L’histoire de la danse en Grèce durant la première moitié du XXe siècle est intrinsèquement liée à deux courants artistiques qui se sont mutuellement nourris et complétés : il s’agit d’une part du travail de Laban, Jaques-Dalcroze et des danseurs et chorégraphes de la danse expressionniste allemande ; d’autre part, les figures marquantes de la danse moderne en Grèce font preuve d’une volonté de réinventer le mythe culturel grec dans l’esprit du modernisme, de le rendre porteur de son temps, tout en s’appuyant aux sources de l’Antiquité et des traditions populaires. Le Chalutier et la Danse des vagues, sujet de cette recherche, sont les deux mouvements finals de La Terre et la Mer de Grèce de Nikos Skalkottas (1948), une suite de ballet commandée par Polyxeni Mathéy et chorégraphiée par Yvonne de Chirico. Mathéy, de Chirico et Skalkottas sont d’éducation germanique mais aspirent à ce que leur travail contribue à la culture grecque de leur temps. Avant de rentrer dans le détail de leur œuvre, il m’a semblé important de présenter un bref historique de la danse en Grèce pendant les trois premières décennies du XXe siècle, afin de mieux saisir le contexte dans lequel la création du ballet a eu lieu.
Bref historique de la danse moderne en Grèce. L’héritage d’Isadora Duncan et Eva Palmer-Sikelianou. La fondation des écoles professionnelles de Koula Pratsika et Polyxeni Mathéy
Le ballet classique a longtemps été un genre totalement étranger à la culture grecque. Ce n’est qu’au début des années 1920 qu’on décèle les premières traces de son enseignement à Athènes et plusieurs écoles privées, créées surtout par des danseurs d’origine russe ou française1, voient le jour pendant cette période. Quant à la danse moderne, elle fait son apparition un peu avant, avec les représentations qu’Isadora Duncan (1877-1927) a données pendant son premier voyage en Grèce en 1903. Cette année-là, elle se produit à Athènes2 et le magazine Panathinaia publie la fameuse conférence qu’elle venait de donner à Berlin, intitulée La Danse de l’avenir (Duncan, 2003).Ses performances avec des mouvements entièrement libres impressionnent, surtout un cercle plutôt restreint composé d’artistes, intellectuels et de ses quelques élèves grecs.3 Duncan, qui vit sa rencontre avec la Grèce dans une ivresse totale des sens, prend finalement conscience que toute tentative d’une reconstitution fidèle de la danse et de la musique antique est vaine, et qu’elle pourrait seulement s’inspirer de la civilisation et de l’iconographie antique pour ses propres créations (Duncan, 1932, Paris, p. 137-139). À travers ses spectacles, ses recherches et son enseignement, elle a libéré le corps féminin du carcan du ballet classique et elle « réalise une des propositions les plus élaborées de la danse libre. Elle recherche un corps dansant qui trouve son expressivité au sein d’un mouvement naturel [… Sa danse] est faite d’un continuum de lignes élémentaires courbes [… Son pas] est constitué d’une alternance, sans césure, de suspensions et de retombées amorties, de relevés et de pliés » (Schwartz, 2009, p. 40)4. Son souvenir influencera les protagonistes de la danse moderne en Grèce en ouvrant le chemin pour l’émancipation du corps dansant de la femme vers l’expression personnelle et la spiritualité, ainsi qu’en le connectant avec une créativité qui se nourrit des idéaux d’éducation corporelle antiques.
C’est une autre Américaine, Eva Palmer-Sikelianou (1974-1952), épouse du poète Angelos Sikelianos, très proche de la famille Duncan5, qui a été à l’origine du renouveau de la représentation de la tragédie antique au XXe siècle pendant les Fêtes delphiques qu’elle organise en 1927 et 1930 au théâtre antique de Delphes (Tsoutsoura, 2006). Le cœur de son travail concernait l’intégration de la danse et de la musique dans la tragédie pendant les odes chorales. Elle a voulu reproduire la gestique des figures des vases antiques dans les mouvements du chœur et utiliser le mélos byzantin pour les parties chantées des odes chorales. Quoique le résultat se soit avéré extrêmement formel et sans réelle créativité, son total engagement dans cette aventure, ses recherches et son travail minutieux ont profondément marqué tous les participants aux Fêtes ; par leur collaboration avec elle, ils ont été immergés dans la problématique de leur temps : comment intégrer dans leur art le passé culturel grec.
Répétitions pour les Fêtes delphiques à l’Acropole d’Athènes, 1927. Koula Pratsika est en bas à gauche. Archives de l’École Nationale de Danse.
Koula Pratsika (1899-1984) a intégré d’une façon différente l’héritage de la Grèce antique dans son travail. Coryphée du chœur aux Fêtes delphiques de 1927 et très proche d’Eva Palmer-Sikelianou, elle a fondé à Athènes en 1930 la première École de danse professionnelle, devenue en 1973 l’École Nationale de Danse. Elle a étudié de 1927 à 1930 à la Schule Hellerau-Laxenburg fondée par Émile Jaques-Dalcroze et ensuite dirigée par sa collaboratrice Christine Frissel-Baer (Pratsika, 1991). C’est dans cette même école que des personnalités telles que Mary Wigman, Harald Kreutzberg et Rosalia Chladek ont fait leurs études, pour jouer par la suite un rôle prépondérant dans le développement de la danse expressionniste allemande. Pendant son séjour à Hellerau, Pratsika est étonnée de reconnaître la réalisation des principes d’éducation artistique énoncés par Platon : la complémentarité de la musique, du rythme et du mouvement. Diplômée d’eurythmie et de danse, elle rentre à Athènes et met toute son énergie au service de sa nouvelle École. Légendaire pour sa capacité de travail, son perfectionnisme et sa détermination, Pratsika crée le premier noyau pour former les futurs professionnels de la danse en Grèce. « [Elle] a été une pionnière dans le fait de considérer l’eurythmie et la danse comme la réalisation d’une vision du monde, qui combine la finalité artistique avec une finalité morale »(Fessa Emmanouil, 2004, p. 42). L’École proposait un cursus complet contenant cours de gymnastique, eurythmie, danse, musique, anatomie, pédagogie ainsi que des matières artistiques plus générales. Les élèves (que des filles jusqu’en 1973) obtenaient un diplôme professionnel de danse au bout de trois années d’études6.
