un avantage à l’heure de la mondialisation. Cela facilite le développement de réseaux de communications et d’échanges de toutes sortes entre les communautés qui se trouvent au coeur de pays riches et influents. Dès la deuxième génération l’ascension sociale à travers les études universitaires est très sensible, de plus en plus de Grecs devenant membres de ‘élite entrepreneuriale, intellectuelle et politique de leur pays d’adoption. Mais cela peut aussi devenir, comme on l’a vu, un inconvénient à cause du danger d’assimilation. La quasi-absence de l’Hellénisme en Asie orientale et méridionale, dans cette partie du monde la plus peuplée et l’une des plus dynamiques économiquement, est une faiblesse qui ne peut qu’être difficilement compensée par sa présence en Australie et Nouvelle-Zélande, sur les rives du Pacifique. Cependant la plus grande faiblesse actuelle de l’Hellénisme au niveau mondial est la situation de son centre à une extrémité sud-est de l’Europe, sur une ligne de fracture majeure entre Orient et Occident, entre islam et chrétienté, entre Turquie et Grèce, et dans les Balkans. Les points chauds y sont nombreux et peuvent surgir ou réapparaître à tout moment. Ce simple fait immobilise une part beaucoup trop importante des ressources des États grec et chypriote dans des activités de défense militaire. L’amputation récente (1922 puis 1974) d’une partie de cette zone centrale (des littoraux grecs d’Asie Mineure et de Chypre depuis plus de deux millénaires) est un signe de cette faiblesse. Cette difficulté majeure ne pourra être surmontée dans l’avenir que par une extension de l’Europe vers l’est et le sud-est. Le centre de l’Hellénisme pourrait alors de nouveau se trouver au cœur d’un espace euro-asiatique pacifié ayant conservé une certaine unité culturelle héritée des périodes byzantine et ottomane. Cela passe par le règlement des conflits balkaniques et gréco-turcs, et éventuellement par l’intégration de la Turquie à l’Europe.
1 Drettas G. « La langue pontique comme objet identitaire : questions de représentations » in Bruneau M. (dir.), Les Grecs pontiques : diaspora, identité, territoires, Paris, CNRS-Éditions, 1998, p. 73.
3 Hovanessian M., « La notion de diaspora, usages et champ sémantique », Journal des Anthropologues , n° 72-73, 1998, p. 18.
4 Bruneau M., « L’Hellénisme : un paradoxe ethnogéographique de la longue durée », Géographie et cultures, n° 2, 1992, pp. 49-59.
5 Elles sont au nombre de quatre :
-le passage du polycentrisme des cités-états de l’antiquité à des États territoriaux plus importants avec la Macédoine de Philippe à la fin du IVe siècle et l’époque hellénistique qui a suivi (Ille au 1er siècle av. J. C.) ;
-le passage de la religion polythéiste de l’antiquité au christianisme dans le cadre de l’empire romain, le grec étant le principal vecteur de cette religion avec notamment les Pères de l’Eglise et les premiers conciles œcuméniques qui se tiennent tous dans l’Orient grec (IlIe-IXe siècle ap. J. C.) ;
-la chute de Byzance en deux temps : 1204 prise de Constantinople par les Croisés qui marque l’approfondissement de la rupture avec l’Occident, 1453 prise de Constantinople par les Turcs ;
-l’avènement d’un État-nation grec pro-occidental, surtout à partir de la monarchie bavaroise (1831) et de la séparation de l’Église orthodoxe grecque du Patriarcat œcuménique, celle-ci devenant autocéphale (1833). Voir Axelos Ch., Stichia tis kritikis tis neoellinikis ideologias, Athènes, Ellinika Grammata, 1995, pp. 80-81.
6 On est en cette fin du XXe siècle à un tournant majeur des rapports entre la Grèce et l’Hellénisme principalement à cause de la construction européenne. Celle-ci pose un problème identitaire aux Grecs, comme aux Turcs, dont l’identité est double, européenne et asiatique, occidentale et orientale.
