Chaque année en partenariat avec RTL, Lire – Magazine littéraire révèle sa fameuse liste des 100 livres de l’année, surtout issus de la rentrée littéraire et publiés par les grandes maisons d’édition.
Parmi ces 100 livres, la rédaction a choisi
Mauthausen d’Iakovos Kambanellis,
Traduit du grec par Solange Festal-Livanis chez Albin Michel, 384 p.
« C’est Mauthausen qui m’a défini comme homme, je suis encore un homme du camp. »
Mauthausen constitue une œuvre majeure du dramaturge grec Iakovos Kambanellis, parue en Grèce en 1963, et voit le jour pour la première fois en français en janvier 2020. La version française a reçu le quatrième prix du livre étranger décerné par le Journal du Dimanche et France Inter et il y quelques jours a été choisi parmi les 100 livres de l’année.
Mauthausen raconte la détention de l’auteur dans le camp de concentration autrichien de 1943 à 1945. L’auteur revient sur la survie dans le camp et aussi pendant les mois qui suivirent la libération par les Américains, en posant la question primordiale, comme d’autres auteurs de survie (notamment Primo Levi) de façon suivante: comment est-il possible de sauver une part d’humanité en plein cœur de l’enfer ?
En 1942, en pleine occupation allemande, Iakovos Kambanellis cherche à fuir au Moyen Orient. Décidé à passer en Suisse, il finit par être arrêté à Innsbruck, en Autriche. Il est par la suite envoyé au camp de concentration autrichien de Mauthausen, où il fut prisonnier de 1943 jusqu’au 5 mai 1945 quand le camp fut libéré par les troupes américaines.
« Un ami, un peu plus âgé que moi, m’avait convaincu que nous pouvions nous enfuir de Grèce pour le Moyen-Orient. Lui, plus déterminé que moi, a entrepris de trouver le moyen : c’était d’aller sur une des côtes de l’Attique où des caïques nous feraient passer en face. Ça n’a pas pu se faire, car il s’est rendu compte qu’il fallait que chacun de nous ait 60 livres or. Quand il a vu que ça ne marchait pas, il a trouvé un autre moyen : nous passerions avec des papiers par la Yougoslavie et nous arriverions à Vienne où avec les 200 marks que nous aurions gagnés en vendant des cigarettes, nous obtiendrions de faux passeports italiens. C’est ce que nous avons fait. Ils nous ont arrêtés à Innsbrück et ils nous ont emmenés dans une prison à Vienne.La chose la plus simple était de t’envoyer dans un camp de concentration. Et c’est ce qui s’est passé… » [Emission « Monogramma » de Yorgos Sgourakis, 2005, ERT/ archives numériques retranscrit par Solange Festal-Livanis, Source ]
« Mauthausen » : un récit autobiographique
« Je suis encore un homme du camp », disait Iakovos Kambanellis, en 2005, dans un entretien télévisé [Evi Kyriakopoulou, « La vie est ailleurs », ET1, Source]. Après avoir connu l’expérience du camp de concentration Kambanellis en a tiré, vingt ans plus tard, sa seule œuvre narrative, Mauthausen publiée à Athènes et traduite par la suite en anglais et en allemand.
« Mon intention n’était pas de parler principalement des S.S et des tourments des détenus. J’en ai fait forcément mention, mais avec parcimonie, autant qu’il fallait pour qu’aient leur entité dramatique les espoirs qui fleurissaient en mai 1945 et l’amertume qui leur a succédé les années qui ont suivi […] Dans le microcosme du camp libéré, dès que les prisonniers ont mangé, ont repris des forces et se sont tenus sur leurs jambes, ils se sont souvenus de leurs passions pour la politique. Je ne dis pas que cela était totalement absurde… Mais, pensez un peu : dans un lieu où 240 000 personnes avaient été tuées par un ennemi commun, les 30 000 survivants (qui l’étaient comme par miracle) en train de s’entredéchirer maintenant, et même souvent avec les morts et les blessés… » Kambanellis Iakovos, Depuis la scène et depuis le parterre, p. 182-183.]
En Grèce,Mauthausen a connu un vrai succès à sa parution. Mikis Theodorakis inspiré du récit du rescapé de Mauthausen. mit en musique des poèmes qu’Iakovos Kambanellis dans l’album La Ballade de Mauthausen,
« Mauthausen » est unique récit de Iakovos Kambanellis qu’il n’a écrit que pour le théâtre.