La cousine germaine de Pratsika, Polyxeni Mathéy (1902-1997), a fondé en 1938 la seconde École à Athènes où on enseignait la gymnastique allemande contemporaine, l’eurythmie et la danse de groupe7.
Mathéy était très proche de sa cousine dans sa jeunesse et avait aussi fréquenté Eva Palmer-Sikelianou et son cercle littéraire et artistique, étant elle-même préoccupée par la définition de la grécité dans la création artistique. Elle a commencé son propre parcours en tant que pianiste ; elle obtient son diplôme du Conservatoire de Leipzig en 1925 et étudie aussi auprès de Leonid Kreutzer8 à Berlin, pianiste renommé pour sa prédilection envers le répertoire contemporain.9 Entre 1923 et 1930 elle a aussi suivi les cours des écoles de gymnastique et d’eurythmie de Dora Menzel à Leipzig, l’École Hellerau à Dresde et l’École Hollander à Berlin (Mathéy, « Directions de l’éducation corporelle et rythmique »). En 1936 elle obtient le diplôme de gymnastique allemande de la Güntherschule de Munich avec la spécialisation « musique et mouvement », et elle fait aussi la connaissance de Karl Orff et de son système d’éducation musicale qu’elle introduit, la première, en Grèce.
L’éducation corporelle à l’École de Polyxeni Mathéy
Il est intéressant sur ce point de parcourir le texte autographe déjà mentionné de Polyxeni Mathéy qui décrit les « Directions de l’éducation corporelle et rythmique » de son École (vers 1938). Selon ce texte « la gymnastique allemande contemporaine qui est enseignée à l’École de Polyxeni Mathéy est un système spécialement adapté au corps de la femme. Ce système, bâti sur des solides bases anatomiques, kinésiques, physiologiques et psychologiques, cherche la formation de corps intègres, qui combinent la force, la souplesse et la beauté […]. L’eurythmie complète cette gymnastique […]. En combinant le mouvement et la musique, elle aide à une meilleure compréhension de la musique et des phénomènes artistiques en général […]. Εn se développant, elle mène à la danse. La danse de groupe, une forme que le génie de notre peuple a si brillamment cultivé, doit aussi se cultiver dans les villes, pas seulement en tant que folklore, mais aussi en tant que manifestation consciente de la civilisation actuelle des bourgeois. Les éléments de notre danse populaire lui seront toujours des ingrédients précieux […]. En travaillant dans ces directions, l’École de gymnastique et eurythmie de Polyxeni Mathéy aspire à donner aux filles10 un corps sain, souple et bien formé, un esprit sensible au beau et à l’authentique, et façonner des entités féminines complètes, libres, joyeuses, en un mot vivantes. »
L’École complétait sa mission d’enseignement avec des créations chorégraphiques données lors de spectacles spéciaux (c’était aussi le cas pour l’École de Koula Pratsika). Des compositeurs, écrivains et peintres renommés y collaboraient autour de ces nouveaux ballets11. Il faudrait préciser que Mathéy et Pratsika n’étant pas elles-mêmes chorégraphes, elles laissaient cette partie aux professeurs de leurs écoles, tout en choisissant les sujets des spectacles et en donnant des directions dans le travail. Les représentations des deux écoles contenaient le plus souvent des danses traditionnelles grecques à la suite des créations12. C’était un élément indispensable d’une éducation corporelle qui se voulait enracinée dans la culture grecque. Un autre important danseur et chorégraphe de la même époque, Kosta Nichols, soutenait par ailleurs la stylisation de danses populaires et la liberté dans la créativité des chorégraphes qui prendraient ces danses comme une base de travail, à l’exemple des Ballets russes (Zotos, 2007)13. On verra ci-dessous que ce concept de stylisation apparaîtra aussi dans la chorégraphie d’Yvonne de Chirico sur la musique de Skalkottas.
L’enseignement de Rosalia Chladek
En 1947 Mathéy passe commande d’une suite de ballet intitulée La Terre et la Mer de Grèce à Nikos Skalkottas. Le compositeur lui rend l’œuvre en 1948. Yvonne de Chirico, tout fraîchement sortie de la classe de Rosalia Chladek au Conservatoire de Vienne, est alors la jeune chorégraphe de l’École, et elle se charge de la chorégraphie de cette suite14. Rosalia Chladek (1905-1995) avait aussi enseigné à l’École de Hellerau et était la fondatrice d’une nouvelle technique de danse. Au moment où la danse expressionniste prend son envol, les danseurs qui s’engagent dans ce chemin sont encore issus d’une technique de ballet classique. Chladek cherche alors une technique avec laquelle le corps du danseur pourrait se mouvoir en tant qu’instrument d’expression. Pour elle, chaque mouvement doit avoir sa raison d’être et doit émaner d’une nécessité intérieure. Elle accordait une importance particulière au buste et aux mains, en se démarquant des orientations du ballet classique qui se concentre sur les jambes. Au cours de sa recherche, elle s’est appuyée sur deux paramètres fondamentaux du mouvement, les forces naturelles (gravité, force centrifuge et centripète) et les caractéristiques anatomiques (articulations et musculature). Les différents degrés de tension dans le corps peuvent être utilisés pour leurs qualités expressives ; le mouvement devient ainsi une expérience de tous les sens, en focalisant sur un développement holistique de la personne avec et à travers la danse15. Les élèves grecques de Chladek avec qui j’ai pu m’entretenir (Joanna Philippopoulou et Rania Papadam) ont souligné la musicalité qui émanait de son travail. Elle-même s’explique sur ce point : « C’est la force qui crée le mouvement ; voilà pourquoi nous devons d’abord étudier les modalités de la force et de ses manifestations dans le corps et dans l’espace. Seule cette étude permet de saisir la danse comme mouvement pur, absolu, et nous donne la possibilité d’assimiler la musique, elle aussi, comme un mouvement s’inscrivant dans l’espace sonore, et de la transposer en danse en lui donnant une forme adéquate. L’enseignement de la danse devrait conduire l’élève à saisir la musique de cette manière, c’est-à-dire à la comprendre dans son mouvement total, d’en comprendre le sens et le caractère, et non de la réduire à un mécanique accompagnement rythmique et métrique » (Chladek, « L’enseignement de la danse », texte écrit en 1935, publié dans Alexander et Groll (éd.), 1995, p. 136).