7 L’approche géohistorique nous semble essentielle pour comprendre l’insertion européenne et mondiale de ce phénomène ethno-culturel qu’est l’Hellénisme. Sa dimension spatiale et territoriale doit être prise en compte avec la profondeur historique indispensable.
8 Tsimbos P., Ethniki epigamia kai epiviosi etnikis koultouras kai tavtotitas, me idiki anafora stous Ellines tou Kanada, in Hellenism in a global village, Nicosie, KYKEM, 1997, p. 297.
9 Ibid, p. 299.
10 Condominas G., « Introduction à une étude sur l’émigration grecque à Madagascar », in Peristiany J. G. (dir.), Contribution to Mediterranean Sociology-Mediterranean rural communities and social changes, Paris, Mouton, 1 968, pp. 227-228.
11 Paparigopoulos K., Istoria lou Ellinikou Ethnous, Epilogos, Athènes, Vlastou, 1877, 455 P2- Elles se sont développées d’abord dans le cadre des corporations, puis des quartiers correspondant à des paroisses, des villages et de la ville dont la communauté rayonnait sur la région. Elles étaient f-egroupées en confédérations de communautés dont les formes pouvaient être variables selon les régions. 3 Dragoumis I., O Ellinismos mou kai I Ellines, Athènes, Nea Thesis, 1991, 154 p.
14 L’État grec centralisateur de la monarchie absolue d’Othon retira en 1833 à la communauté son contenu d’autonomie politique. Les tentatives de faire revivre après 1912 cette institution échouèrent à lui redonner un contenu socio-politique
15 Vlami D., « Commerce et identité dans les communautés grecques. Livourne aux XVIlIe et XIXe siècles », Diogène , n° 177, 1997, pp. 77-78.
16 Administrée par un conseil de seize membres élus par l’assemblée générale, celle-ci avait la fonction non seulement religieuse mais politique de représenter auprès des autorités locales la « nazione » grecque établie à Livourne. Elle présentait trois caractères notables : «elle ressemblait aux formes traditionnelles d’administration communale grecque ; elle permettait une gestion informelle, souple et directe, soumettant les procédures à des préoccupations pratiques contingentes plutôt qu’à une règle formelle ; enfin l’autorité était allouée au sein de l’organisation en fonction de paramètres sociaux et économiques » (Vlami, art. cité, p. 79).
17 Le droit de voter et de se présenter au conseil d’administration a été refusé jusqu’en 1873 aux hommes mariés avec une femme non-orthodoxe, ce qui montre l’importance du sentiment religieux dans l’identité de ces Grecs. Le cumul des responsabilités sacerdotales et civiles était interdit.
18 Elle distribuait également un nombre limité de bourses pour des étudiants à l’école de philosophie de Chios ou dans des universités italiennes. Elle parrainait aussi la publication de livres sur l’histoire ou la culture grecque pour rendre les Grecs fiers de leur héritage et prêts à lutter pour l’indépendance. Elle finançait de façon prioritaire des projets éducatifs à Livourne comme en Grèce.
19 Prévélakis G., « Finis Graeciae or the Return of the Greeks ? », Transnational Communities Programme , Working Papers, Université d’Oxford, 1998, p. 9.
20 Ventoura L., Ellines metanastes sto Velgio, Athènes, Nefeli, 1999, pp. 105-1 11.
21 Ibid, pp. 170-181.
22 Elle comptait en 1967 une centaine de militants grecs. En 1964 elle publiait un mensuel, Protoporos, qui parut jusqu’en 1980, distribué dans toutes les parties de la Belgique où se trouvaient des Grecs. Jusqu’en 1969, il évita de se référer à la vie politique en Grèce et en Belgique, livrant surtout des informations syndicales et sur les activités de l’Église orthodoxe.
23 Ventoura, op. cit, pp. 232-249.
24 L’autre institution de ces communautés qui avait une durée et un rayonnement encore plus grands était l’Église orthodoxe. Celle-ci a joué un rôle décisif dans la transmission de la langue grecque (Ventoura L., op. cit., pp. 249-262). A partir du milieu des années 1960 des instituteurs ont été nommés par l’État grec qui à partir de 1968 a également envoyé des prêtres dans la région minière, payés en partie par l’État belge.