Quelques mois après son retour en Grèce, il eut ce qu’il considérait comme une révélation pour le théâtre en assistant à une représentation mise en scène par Karolos Koun, artiste et intellectuel qui transforma la scène théâtrale grecque par ses approches dramaturgiques fondées sur la méthode Stanislavski. En parlant de son expérience dans le théâtre, Kambanellis explique :
« Ce n’était pas la pièce qui m’avait bouleversé […]. C’était la découverte que la vie pouvait être représentée de façon si vivante, si convaincante. Et aussi le fait que ce que j’avais vu sur la scène pouvait être une vérité plus significative que le modèle de la vie réelle. » Kambanellis Iakovos, Depuis la scène et depuis le parterre, Athènes, Kastaniotis, 1990, p. 23-24.
La première ambition de Kambanellis est de devenir acteur, mais, muni d’un simple diplôme technique, il n’est pas admissible dans les écoles dramatiques supérieures d’Athènes. Dans sa déception, il cherche une autre manière d’aborder la scène et se met à écrire et devint donc dramaturge.
Le dramaturge Iakovos Kambanellis, est connu aussi comme scénariste de films, dont Stella (1955), réalisé par Michalis Cacoyannis), adaptation de sa pièce de théâtre Stella aux gants rougs écrite pour Mélina Mercouri. Tourné dans les rues d’Athènes, le film suit une chanteuse avide d’hommes (Melina Mercouri) qui refuse d’épouser son amant, et entame une liaison passionnée avec un footballeur. Le film a fait de Mercouri une star et a renforcé la réputation internationale du cinéma grec.
Il écrivit également le scénario de L’Ogre d’Athènes de Nikos Koundouros (1956). En 1968, il fut le scénariste et le réalisateur du film Le Canon et le Rossignol (1968).
Iakovos Kambanellis : brève biographie
Né le 2 décembre 1922 dans l’île de Naxos, sixième enfant d’une famille qui en comptera neuf. Père pharmacien. Dès l’école primaire, l’instituteur a décelé en lui un don pour l’écriture. A Athènes , où sa famille s’est installée en 1935, il est obligé, à la suite d’un revers de fortune familial, de travailler le jour en suivant des cours du soir d’une école technique dont il sort en 1938. Mais il découvre aussi les bouquinistes et devient un lecteur maniaque de littérature grecque et étrangère. En 1942, en pleine occupation allemande, il cherche vainement à fuir au Moyen Orient. Décidé à passer en Suisse, il finit par être arrêté à Innsbruck, en Autriche, il y reste emprisonné plusieurs mois, avant d’être emmené au camp de concentration de Mauthausen. Après la libération de Mauthausen par l’armée américaine en mai 1945, il rentre à Athènes. Entré par hasard au Théâtre d’Art (dirigé par Karolos Koun), il assiste à une représentation théâtrale qui va désormais déterminer son orientation. Sa première ambition est de devenir acteur, mais, muni d’un simple diplôme technique, il n’est pas admissible dans les écoles dramatiques supérieures d’Athènes. Dans sa déception, il cherche une autre manière d’aborder la scène et se met à écrire des pièces, et c’est là qu’il va réussir. Sa première pièce est créée en 1950 sur un théâtre de la banlieue d’Athènes. En 1954, il rencontre Mélina Mercouri pour qui il écrit Stella aux gants rouges, dont Michel Cacoyannis va tirer un de ses plus beaux films, Stella. Le Théâtre d’Art et le Théâtre National sont les deux objectifs qu’il vise et c’est le Théâtre National qui crée en 1956 Le Septième jour de la Création, dans sa deuxième salle. Cette représentation peut être considérée comme son véritable début. Mais c’est avec Karolos Koun qu’il donne la mesure de son génie, et la création de La Cour des miracles en 1957 est une date essentielle dans l’histoire du théâtre grec. On peut le considérer comme le refondateur de la dramaturgie néohellénique. De 1950 à 1998, Kambanellis a écrit de nombreuses pièces, créées au Théâtre d’Art, au Théâtre National et sur d’autres scènes de répertoire, en Grèce et à l’étranger. Qu’il revisite les mythes antiques, qu’il présente un tableau de la société contemporaine, ou qu’il cisèle des monologues déchirants, Kambanellis nous parle et nous touche intimement. Ses pièces sont reprises tout le temps en Grèce et à l’étranger, sans rien perdre de leur efficacité. Ajoutons à cela son engagement politique contre la dictature, aux côtés de Mikis Theodorakis, pour qui il écrit de nombreuses paroles de chansons. Il écrit dans le journal « Eleftheria » (Liberté) et maintient son activité d’écrivain envers et contre toutes les difficultés et les interdictions. Après la libération de la Grèce, il multiplie les créations. Il est pendant quelques années directeur de la chaîne de radio ERT. Depuis 1988, il ne se consacre plus qu’à son activité d’auteur dramatique. En 1999, il est élu docteur honoris causa de l’Ecole supérieure des Beaux Arts, docteur honoris causa du Département des Etudes Théâtrales à la Faculté de Philosophie de l’Université d’Athènes et membre permanent de l’Académie d’Athènes.