Chladek avait eu plusieurs échanges avec Koula Pratsika, Polyxeni Mathéy et leurs élèves, qu’elle connaissait depuis le temps des études de Pratsika à Hellerau. On trouve la trace de son premier récital de danse à Athènes en 194116 ainsi que d’une visite plus tardive, en 1959, documentée par la photo suivante.
Détail d’une photo d’une réception donnée en l’honneur de Rosalia Chladek à Athènes, 1959. De gauche à droite : Chladek, Yvonne de Chirico, Rania Papadam. Archives Polyxeni Mathéy.
La reconstitution du Chalutier et de la Danse des vagues et le travail chorégraphique d’Yvonne de Chirico
Il était difficile, en se fondant sur les sources dont on disposait jusqu’à présent, de se prononcer sur le degré d’influence de l’enseignement de Rosalia Chladek sur le travail chorégraphique d’Yvonne de Chirico. En ce qui concerne la chorégraphie de Chirico sur La Terre et la Mer de Grèce de Skalkottas, il nous reste quelques photos de spectacles (de 1948 à 1953), les revues dans les journaux athéniens et une revue au journal lyonnais Écho Liberté du 27 juillet 1953, suite à la présentation de la suite lors de la troisième Delphiade qui eut lieu dans la ville17. Cette documentation s’est récemment enrichie d’un document exceptionnel, fruit de la recherche que j’ai pu entreprendre dans le cadre du cursus doctoral du Conservatoire de Paris. Le contact avec les danseuses qui faisaient partie de la troupe de l’École de Mathéy à l’époque des représentations de La Terre et la Mer de Grèce a rendu possible une reconstitution partielle de la chorégraphie des deux derniers mouvements de la suite, le Chalutier et la Danse des vagues. Mesdames Rania Papadam et Rita Gabbai ont participé à cette reconstitution, basée essentiellement sur les souvenirs exceptionnellement clairs de Mme Gabbai. On peut voir la reconstitution des deux pièces sur les vidéos ci-dessous (il serait utile de laisser les fenêtres des vidéos ouvertes pendant la lecture du reste de l’article) :
Vidéo : reconstitution du Chalutier, École Mathéy, Athènes, 3/04/2015.
Vidéo : reconstitution de la Danse des vagues, École Mathéy, Athènes, 3/04/2015.
À la vision de ces brefs extraits, on peut constater que de Chirico montrait le même souci que Chladek vis-à-vis du flux musical et de la création d’une chorégraphie qui émanait de la composition. Son travail témoigne aussi d’une clarté du mouvement ; la chorégraphie veut être explicite pour le spectateur. De la technique de Rosalia Chladek, de Chirico retient l’importance des mouvements de balancement qui se font avec une relâche du poids du corps, simplement pour montrer soit le ramassage des filets de pêcheurs soit la formation de vagues, tel un tableau de paysage marin. On peut noter quelques caractéristiques marquantes dans la chorégraphie : au début du Chalutier les danseuses commencent avec une position inhabituelle, le dos tourné au public, et exécutent ainsi tous les mouvements du ramassage des filets. Quand le thème du début revient pour la partie finale, elles ne répètent pas les mêmes mouvements, mais exécutent une danse stylisée qui provient de la danse hasápiko. Le hasápiko, une danse plutôt lente à quatre temps, fait partie de la musique des rebétika, ces chants urbains des travailleurs qui ont fleuri dans les bas-fonds des villes et des ports grecs18. Bien loin de toute gestique et des critères de la danse classique, les figures du hasápiko reprises par Yvonne de Chirico ne demandent pas une symétrie absolue entre les danseuses, comme on le voit aussi sur la photo de la troupe de l’École Mathéy à l’île de Poros en 1952 (à comparer avec 01:47 – 02:00 sur la première vidéo).
On peut aussi comparer le ramassage des filets tel qu’on le voit sur la photo suivante, avec la même vidéo entre 00:52 et 01:05.
La chorégraphie de la Danse des vagues débute de la même façon que le Chalutier, en illustrant le titre de la pièce. Les danseuses, divisées en deux groupes qui se font face, courent les unes vers les autres en unissant et en soulevant leurs bras vers le haut, comme une grande vague qui se forme du mouvement de leurs corps. Dans la partie centrale calmo, Yvonne de Chirico avait demandé aux danseuses d’improviser librement avec leurs mains les mouvements des vagues tout en restant allongées. Cette partie d’improvisation, même si elle souligne le réalisme du sujet, reste un fait à remarquer dans une chorégraphie de 1948. Sur la photo suivante, où la troupe danse sur une estrade flottante à l’entrée du port d’Égine en 1949, on aperçoit probablement cette partie de la chorégraphie. On peut comparer cette position avec la seconde vidéo, de 01:25 à 01:4019.
Remarques sur la reconstitution chorégraphique
Comme on a déjà mentionné, la reconstitution de la chorégraphie d’Yvonne de Chirico a pu se faire grâce aux souvenirs de Mme Rania Papadam et surtout ceux de Mme Rita Gabbai. Une première rencontre avec toutes les deux le 27 mars 2015 a permis de retracer ces souvenirs à l’aide de l’enregistrement de deux pièces (Skalkottas, La Terreet la Mer de Grèce, 2008, BIS-1564, Lorenda Ramou, piano). Les 2 et 3 avril Mme Gabbai avec la complicité de Mme Papadam a enseigné les parties retenues de deux danses à un groupe de quatre danseuses. Nous avons eu la chance de pouvoir disposer de l’actuelle salle de cours de l’École Mathéy et du piano Blüthner de Polyxeni Mathéy, sur lequel cette musique avait été jouée pour la première fois en 1948. À la fin des deux journées de travail de répétition, nous avons filmé un filage des deux danses, avec des copies (presque parfaites) des costumes d’époque, dessinés par le célèbre peintre grec Yiannis Moralis (1916-2009)20.