25 Ibid, pp. 284-289.
26 Le nouveau conseil d’administration était divisé entre centre et gauche. Sa prise de position très nette contre la dictature et son engagement dans la lutte contre celle-ci ont entraîné une scission de ses membres les plus conservateurs qui ont fondé leur propre association dès 1967.
27 Agtsidis V. (dir.), « I Dconomia tou Apodimou Ellinismou », Ikonomikos Takhidromos, novembre 1997, 98 p.
28 Bruneau M., « L’Église orthodoxe et la diaspora hellénique », Social Compass, 40 (2), 1993, p. 213-214.
29 Ibid, p. 207.
30 Les principales destinations de cette immigration qui sont ensuite devenues les principales régions d’installation des Grecs aux États-Unis sont au nombre de trois. Dans l’Ouest, et en particulier en Californie, les immigrants sont venus travailler dans les mines et à la construction des voies ferrées. Dans les villes industrielles de Nouvelle Angleterre au nord-est, ils ont d’abord travaillé dans les industries textiles et de la chaussure, notamment à Lowell et Boston où ils se sont particulièrement concentrés. Dans les très grandes villes du nord dont les deux principales sont New York et Chicago, ils ont été attirés par les aciéries, les industries agro-alimentaires, mais ils ont aussi exercé toutes sortes de petits métiers de vendeur ambulant à cireur de chaussures. Ils se sont dirigés en plus petit nombre vers le Sud, en particulier la Floride, où, par exemple, les pêcheurs d’épongés se sont installés à Tarpon Springs.
31 Katsikas S., O Apodimos Ellinismos : fakellos Australia, IPA, Kanada, Nea Zilandia, .Athènes, Geniki Grammatia Apodimou Ellinismou, 1995, p. 78-89.
32 II s’agit d’une population plus jeune qu’aux États-Unis, dont plus de la moitié se trouve en Ontario (Toronto). Le flux migratoire a atteint un maximum en 1967-68, années aux cours desquelles la Grèce traversait de nombreuses difficultés économiques et politiques, pour ensuite décroître rapidement. La plupart des immigrés grecs canadiens se sont élevés dans l’échelle sociale sans toutefois atteindre les postes les plus élevés dans l’économie ou la politique, comme c’est le cas aux États-Unis où l’implantation est nettement plus ancienne.
33 Avec l’Argentine, le Brésil compte la plus importante population grecque du continent (entre 20 et 40 000 individus). Elle date, comme celle du Vénézuela, d’après la Seconde Guerre mondiale ; elle est plus récente que celle d’Argentine ou du Chili qui avaient reçu des immigrants dès l’entre deux guerres (Kazakou P., 1994, pp. 34-47). Ce sont avant tout des commerçants, entrepreneurs, patrons d’industries légères ou des professions libérales.
34 Kazakou P., O Ellinismos stis Khores fis Latinikis Amerikis, Athènes, Geniki Grammatia Apodimou Ellinismou, 1994, p. 34-46.
35 Le premier évêque orthodoxe grec fut envoyé en 1918 par le Saint Synode et l’archevêque d’Athènes. Cette tutelle (1908-1922) n’eut pour seul résultat que l’exportation des querelles politiques internes de la Grèce au sein de la diaspora. Pour mettre un terme définitif à cette confusion, il fallut la désignation par le Patriarcat, avec l’accord du gouvernement grec et de l’Eglise d’Athènes, d’un exarque pour les Etats-Unis Damaskinos (1930). Après le retrait des évêques en place, la nomination du métropolite de Corfou, Athenagoras, à la tête de l’archevêché inaugura une phase de pacification et d’organisation de l’Eglise Orthodoxe grecque américaine en un système centralisé (1931-1948).
36 Regroupées en une Fédération des communautés orthodoxes grecques, elles se séparèrent de l’Eglise officielle et se placèrent sous l’autorité de l’archevêque biélo-russe Sergei Ochotenko (1962-1970). Aujourd’hui encore, une Eglise indépendante, dirigée par l’archevêque Spyridon, rassemble quelques paroisses des communautés de Sydney, d’Adelaîde et de Newcastle, mais l’Eglise officielle s’est imposée à la très grande majorité des 107 paroisses australiennes.