Quelques ouvrages…
Solange Festal-Livanis : Agrégation de lettres classiques.Depuis décembre 2012 : Thèse de doctorat en préparation à Lille 3, dans le cadre de l’École doctorale Sciences de l’homme et de la société, en langue et culture grecque, sous la directionde M. Constantin Bobas : « Écritures concentrationnaires / Écritures dramatiques, recherches dans l’œuvre de Iakovos Kambanellis ».2011-2014 : chargée de cours à Paris VII, mention histoire L3, « Sources grecques ». 2001-2014 : professeur de lettres classiques au collège Stéphane Mallarmé à Paris (17ème). 2014 : Traduction en français de Mauthausen de Iakovos Kambanellis, : Traduction en grec du livret écrit par Carole Lemée pour l’oratorio Voix de la mémoire-Paroles de déportés du compositeur Daniel Galay.1993 : Traduction en français de Fragments homériques d’Alecos Fassianos, éditions Syrmos.
Du récit concentrationnaire à la scène chez Iakovos Kambanellis : raconter et représenter Mauthausen These de Solange Livanis sous la direction de Constantin Bobas – Lille 3, Soutenue le 10-04-2018
La Maison Antoine Vitez : 6 ouvrages sont enregistrés au catalogue de la MAV : Au pays d’Ibsen ; Le dialogue ; Le Repas ; Lettre à Oreste ; L’Homme et son pantalon ; Passant par Thèbes de Iakovos Kambanellis Traduits du grec moderne par Jacqueline Razgonnikoff
Entretien avec Solange Festal‑Livanis ; jeudi 23 janvier 2020« Mauthausen », lauréat du Prix Inter du Livre Etranger 43 minutesFranceinter
Solange Festal‑Livanis, « Τρώμε, υποτίθεται – On dirait qu’on mange », Cahiers balkaniques [En ligne], Hors-série | 2016, mis en ligne le 14 mars 2017, consulté le 18 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ceb/6252 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ceb.6252
Solange Festal‑Livanis, Mauthausen, l’aventure fondatrice du dramaturge Iakovos Kambanellis,Université de Lille 3
https://www.kambanellis.gr/, site officiel Katerina I. Kambanelli.
From Stella to Iphigenia: The Woman-Centered Films of Micheal CacoyannisAuthor(s): Dan GeorgakasSource: Cinéaste, SPRING 2005, Vol. 30, No. 2 (SPRING 2005), pp. 24-30Published by: Cineaste Publishers, Inc.Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41689839
la Ballade de MAUTHAUSEN de Mikis Theodorakis
Le cycle des quatres chansons qui, ensemble, forment la Ballade de MAUTHAUSEN a été inspiré par un livre Iakovos KAMBANELLIS, racontant l’histoire de la vie et de la mort dans le camp de concentration Nazi de Mauthausen en Autriche où un grand nombre de juifs et d’autres prisonniers étaient détenus durant la dernière guerre.
Les quatres chansons de Mauthausen ont un thème commun. Elles expriment dans la puissante musique et paroles la terreur, l’agonie et la torture des camps de concentration et ses effets sur l’esprit et les corps des détenus.
La plus connue des quatres chansons est » Asma Asmaton « exprimant l’angoisse d’un prisonnier juif en apprenant que la femme qu’il aime vient d’être emmenée dans la chambre à gaz. Maria Farandouri, la chanteuse Grecque donne une plus poignante interprétation de ce quotidien lamentable, qui a pour refrain » Comme mon amour est beau » et qui a été prise de la chanson de Salomon.
Également émouvante est la quatrième chanson du cycle « Otan Teliosi o Polimos » (quand la guerre finit). La vie dans la mort des juifs internés qui rêvaient de la fin de la guerre ou de la vie n’étant que des images surréalistes. A cette fille qu’il a vue seulement à travers les barbelés qui les séparaient et les retenaient prisonniers » la fille avec les yeux terrorisés et ses mains gelées « . Il l’appelle » ne m’oublie pas, attends-moi, et enfin nous pourrons nous rencontrer, nous embrasser et marcher dans les rues ensoleillées paraissant normales avec des gens ordinaires… quand la guerre sera finie…ou quand nous nous rencontrerons dans la chambre à gaz(…). »