Cette reconstitution, pour des raisons pratiques, a été faite à une échelle plus réduite que la chorégraphie d’origine qui comportait entre huit et seize danseuses. Pour le Chalutier on a pu reconstituer la première partie (mes. 1-33 de la partition) et la dernière (mes. 56-fin). Sur la première vidéo on entend la pièce en entier, avec des images de répétitions pendant la partie centrale qui est restée sans chorégraphie. Pour la Danse des vagues (seconde vidéo), il a été possible de reconstituer les mes. 1-23, 56-100 et 127-130 de la partition. Nous avons opté pour deux coupures de la musique (mes. 24-55 et 101-126), afin de garder la continuité et la fluidité de la danse et de pouvoir la capter en une seule prise. Le lecteur intéressé peut prendre connaissance des parties manquantes de la pièce en écoutant ici une version complète live : https://www.youtube.com/watch?v=44vKdmql91o.
Sophie Jacotot, choréologue et élève en notation Laban au Conservatoire de Paris, a pris part à la reconstitution en tant que danseuse, mais aussi dans le but de transcrire en notation Laban ce travail. Les trois autres danseuses étaient Sania Strimbakou, Myrto Delimihali, et Noemie Passayan, avec moi-même au piano. On pourrait s’imaginer qu’un jour cette première reconstitution pourrait servir de base à un autre groupe de danseuses pour un travail plus approfondi sur la gestique de l’époque et pour être complétée d’une nouvelle chorégraphie des parties manquantes, ou bien de la totalité des six danses de la suite de Skalkottas21.
L’interprétation pianistique après la reconstitution chorégraphique
La place du pianiste pendant les répétitions avec les danseurs est un peu inconfortable ; on aimerait prêter toute son attention à la danse, mais il faut se partager entre le piano et les danseurs. Pourtant, leur mouvement imprègne le jeu et donne des perspectives différentes à l’interprétation pianistique. Dans le cas du Chalutier, pièce que je jouais depuis plusieurs années, le fait d’accompagner les danseurs m’a révélé l’ossature rythmique de la pièce et les correspondances rythmiques parmi ses motifs. Cette transformation s’est opérée vers la fin des répétitions et elle n’a pu se révéler complètement qu’après une séance de travail personnel une fois les répétitions finies.
Le mouvement de l’étirement des filets de pêche est le plus caractéristique de la chorégraphie et se fait sur le rythme du motif de l’accompagnement de la ligne mélodique principale, à raison d’un étirement par mesure. Afin de suivre l’élan de ce mouvement, j’ai dû jouer dans un tempo plus rapide que celui que j’avais longtemps pratiqué, en accentuant le groupement par deux avec in mouvement de poignet du bas vers le haut plus prononcé et un diminuendo vers le deuxième accord de chaque mesure (vidéo 00:00 – 00:39).
La figure suivante, un balancement latéral du corps (00:40 à 00:48), fait aussi appel à la même approche, d’autant plus qu’il se fait sur la continuation du thème initial. De 00:49 à 1:05 le mouvement de l’enroulement des filets se fait sur un balancement vertical du corps qui dure deux mesures ; il convenait alors de souligner cette plus longue périodicité à la main gauche du piano. La chorégraphie de la partie médiane de la pièce n’étant pas reconstituée (de 01:04 à 01:46), je me suis retrouvée devant deux options, que j’estime tout aussi valables. La première serait de suivre les indications de Skalkottas sur la version ultérieure orchestrée de la pièce dans le ballet populaire pour orchestre La Mer (1949), où elle figure en tant que quatrième mouvement. Là, le compositeur a été plus explicite dans les variations de tempo souhaitées : il note un poco meno sostenuto (01:04-01:15), suivi d’un poco mosso (01:15-01:23), avant de revenir à un poco meno et un rallentando (01:24-01:46) au moment de la reprise du thème principal et du Tempo primo. On pourrait en effet penser que l’expérience d’écoute qu’il a eue pendant les répétitions avec Polyxeni Mathéy au piano l’a amené à affiner la partition pianistique où aucune de ces indications ne figure. La seconde option serait de considérer que la partition pianistique, destinée à accompagner une chorégraphie (qu’on ignore malheureusement à cet endroit précis), devait conserver un tempo stable. Dans ce cas, le motif répété de la main droite à 01:04, ou encore les arpèges pleins d’élan qui suivent, garderaient un balancement rythmique semblable à celui du motif initial de la pièce.
Le Chalutier mes. 33-34. Copie de l’autographe du compositeur. Ajout du poco meno sostenuto par LR, en analogie avec la version d’orchestre.
À la reprise du thème principal, où commence la partie reconstituée avec la danse hasápiko (01:47), il conviendrait de souligner l’inversement des rôles des deux mains par rapport au début de la pièce. Ainsi, le balancement rythmique est maintenant passé à la main droite.
Les mesures suivantes, regroupées par deux, se définissent par un trémolo à la main droite, avec le détail subtil que les notes principales arrivent en contretemps. On choisira de garder le tempo inflexible, afin de montrer la périodicité d’une quinte grave qui s’introduit à la dernière phrase (02:32).22
À la question de l’ossature rythmique de la pièce, basée sur l’élément de « balancement » entre les deux temps de chaque mesure (au début de la pièce, ou par unités de deux mesures), un autre niveau de subtilité rythmique s’ajoute, si on considère la relation rythmique entre la ligne mélodique principale de ce mouvement et ses accompagnements. En omettant dans le travail pianistique personnel les différentes broderies, retards et appoggiatures et en ne gardant que les notes principales, on peut mieux souligner les retards et contre-temps qui se forment entre cette ligne et les figures rythmiques de l’accompagnement.