37 Les Grecs sont aujourd’hui environ 5 500 en Nouvelle-Zélande dont la majorité (4 000) dans l’agglomération de Wellington. D’origines très diverses en Grèce et à l’extérieur (Chypre, Roumanie), la majorité d’entre eux est arrivée entre 1960 et 1973. Les six églises orthodoxes se sont séparées de l’archevêché d’Australie pour former une métropole par décision du Synode du Patriarcat Œcuménique en 1970. La crise de l’économie néo-zélandaise après 1975 a favorisé une tendance au retour en Grèce ou à une réémigration vers l’Australie voisine dont la communauté grecque plus nombreuse, économiquement et socialement plus florissante, est très attractive.
38 Agtsidis, op. cit., pp. 95-98.
39 Des missionnaires grecs comme Nicodème Sari kas (1876-1941) et Chrysostome Papasarantopoulos ont été relayés par des prêtres africains qu’ils avaient contribués à former comme Spart as ou Nankyama.
40 Bruneau, 1993, op. cit., p. 209.
41 Les autres métropoles, celles d’Axôme (Addis Abeba), de Nubie (Kartoum) et de Carthagène (Tripoli), sont les témoins d’une présence grecque ancienne, aujourd’hui limitée à cause d’une conjoncture politique très défavorable.
42 Liée à des structures héritées de la colonisation, elle a un avenir incertain à moyen terme. Quant à son Eglise, elle sera probablement de plus en plus africaine et de moins en moins une institution de la diaspora.
43 À partir des montagnes du centre et du nord de la Grèce dans lesquelles beaucoup de paysans s’étaient réfugiés après l’invasion turque, les Grecs ont émigré dans tous les Balkans et en Europe Centrale, empruntant les voies caravanières qui suivaient les vallées de PAliakmon, de l’Axios, de la Morava et du Danube.
44 Aujourd’hui cet archevêché, le plus structuré d’Europe en dehors de la Grèce, comprend 65 communautés-paroisses et sept évêques auxiliaires, avec de son ressort également l’Irlande et Malte. Il contrôle 86 écoles et plusieurs associations : Greek Orthodox Charity Organization, St Nicholas Greek Orthodox Educational Center….
45 Les autres communautés de la diaspora grecque européenne, beaucoup moins nombreuses et très dispersées, sont dirigées par cinq autres métropolites couvrant souvent plusieurs pays. Le métropolite de Paris a la charge de la France, de l’Espagne et du Portugal. Celui de Bruxelles a autorité sur l’ensemble du Benelux avec 20 paroisses et un évêque auxiliaire à Rotterdam. Le métropolite de Vienne, assisté par trois évêques auxiliaires, est également exarque d’Italie et de Hongrie. Depuis 1969 un métropolite siégeant à Stockolm a, en outre, la charge des petites communautés du Danemark, Norvège et Islande. Quant à celui de Genève, il ne rayonne pas seulement sur la dizaine de paroisses de Suisse, mais représente aussi le Patriarche auprès du Conseil Œcuménique des Eglises.
46 Ainsi près de Batoum en Géorgie cinq églises en ruines ont été reconstruites en 1990-91. L’ancienne métropole de Gelendjik au bord de la mer Noire, au sud de la Russie, a été fermée définitivement en 1949, puis transformée en magasin de céréales ; elle est aujourd’hui en cours de réparation par une équipe de volontaires.
47 Une partie variable de l’élite commerciale et intellectuelle des villes de l’empire et des pays voisins était hellénisée et constituait ainsi une frange difficile à délimiter de cette nation grecque
48 Prévélakis G., Géopolitique de la Grèce, Bruxelles, Éditions Complexe, 1997, p. 35.
49 L’historien Paparigopoulos (1815-1891) a forgé l’identité nationale telle qu’elle est encore aujourd’hui conçue par une grande partie de la classe politique : une nation-ethnos diachronique, de l’antiquité à nos jours, basée sur une continuité culturelle et une expérience historique commune, non pas sur les liens du sang, et sans une délimitation précise de son aire géographique.