La pulsation du Chalutier reste immuable quand on passe à la Danse des vagues – encore un détail d’interprétation révélé par la chorégraphie et grâce aux conseils de Mme Papadam – qui marque une différence avec l’interprétation plus rapide de la pièce de 2009 (voir lien vidéo en note 22). Toujours selon Mme Papadam, Polyxeni Mathéy dans son jeu exagérait le diminuendo de chaque gamme chromatique descendante de la main gauche dans la Danse des vagues.
Il est intéressant de remarquer ici que comme la musique des deux danses est fondée sur un balancement rythmique, leur chorégraphie aussi utilise des mouvements de « labilité », un terme souvent employé pour désigner les mouvements ondulants qui caractérisent l’enseignement de Rosalia Chladek. Yvonne de Chirico semble avoir fait sienne la devise de sa professeur sur une osmose du mouvement et de la musique : « lorsque la maîtrise du mouvement absolu et de la musique pure ont atteint le point où leurs lois internes ne sont pas seulement vues mais intégrées, de sorte qu’il n’y ait plus de préséance de la danse ou de la musique, […] on a alors trouvé une base objective pour un enseignement plus poussé » (Chladek, « L’enseignement de la danse » écrit en 1935, dans Alexander et Groll (éd.), 1995, p. 136). J’ajouterais ici que ma brève expérience d’accompagnement de la restitution des deux danses m’a guidée vers une chorégraphie du mouvement pianistique qui, en utilisant une grande souplesse de poignet, « suit » les mouvements ondulants des danseuses et souligne leurs périodicités rythmiques, ainsi que celles de la musique. Cette expérience a transformé ma précédente interprétation tant sur le plan du tempo global que sur celui des groupements dans le phrasé. La vision interprétative que je viens de décrire ci-dessus prend tout son sens quand la performance inclut les danseurs, mais elle peut rester aussi très suggestive dans le cadre d’un concert.
La Terre et la Mer de Grèce dans la musique de ballet de Nikos Skalkottas
Le destin a fait que La Terre et la Mer de Grèce fut la dernière composition pour piano solo de Nikos Skalkottas, mort un an après sa composition en 1949, à l’âge de quarante-cinq ans23. Comme l’œuvre était composée pour l’excellente pianiste qu’était Polyxeni Mathéy, on constate dans cette suite une écriture pour l’instrument plus dense et élaborée que dans ses œuvres de ballet précédentes. Pourtant, même quand il écrit pour piano, Skalkottas donne une dimension profondément orchestrale à la partition. Ce trait caractéristique de son écriture pianistique peut rapprocher cette suite – ainsi que ses autres œuvres de ballet – de ses œuvres atonales.
Skalkottas avait la capacité de composer simultanément dans un langage atonal et un langage tonal. Sa musique de ballet (d’une durée totale d’un peu moins de 2 heures) appartient à la deuxième catégorie. Elle comporte les œuvres La Jeune Fille et la Mort (1938), Écho (1942 ou 1943), Images des îles (1943), La procession vers Achéron (194?), La Terre et la Mer de Grèce(1948) et La Mer (1949), qui sont composées dans un langage tonal élargi. Pendant les mêmes années, Skalkottas écrit des œuvres atonales libres et élabore sa propre technique dodécaphonique. Il est possible que d’une part la conscience de la fonctionnalité de cette musique et d’autre part celle des goûts du public auquel il s’adressait l’ait incité à s’exprimer dans un langage beaucoup plus aisément accepté que celui de ses autres œuvres. Toute sa musique de ballet, à l’exception de La Mer, est écrite pour piano. Ainsi, il était possible qu’il joue ces œuvres au piano lui-même pendant les répétitions et les représentations. Quant aux orchestrations qu’il a effectuées pour deux ballets, La Jeune Fille et la Mort et les danses de La Terre et la Mer de Grèce(distribuées dans deux œuvres orchestrales différentes24), elles étaient parfaitement abordables par les instrumentistes de son temps ; l’exécution, souvent très difficile pour ses œuvres atonales, ne posait ici aucun problème.
La Terre et la Mer de Grèce présente des affinités évidentes avec les Images des îles, suite composée en 1943 pour l’examen final d’Aleka Katseli, élève à l’école de Koula Pratsika, qui contient aussi un Chalutier, le Cloutage du Chalutier, les Vagues de la mer et le Lancement du chalutier à la mer, entre autres25. Dans les deux suites la musique est plutôt descriptive, mais elle continue à nous surprendre par son inventivité. L’inspiration maritime de Skalkottas persiste avec le ballet populaire pour orchestre La Mer. Dans toutes ces œuvres, Skalkottas évoque la vivacité et la fraîcheur des paysages marins, sans faire appel à la musique traditionnelle, qu’il connaissait pourtant bien. Simplicité d’expression, finesse d’écriture dans l’utilisation des registres du piano et des timbres d’orchestre, ostinati rythmiques et formes tripartites sont omniprésents dans cette série de regards sur les côtes grecques.
La Terre et la Mer de Grèce dans le contexte de la « génération des années trente »
Quel est le contexte artistique plus élargi dans lequel les représentations des ballets de Skalkottas pendant les décennies 1930-1940 ont eu lieu ? La période de l’entre-deux guerres est marquée en Grèce par un dialogue – voire des polémiques – concernant la relation de la création contemporaine avec le passé artistique et historique du pays. La question qui devient prépondérante est celle de la définition des composantes de la « grécité » par rapport aux générations précédentes. Ce sont surtout des jeunes écrivains de l’époque qui ont senti le besoin d’élaborer une nouvelle identité culturelle pour leur art et leur pays. Ce qui a commencé comme un mouvement littéraire a trouvé son écho dans les autres arts. Il serait plus exact de dire que le terme « génération des années trente » englobe les artistes et intellectuels qui partageaient un idéal culturel commun : instaurer un dialogue avec l’art des autres pays d’Europe sur un pied d’égalité et faire sentir leur présence et leur spécificité culturelle dans un enracinement européen, aux antipodes de tout esprit nationaliste26. Il s’agissait de présenter la Grèce comme « une égale dans l’arène intellectuelle internationale »27.
Cet idéal était aussi partagé par Skalkottas, qui était préoccupé par la création d’une nouvelle littérature musicale grecque, comme le montrent ses œuvres (avec, en premier lieu, ses 36 Danses grecques) ainsi que ses textes (Levidou, 28. Dans son article « Musique de danse », il prend soin de faire la différence entre la valeur de la musique de ballet de celle écrite pour d’autres types de spectacles plus légers, et nous donne son credo : « Qui sait aujourd’hui quand va-t-on comprendre le sens profond de la création d’une littérature musicale destinée à la danse de provenance purement grecque ? […] Nous devons agir en conséquence pour contribuer à la musique de danse de notre siècle, conquise par l’élément rythmique ».29
Dans le cadre de cet article, on se limitera à commenter l’approche de la thématique maritime par Skalkottas dans ses ballets, en la mettant en perspective avec la même thématique chez les hommes de lettres de son temps. Selon Dimitris Tziovas, professeur des Études grecques contemporaines à l’Université de Birmingham, « les artistes de la génération des années trente ont instauré l’esthétisation du paysage maritime grec. La mer Égée devient, plus qu’un simple lieu, un archétype littéraire »30. Odysséas Elytis déclare par ailleurs que pour lui la mer Égée « n’est pas un paysage naturel, mais une empreinte digitale »31. Les poètes tels que Georges Séféris, Odysséas Elytis ou Nikos Gatsos ont donné une dimension métaphysique au paysage maritime grec ; il devient matrice créatrice, lieu de voyage intérieur, et expression d’un espace personnel, présent dans une multitude de métaphores32.
Le regard de Skalkottas vers le paysage maritime dans les suites Images des îles et Terre et Mer de Grèce est plus descriptif, voire photographique. Il nous transmet la vitalité de ces paysages avec une allégresse parfois teintée d’une légère mélancolie. La Mer est une apothéose de l’élément marin. Avec l’insertion de la légende d’Alexandre le Grand et sa sœur sirène dans l’argument du ballet, Skalkottas nous invite à la féerie et au fantastique. Dans le prologue de La Mer il explicite ses intentions : « Le ton de la musique est populaire du début jusqu’à la fin avec un penchant vers la simplicité de la danse, du rythme et de l’imagination du ballet »33.
Skalkottas approche donc l’élément marin avec plus de simplicité que les écrivains de sa génération, presque avec l’intention d’une musique à programme34. On peut constater que tous les collaborateurs de Skalkottas pour La Terre et la Mer de Grèce l’ont abordé sous le même angle représentatif. Le critique Minos Dounias35 écrit à propos d’une des représentations qui a eu lieu en 1951 : « il s’agit d’une recréation de formes de vie grecque, un spectacle pittoresque sans argument dramatique, sans pathos, sans larmes […]. Le compositeur n’a pas cherché l’originalité d’expression. Il a surtout utilisé l’idiome postromantique, mais il l’a utilisé avec grâce, avec une musicalité sans autres ornements, et, par-dessus tout, avec le rare sens chez les compositeurs grecs de l’élément de danse »36. On a déjà mentionné qu’Yvonne de Chirico était soucieuse de suivre le flux de la musique et d’être explicite pour le spectateur. Étant « inspirée d’un tendre lyrisme, elle donne à ces scènes de la nature la cordialité qui enchante le public de toutes sortes »37. Le peintre Yiannis Moralis qui a dessiné les costumes « n’a pas insisté sur l’authenticité mais il a pris la peine d’exprimer l’esprit du costume grec. La délicatesse des couleurs et la délicatesse du tissage des formes ont souligné le sens de la chorégraphie »38. Quant à Polyxeni Mathéy, qui a donné le sujet de La Terre et la Mer de Grèce à Skalkottas, elle voyait dans ces tableaux de vie de paysans et de marins la continuation de gestes et de coutumes qui étaient restés inchangés depuis l’antiquité39.
En 1948, année de création du ballet, la Grèce venait de sortir de l’occupation et vivait encore les ravages de la meurtrière guerre civile qui a duré jusqu’à 1949. Les collaborateurs de ce ballet ont choisi de mettre en scène des paysages pleins de fraîcheur, de vitalité et de beauté naturelle, qui restent intactes malgré les catastrophes qui surviennent en leur temps. La grécité est pour eux, dans cette œuvre précise, une image radieuse qui se suffit à elle-même, sans qu’il soit nécessaire de la charger d’une interprétation personnelle de la part de l’artiste. Dans le contexte des années obscures de l’après-guerre, on peut interpréter la position de ces artistes comme un optimisme salutaire, dont le public était aussi demandeur.
Remerciements à : Philippe Brandeis, directeur des études et de la recherche au Conservatoire de Paris, les danseuses Rita Gabbai, Rania Papadam et Joanna Philippopoulou, Katerina Maslia, fille d’Yvonne de Chirico, la famille de Polyxeni Mathéy et Dimitris Tziovas, professeur des Études grecques contemporaines à l’Université de Birmingham.
Bibliographie
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Notes
1 Dans les années 1920 ont été fondées les écoles de Marguerite Jordan, une élève de Jaques-Dalcroze, de Marie Raymont, du russe Adam Morianov et d’autres. Voir Fessa Emmanouil, 2004, p. 42.
2 Le 28/11/1903 au Théâtre Municipal devant un public d’étudiants et le 11 et 15/12 au Théâtre Royal devant la famille royale. Voir Barboussi, 2014, p. 71.
3 Vassos Kanellos (1895 ?-1985) a été le plus important des élèves grecs de Duncan. Il a fait une belle carrière aux États-Unis avant de retourner en Grèce où il a créé plusieurs chorégraphies sur les mythes antiques et fondé sa propre école. Voir Fessa Emmanouil, 2004, p. 39.
4 Voir ici deux des rares vidéos qui nous restent d’Isadora Duncan :
5 La sœur de Sikelianos, Penelope, avait épousé Raymond, le frère d’Isadora.
6 Il est intéressant de noter que même aujourd’hui, le point fort du cursus de l’École Nationale de Danse est la danse contemporaine. Les spectacles publics des élèves ne contiennent que des chorégraphies contemporaines et des créations.