50 L’État grec a tenté récemment de prendre le contrôle de cette diaspora par le biais d’institutions tendant à l’organiser : le Parlement des Grecs à l’étranger (Simvoulio Apodimou Ellinismou) siégeant à Thessalonique.
51 Gottmann J., Éléments de géographie politique, Paris, Les cours de Droit, 1955, fascicules I et II, pp. 173-174.
52 Dans la communauté grecque de Bruxelles par exemple, d’une identité basée sur la conscience de classe dans les années 1970-1980 on est passé à la promotion d’une identité faisant appel à l’image stéréotypée de la civilisation agraire grecque promue par la littérature (puis l’État lui-même) et de la culture d’autres couches populaires de la société grecque, comme celle des réfugiés, enfin des stéréotypes véhiculés par les sociétés occidentales sur les pays méditerranéens. Voir Ventoura, op. cit., pp. 315-316.
53 Le maintien de l’identité grecque dans la plupart des pays anglo-saxons est menacé par la faiblesse démographique de la communauté des Grecs dans ces pays et en Grèce même. Il n’y a plus de nouvelles arrivées d’immigrants. Le côté « dyonisiaque » de l’identité grecque, selon G. A. Kourvetaris, c’est-à-dire la cuisine, la musique et les danses populaires, ne suffit pas à reproduire cette identité. Les mariages mixtes, désormais majoritaires, et l’ascension sociale de la plus grande partie des Grecs imposent de recourir à une autre stratégie pour reconstruire une identité grecque dans un contexte anglo-saxon. Kourvetaris (Kourvetaris G. A, « Continuity and discontinuity of greek ethnicity in anglo-saxonic countries in the 21st century » in Hellenism and the Greek Community , Melbourne, Neos Kosmos, 1997, pp.32-38.) propose pour cela de renforcer le côté « apollinien » de l’identité hellénique. Il faut développer l’enseignement, la diffusion de la culture et de l’art grec au sein des Américains, Australiens, Canadiens d’origine grecque en anglais. Il faut favoriser l’émergence d’une classe d’intellectuels et d’artistes, les Centres de recherche sur l’Hellénisme. Il faut renforcer un mouvement philhellène au delà même de cette communauté en s’appuyant sur les deux côtés dyonisiaque et apollinien de la tradition. Le « modèle hellénistique » doit être une référence pour attirer un nombre croissant de descendants des troisième, quatrième générations et de non-grecs sympathisants, en s’appuyant également sur l’Orthodoxie.
54 Cette vaste aire culturelle de rayonnement n’a cependant pas la force qu’a celle d’un ensemble de pays partageant la même langue, tel que la francophonie pour la France, la lusophonie pour le Portugal ou lliispanophonie pour l’Espagne. Il manque à la Grèce un ensemble de pays hellénophones, ce qui se traduit par un relatif isolement culturel et politique, pouvant entraîner parfois une paranoïa. Celle-ci se manifeste, par exemple, dans l’usage un peu trop systématique dans le discours politique des deux termes antithétiques de mishellénisme et de philhellénisme.
55 L’Hellénisme occupe une position centrale, héritée des périodes byzantine et ottomane, dans l’Église Orthodoxe en étant à la tête de trois des plus anciens patriarcats, Jérusalem, Alexandrie et surtout Constantinople (Patriarcat Œcuménique). C’est un moyen de conserver et éventuellement développer des relations privilégiées avec l’ensemble des pays orthodoxes ou avec tel ou tel d’entre eux. Cela n’est peut-être pas étranger au fait que les Grecs soient parmi les premiers investisseurs en Roumanie et Bulgarie. Le Patriarcat Œcuménique contribue à la cohérence et à une certaine unité de la diaspora grecque par la primauté spirituelle et administrative qu’il exerce sur ses églises. Il peut également être un garant de son indépendance par rapport à l’État grec.