7 Par danse de groupe, Mathéy sous-entend ici la danse traditionnelle grecque. Voir le texte autographe « Directions de l’éducation corporelle et rythmique », archives Polyxeni Mathéy.
8 Leonid Kreutzer (1884-1953) était un très important professeur de piano à l’Académie de Musique de Berlin. Ses élèves comptaient Władysław Szpilman, Vladimir Horbowski,Karl Ulrich Schnabel, Franz Osborn et Grete Sultan. Ses récitals et son enseignement octroyaient une large place au répertoire de son temps. Auteur d’un livre sur l’utilisation de la pédale, il a émigré à Tokyo en 1933.
9 Pour Polyxeni Mathéy, [ΓιατηνΠολυξένηΜατέυ] 2009, Athènes, publication de l’École Nationale de Danse [KρατικήΣχολήΟρχηστικήςΤέχνης]
10 Les élèves étaient uniquement de sexe féminin.
11 Les compositeurs Argyris Kounadis et Nikos Skalkottas, les peintres Nikos Hadjikyriakos-Ghikas et Yiannis Moralis, l’écrivain Ilias Venezis ont été, entre autres, parmi les collaborateurs de Polyxeni Mathéy.
12 D’après notre étude des programmes de spectacle tenus dans les Archives de Polyxeni Mathéy et les Archives de l’École Nationale de Danse.
13 ll faudrait mentionner ici que Nichols s’avère par ailleurs extrêmement critique vis-à-vis de la danse expressionniste allemande et tout ce qui en découle à cause du manque de technique solide des danseurs (Nichols, 1957, p. 151-152)
14 Les éléments biographiques à propos d’Yvonne de Chirico étant inexistants tant sur la toile que dans la bibliographie actuelle, il m’a semblé important d’inclure ici une biographie succincte basée sur les informations données par sa fille, Katerina Maslia.
La danseuse et chorégraphe Yvonne de Chirico (1925-1981) est née à Bagdad ; elle est la fille du marchand de tabac Federico de Chirico, cousin du célèbre peintre Giorgio de Chirico. Son père meurt en 1928 et Yvonne rentre avec sa mère à Athènes où elle finit l’école en internat chez les Ursulines, tandis que sa mère y enseigne le français. Après la guerre elle étudie au Conservatoire de Vienne, suivant le cursus de danse expressionniste de Rosalia Chladek. Diplômée, elle rentre à Athènes et commence ses collaborations avec l’École de Polyxeni Mathéy, la chorégraphe et danseuse Zouzou Nikoloudi, le metteur en scène Dimitris Rontiris, entre autres. Son travail est présenté aussi à l’étranger et rencontre un certain succès. En 1950 elle fonde sa propre école de danse au centre d’Athènes et en 1960 sa deuxième école à Faliron (banlieue au sud d’Athènes). En 1955 elle se marie avec Alvertos Maslias et devient mère en 1958. En 1962 elle choisit de se consacrer à sa deuxième école seulement et en 1963 elle y ouvre un cursus professionnel, comprenant des cours de danse moderne, eurythmie, ballet classique, gymnastique, et, à partir de 1965, de système Orff. L’École ferme à sa mort en 1981.
15 Pour plus d’informations sur Chladek et sa technique, voir www.rosalia-chladek.com – consulté le 20 mai 2015. Pour des extraits de ses chorégraphies dansées par elle voir https://www.youtube.com/watch?v=ECwTm_wMa5o et
https://www.youtube.com/watch?v=8L7sLbwrOWE – consultés le 20 mai 2015.
16 Voir le programme ici : http://www.ebay.com/itm/1941-ORIG-RARE-WWII-WAR-GREECE-KOTOPOULI-3-LANGUAGES-DANCER-ROSALIA-CHLADEK-/151657229556, consulté le 20 mai 2015.
17 Pour un compte-rendu détaillé de toutes les représentations du spectacle entre 1948 et 1953 et leurs critiques dans la presse, voir Ramou, 2008. Pour la critique lyonnaise voir note no 19.
18 Les rebétika, considérés comme une musique « impure » par la classe bourgeoise, étaient néanmoins très répandus et sont devenus un genre à la mode vers la fin des années trente et durant les années quarante. Le compositeur Manos Hadjidakis, avec une conférence en 1949 qui a fait date (en grec sur http://www.manoshadjidakis.gr/works/ergo3.asp?WorkID=208, consulté le 4/06/2015), a donné ses lettres de noblesse à cette musique, en la positionnant dans la continuation de la chanson démotique et du mélos byzantin. Skalkottas était le premier compositeur de musique savante à inclure un rebétiko, L’Arabie [ΗΑραπιά] de Vassilis Tsitsanis, dans le premier mouvement de son concerto pour deux violons et orchestre en 1944-1945.
19 On peut mentionner ici la critique du journal lyonnais Écho Liberté mentionné plus haut, qui rapproche le travail d’Yvonne de Chirico de celui d’Isadora Duncan et de Jaques-Dalcroze : « […] ce n’était pas la partie la plus satisfaisante du programme. La chorégraphie d’Yvonne de Chirico rappelait celles de Jaques-Dalcroze ou Isadora Duncan, deux esthétiques maintenant désuètes à cause de leur naïveté et manque de précision. Mais il y a eu de très beaux moments : les rafales qui pliaient le corps de chaque danseuse au tableau de la moisson et surtout la danse du pressoir, la danse du vin des anciens. Ce très beau spectacle sera répété […] ».
20 Une recherche aux archives de Yiannis Moralis est actuellement en cours dans l’espoir de retrouver ses esquisses pour les costumes.
21 La Moisson, La Semence, La Vendange, Le Pressoir, Le Chalutier et la Danse des vagues.
22 Les précédentes remarques prennent plus d’ampleur si on compare la vidéo de la reconstitution chorégraphique du Chalutier avec l’interprétation de la pièce de 2009, bien plus lente, sur : https://www.youtube.com/watch?v=Je3vXqkFqUE
23 Skalkottas est considéré aujourd’hui comme le plus important compositeur grec de la première moitié du XXe siècle. Après ses études à Berlin auprès de Willi Hess pour le violon, de Kurt Weill pour l’orchestration et de Philip Jarnach et Arnold Schoenberg pour la composition, regagne Athènes en 1933, période marquée par les idéaux de l’École nationale des compositeurs grecs. Il fait alors l’expérience d’un grand isolement professionnel. Les quelques compositions atonales présentées au public athénien suscitent en effet la désapprobation générale. Il compose inlassablement, mais le reste de ses presque 130 œuvres ne sera jamais joué de son vivant ; seules exceptions, des sélections de ses 36 Danses grecques pour orchestre et sa musique de ballet, qui rencontrent un franc succès.
24 Les quatre premières danses de la suite ont constitué l’œuvre pour orchestre Quatre Images et les deux dernières se trouvent intégrées dans le ballet La Mer.
25 Le manuscrit comprend deux versions. La deuxième est raccourcie, probablement en raison compromis liés à la chorégraphie. Sur une page du manuscrit on trouve les notes de Katseli pour la chorégraphie. Ce texte a été déchiffré le 1er juin 2015 grâce à l’aide de Mme Eleni Kefalou-Hors, camarade de classe de Katseli et l’une des trois danseuses de l’œuvre à l’époque, en présence du musicologue et éditeur Yiannis Samprovalakis et de moi-même. La chorégraphie était dansée par Eleni Kefalou-Hors, Maria Hors et Aleka Katseli. Sans qu’il soit possible de reconstruire avec précision le flux des mouvements, la notation indique des mouvements symétriques de gymnastique, avec l’utilisation d’une barre et de massues.
26 Ces artistes sont complètement en phase avec la création de leur époque ; ils manifestent une connaissance profonde des modernités européennes, auxquelles leur art adhère, et beaucoup d’entre eux cultivent des relations personnelles avec leurs confrères à l’étranger (par exemple Georges Séféris avec T. S. Eliot et Henry Miller, Andreas Embirikos avec André Breton, Nikos Hadjikyriakos-Ghikas et Dimitris Pikionis avec Le Corbusier, etc.)
27 Elytis, op. cit., p. 6.
28 Article inédit « La nouvelle littérature musicale », archives Skalkottas, Bibliothèque Musicale de Grèce.
29 Article inédit, copie archives Lorenda Ramou. L’autographe des archives Skalkottas semble actuellement égaré.
30 Tziovas, 2011, p. 363.
31 Odysséas Elytis cité dans Tziovas, ibid, p. 371.
32 Citons en guise d’exemple Amorgos de Nikos Gatsos, la collection de Poèmes de Georges Séféris, Ilios o protos de Odysséas Elytis.
33 Autographe, ArchivesSkalkottas. [Ο τόνος της μουσικής είναι λαϊκός από αρχής μέχρι τέλους, με τάση προς την απλότητα του χορού, του ρυθμού και της φαντασίας του μπαλέτου]. Traduction L. Ramou. Pour écouter le ballet : https://www.youtube.com/watch?v=CcvLmBwU6IQ – consulté le 29 mai 2015.
34 Le « ton de la musique » et l’argument du ballet, inspirés par des légendes et l’imagerie populaire, se rapprochent du style et de la thématique du peintre autodidacte Theofilos Hadjimichail, notamment dans sa Sirène [Γοργόνα]. Hadjimichail, qui puisait son inspiration dans l’histoire, la mythologie, la tradition et la vie de tous les jours était devenu une figure culte pour les artistes de cette époque. Sa découverte par le critique d’art et collectionneur Tériade et l’organisation d’une exposition de ses œuvres à Paris en 1936 avaient fait sensation.
35 Musicologue et critique musical qui a marqué son temps, Minos Dounias (1900-1962) a croisé Skalkottas à la Hochschule de Berlin en tant qu’étudiant de violon. Après son retour à Athènes il tenait la page de critique musicale au journal Kathimerini et enseignait au Pierce College et au Collège d’Athènes.
36 Journal Kathimerini, 22/09/1951.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Texte autographe de Mathéy, brouillon de son discours à la troisième Delphiade de Lyon le 23/07/1953. « La suite La Terre et la Mer de Grèce du regretté Nikos Skalkottas inclut trois danses agricoles et deux scènes maritimes. D’abord la semence de la terre, avec la prière pour une bonne récolte, après la moisson, pleine de soleil et de joie, puis le pressoir, l’ancienne coutume qui survit encore aujourd’hui en Grèce, des grappes de raisin pressées par les pieds des gens qui dansent au son de la lyre, amenant les danseurs en une frénésie dionysiaque et joyeuse. Le Chalutier est une scène de la vie des pêcheurs. Aujourd’hui les pêcheurs tirent encore leurs filets dans nos mers, à la compagnie des vagues immortelles de la mer Égée, qui s’abattent sans cesse sur les côtes de dentelle de Grèce ».
Quelques mots à propos de : Lorenda Ramou Lorenda Ramou associe souvent le répertoire pianistique aux autres arts dans ses récitals thématiques. Elle a notamment collaboré avec l’écrivain Pascal Quignard pour le récit-récital Femme disant adieu. Elle s’est produite dans plusieurs pays européens, les USA, le Maroc et le Chili. Ses enregistrements de compositeurs grecs chez ECM, BIS et NAXOS ont été loués par la critique. Elle a effectué ses études au CNSMDP et l’Université de Paris-Sorbonne (Doctorat de Musique : Recherche et Pratique avec la mention très honorable avec les félicitations du jury), la City University de Londres et New England Conservatory de Boston ; elle a aussi suivi des stages avec Pierre-Laurent Aimard, Pierre Boulez, Dimitri Bashkirov et Jean-Claude Pennetier. Elle anime un séminaire sur le piano contemporain au Conservatoire d’Athènes et collabore avec le Centre Culturel Onassis et l’Université des Sciences Politiques et Sociales (Panteion) sur diverses projets autour de la musique de notre temps.
SOURCE : Le sixième numéro, La revue du Conservatoire, mis à jour le : 15/12/2017